Mesurer les spores du mildiou dans les vignes pour améliorer la protection
La détection précoce du mildiou grâce à l’analyse des spores dans l’air fait l’objet de nombreuses recherches. Aujourd’hui les premières applications commerciales débarquent.
La détection précoce du mildiou grâce à l’analyse des spores dans l’air fait l’objet de nombreuses recherches. Aujourd’hui les premières applications commerciales débarquent.
Mesurer la quantité de spores de mildiou dans l’air pour se faire une idée du risque de contamination, voilà une idée qui fait son chemin. Depuis six ans, la rencontre fortuite entre un vigneron et des chercheurs en détection d’aérosols de l’université de Genève a mené ces derniers à monter un projet pour tenter de détecter précocement la maladie. Par le « machine learning », ils ont appris à un ordinateur à reconnaître les spores de mildiou, et ont créé une station qui capte les composés volatils et prend des images sous forme d’hologramme grâce à un laser. Le premier résultat que les chercheurs suisses ont obtenu est la démonstration qu’il existe des gradients spatio-temporels importants concernant la concentration des spores de mildiou dans l’atmosphère. « Il y avait une croyance comme quoi ils étaient partout et tout le temps, et donc que ce facteur n’était pas pertinent, explique Jean-Pierre Wolf, enseignant-chercheur à l’université de Genève. Ce n’est pas le cas ».
En 2020, l’Agroscope de Changins (Suisse) teste le capteur sur une première campagne, avec des résultats prometteurs. L’an dernier des essais plus approfondis ont permis de déterminer à l’avance les premières sporulations et quand commencer à traiter. En 2022, les chercheurs vont tenter d’affiner la technique, pour définir un seuil d’alerte et estimer la densité idéale de stations. « Et dès 2023 nous espérons passer à la phase industrielle », confie Jean-Pierre Wolf. Pour lui, cette technologie devrait permettre de mieux positionner les traitements mais aussi d’en économiser. « Par exemple en 2019, les vignerons ont commencé à traiter alors qu’il n’y avait pas de spores dans l’air, illustre le chercheur. Même si les conditions de température et d’humidité étaient réunies, quinze jours après, les témoins non traités n’ont pas exprimé de maladie. »
Un matériel qui remplit aussi les fonctions de station météo
L’appareil ressemble à une station météo classique, un petit chapeau qui capte les spores en plus. Il donne également la température, l’humidité et l’humectation foliaire. Toutes les données, dont les hologrammes de spores, sont envoyées à un ordinateur deux fois par jour, qui conclut à un niveau de risque. Si l’ensemble trouve son marché, il devrait être commercialisé aux alentours de quelques milliers d’euros. « Nous utilisons des composants de grande série à tous les niveaux pour rester abordables, mais il y a de la technologie donc ça ne peut pas être une solution bon marché », justifie Jean-Pierre Wolf.
En France, l’IFV s’est également saisi de cette thématique, grâce à l’apparition d’une nouvelle technologie : la Lamp-PCR. « C’est une technique de biologie qui a été transposée en agriculture, d’abord sur les grandes cultures, il y a cinq, six ans, explique Marc Raynal, à l’IFV Nouvelle-Aquitaine. L’UMT Seven, à Bordeaux, a lancé le projet Visa en 2018 afin de valoriser cette technologie pour suivre la sporée aérienne au vignoble. » Ici aussi, un petit boîtier récupère les spores au vignoble, sur des sortes d’allumettes. Celles-ci sont récupérées et envoyées au labo pour analyse deux à trois fois par semaine, afin de rechercher les traces d’ADN, qui traduit la présence de spores de pathogène. L’intérêt de la technique Lamp est d’être plus simple qu’une analyse PCR classique, puisqu’elle ne nécessite pas d’extraction du matériel génétique. « Ce qui la rend plus rapide et dix fois moins chère qu’une analyse classique », confie Marc Raynal.
En 2021, le réseau de capteurs comptait 25 châteaux bordelais partenaires. Les scientifiques sont encore en train de développer et d’optimiser le modèle. Ils travaillent d’une part à la validation des « signatures » permettant de reconnaître les spores de mildiou, oïdium, botrytis et black-rot, mais aussi à la recherche d’une corrélation entre concentration des spores et risque de maladie. « Les Italiens, qui travaillent sur cela aussi, cherchent un seuil qui déclencherait les traitements. Nous voyons cela plutôt comme un outil de plus pour évaluer le risque, indique l’ingénieur de l’IFV. Aujourd’hui nous n’avons aucune donnée à regarder entre le moment où l’on relève la météo et celui où l’on observe les symptômes. C’est une opportunité de combler ce vide. » Il imagine un réseau de proximité pour affiner les modèles de risque pour mieux traiter et optimiser encore les IFT. Une soixantaine de capteurs supplémentaires sont d’ailleurs en commande. « Dès 2022 nous allons toutefois tester des règles de pilotage, poursuit Marc Raynal. Pour voir s’il est pertinent de prendre des décisions en fonction de la sporée. » Le chercheur l’assure, la technique semble très prometteuse et devrait servir concrètement les viticulteurs, en leur permettant de faire de rapides progrès sur les traitements.
Traiter lors de la germination des spores plutôt que sur mycélium
Si la plupart de ces solutions sont encore au stade de développement, la jeune société girondine Baas (Biology as a Solution) propose d’ores et déjà une offre commerciale pour quantifier les spores de mildiou. L’entreprise fournit au viticulteur des pièges passifs, qui ne sont rien de moins que des tubes PVC coupés en deux avec un petit toit et une bande adhésive. Ils sont relevés deux fois par semaine et analysés en laboratoire par PCR classique quantitative. « Nous voulions un piège le plus simple possible, commente Jérémie Brusini, fondateur de Baas. Entre 1 000 et 5 000,00 euros la pièce, ce sont les tarifs existants, le viticulteur ne peut en mettre qu’un seul pour tout son vignoble. » Ici le tarif est de 100 euros pour 11 pièges, dix statiques et un de type girouette, à répartir dans ses parcelles, auquel il faut ajouter un abonnement de 350 euros par mois pour le suivi. L’entreprise recommande de poser les pièges statiques par paire : un à 40 cm du sol pour mesurer le phénomène de « splashing » et un autre sur le fil du haut pour récupérer les spores de l’atmosphère.
Une fois les analyses réalisées, Baas livre un graphique actualisé à chaque relevé. Sur les parcelles suivies en 2021, l’entrepreneur a vu l’explosion de la maladie arriver avant les symptômes : il a observé un énorme pic le 14 juillet, alors que seulement 0,3 feuille par pied était touchée. Quelques jours après on en voyait trois par pied. À l’inverse, le pic observé en avril n’a pas été impactant car les dix jours qui ont suivi ont été froids et secs. « Ce qui montre la pertinence de prendre les deux en compte, estime Jérémie Brusini. Nous sommes d’ailleurs en train de travailler sur un OAD qui puisse donner le risque d’installation du pathogène. » Pour lui, l’intérêt de connaître les sporées est aussi de pouvoir traiter sur les spores plutôt que sur le mycélium, ce qui donnerait aux traitements une efficacité optimale. « Plusieurs études montrent que la phase de germination est cruciale, dévoile-t-il. Elle demande beaucoup d’énergie et elle est le théâtre de nombreuses voies métaboliques. Traiter à ce moment serait plus pertinent qu’une fois que le mycélium est en place. »
voir plus loin
L’Espagne n’est pas en reste sur cette thématique puisqu’elle finance le projet VitiCast, dont le but est de développer un modèle prédictif qui prend en compte condition météo, phénologie, concentration de spores et prévisions météo. Un capteur actif dirige l’air de la parcelle vers un tambour doté d’une bande en silicone qui retient les spores. Cette dernière est ensuite étudiée au microscope au labo par un expert qui fait le décompte.