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Miser sur les thiols pour augmenter la buvabilité des vins rouges

Divers travaux ont mis en évidence la capacité des cépages rouges à libérer des thiols. Leur extraction donne des vins avec des profils plus frais et fruités.

Arômes des vins. Arôme de fruits rouges. Cassis et groseille. Note végétale. Senteur. Parfum. Transparence du verre. Reflet. Eclat. Alimentation. Aliments. Goût sucré
La présence de thiols dans les vins rouges permet de renforcer l'aromatique autour des fruits noirs, du cassis, voire du végétal, tout en apportant de la fraîcheur.
© P. Cronenberger

Nous sommes nombreux à associer les thiols volatils au sauvignon blanc, aux mansengs, au riesling ou encore au colombard. Mais nous sommes beaucoup moins nombreux à les associer aux vins rouges. Pourtant, les précurseurs de thiols sont bien plus répandus dans les cépages rouges que ce que l’on pourrait croire. Cabernet sauvignon, cabernet franc, merlot, malbec, pinot noir, carménère, tempranillo, négrette, syrah, grenache, sangiovese, durif, petit verdot, montepulciano, primitivo, mataro ou encore valpolicella contiendraient pour la plupart du 3-mercaptohexanol (3 MH), de l’acétate de 3-mercaptohexanol (A-3MH) ou de la 4-méthyl-4-mercaptopentan-2-one (4MMP). « Ces composants thiolés sont des génériques de tous les cépages, qu’ils soient blancs ou noirs », résume Philippe Darriet, directeur de l’Institut des sciences de la vigne et du vin à Bordeaux.

Des vins plus aromatiques et moins lourds

Les seuils de perception dans les vins seraient les mêmes que pour les blancs, mais « il y a des interactions avec d’autres composants de la matrice, comme les esters », analyse Marion Bastien, de la cellule Technique & valorisation chez Lallemand Œnology. Ce qui fait que contrairement aux blancs où l’on peut facilement associer un thiol à un arôme, l’exercice est plus ardu sur rouges. La présence de ces thiols contribue à un univers sensoriel, à une intensité, à une fraîcheur. Philippe Darriet précise qu’il s’agit « d’un phénomène d’interaction perceptive ». La présence de ces composés va renforcer les tonalités autour du cassis, des fruits noirs, énumère-t-il. Parfois, cela peut aussi rappeler des caractères végétaux, voire même évoquer la sueur. Pour Romain Traste, œnologue conseil bordelais chez Ecotone Œnologie, les thiols volatils dans les rouges agissent comme un exhausteur de goût, « à l’image de la fleur de sel de Guérande sur du foie gras, illustre-t-il. Ils estompent le côté épicé et lourd. Le floral ou le fruité seront plus puissants, on aura moins de lourdeur aromatique ». Ce qui améliore ipso facto la buvabilité du vin.

Mais comment favoriser l’extraction de ces thiols ? Comme pour les blancs, il convient tout d’abord de protéger les précurseurs aromatiques du raisin, avant d’arriver à les libérer puis à les conserver dans le vin. « Il faudra peut-être commencer par récolter les raisins un peu plus précocement, à maturité aromatique, afin d’éviter la diminution progressive des précurseurs », suggère Anthony Silvano, chef produit levures œnologiques chez Lallemand Œnology. André Fuster, responsable technique France pour AEB, et Philippe Darriet recommandent eux aussi de vendanger à maturité aromatique.

Ne pas sous-estimer la nutrition en azote organique

Il semble également logique d’essayer de triturer le moins possible la vendange. Une protection des raisins pourrait aussi être envisagée, imagine Anthony Silvano, puis les vinificateurs peuvent ensemencer avec une levure révélatrice de thiols. « Elle doit posséder un gène IRC7 long sur les deux allèles, ainsi que la forme originale (et non mutée) de ce gène pour pouvoir libérer enzymatiquement ces précurseurs grâce à l’activité bêta-lyase », informe le chef produit. Philippe Darriet confirme l’importance de la levure dans la révélation des thiols mais note que l’effet est moins important que sur les blancs.

Pour optimiser le travail de ces levures, « une nutrition en azote organique durant la première moitié de FA est indispensable », pointe André Fuster. Cela permet aux thiols de transpercer la membrane de la levure et ainsi d’être révélés. Dans le cas contraire, « il y aura un blocage du transfert des thiols et production d’esters fermentaires comme l’acétate d’isoamyle », prévient-il. Lallemand préconise aussi l’ajout de nutriments azotés organiques et oriente vers l’utilisation de Stimula Syrah, composé d’autolysats de levures. Au niveau de la malo, des travaux sont en cours. « Nous travaillons sur le sujet, afin de trouver une bactérie capable de révéler les précurseurs restants et de les conserver », révèle Marion Bastien.

Une bonne protection vis-à-vis de l’oxygène est primordiale

Le point clé de la préservation de ces arômes est ensuite la gestion de l’oxygène. « La concentration en thiols volatils va diminuer à la faveur de l’élevage, met en garde Philippe Darriet. Plus il sera oxydatif (soutirages, écoulages sans lies, pompages, etc), plus elle diminuera. » Par ailleurs, plus l’oxygénation se sera déroulée précocement, lors de l’écoulage par exemple, plus la chute de la teneur en thiols sera importante. Un univers un peu réducteur, un pH bas, un bon sulfitage, ou la richesse en anthocyanes du vin seront donc favorables à une bonne conservation de ces composés volatils. Ce qui impose un numéro d’équilibriste aux vinificateurs, devant composer avec le travail sur les tanins et la couleur d’un côté et la préservation des thiols de l’autre.

Des levures spécifiques pour des vins plus frais

Plusieurs entreprises se sont positionnées sur le créneau des levures révélatrices de thiols sur rouges, à l’instar d’AEB avec Fermol RedBouquet et Levulia T.P.C.O. ou de Lallemand avec Ruby. Selon leurs utilisateurs, ces levures sont simples à employer et possèdent toutes de bonnes capacités fermentaires. Les résultats organoleptiques semblent eux aussi au rendez-vous.

Adrien Hudeley, œnologue au Château Lastours, en AOP gaillac dans le Tarn, a essayé la Ruby sur 150 hl de syrah dans le but d’obtenir des vins plus fruités et frais. Il a vinifié en parallèle 250 hl de cette même syrah de manière classique. Et dès la fermentation, l’œnologue a relevé des différences aromatiques. « Au-dessus des cuves ensemencées avec Ruby, c’était plus frais, relève-t-il. On avait moins de confituré ou de cuit, mais des notes fraîches, limite mentholées. » Une tendance qui s’est confirmée au fil de la vinification.

Au décuvage, le lot Ruby exhalait des notes de petits fruits rouges frais, cassis, cerise, bourgeon de cassis, tandis que le lot classique tirait davantage vers des arômes de garrigue, de fruits noirs un peu mûrs. « Au final, à la dégustation, la cuve Ruby était beaucoup plus fruitée et fraîche », confirme l’œnologue. À l’analyse, le vin contenait beaucoup plus de 4 MMP que le témoin.

Un nez proche du sauvignon sur un blanc de noirs

Romain Traste, œnologue conseil bordelais chez Ecotone Œnologie, a lui aussi conduit des essais avec la souche de Lallemand « Employée seule sur merlot, Ruby n’a pas forcément un impact flagrant, nuance-t-il. En revanche, elle prend tout son intérêt en assemblage car elle a un effet synergie : elle révèle les arômes floraux ou fruités du vin. » Un bon outil selon lui pour valoriser les lots intermédiaires dans le Bordelais, et notamment ceux de merlot. Par ailleurs, cette levure donne de très bons résultats en vinification de blancs de noirs. « Je l’ai employée sur un lot de cabernet sauvignon, poursuit l’œnologue. Elle a permis une jolie révélation des thiols, avec un profil très sauvignonné au nez. »

De son côté, Alexandre Dailly, viticulteur au Domaine Dailly, à Chanes, en Saône-et-Loire, emploie une souche AEB depuis trois ans sur ses gamays. Il estime que ses vins « ont gagné en profondeur et en élégance. Les tanins sont plus enrobés ». Le fruité lui semble plus exubérant qu’avant ; plus flagrant. « La levure exhausse les arômes de fruits rouges et de cerise, conclut-il, tout en apportant de la fraîcheur. »

C. N.

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