« L’Indice de régénération m’aide à améliorer mes pratiques », Victor Moreaud, vigneron à Saint-Émilion
Engagé dans l’agroécologie, le vigneron Victor Moreaud utilise un Indice de régénération des sols pour mesurer l’efficacité de ses actions. Reportage.
Lorsque Victor Moreaud, vigneron en Gironde à Saint-Émilion, reprend la gestion des vignes familiales à la suite de son père en 2012, il lance le vignoble dans une véritable transition. Rapidement, il arrête le désherbage chimique pour passer au mécanique. Il rejoint le réseau de fermes Dephy en 2016 puis entame le passage en agriculture biologique en 2018. « N’étant pas ingénieur agro, je me suis beaucoup cherché », avoue le vigneron. Cette même année, il découvre le mouvement de l’agroécologie. « Et tout s’est mis en ordre dans mon esprit, raconte-t-il. Pour l’ancien paysagiste que je suis, ces pratiques inspirées par le végétal donnaient du sens à la culture de la vigne. »
Sans perdre de temps il s’essaie aux engrais verts sur quelques parcelles, un rang sur deux avec des mélanges simples. Puis il étend les surfaces couvertes, passe tous les rangs, complexifie les mélanges, troque la tonte pour le roulage. Mais comment savoir si son intuition le mène sur le bon chemin ? « J’ai une approche assez scientifique du métier. Je sais que la nature nous surprend toujours, note le vigneron. J’ai toujours eu l’habitude de mettre en place des indicateurs de suivi. Quand j’ai appris l’existence de l’Indice de régénération, avec son approche non clivante entre bio et conventionnel, j’ai tout de suite été séduit. » Cet indice, créé par l’association Pour une agriculture du vivant (PADV) et proposé depuis 2021 (voir encadré), permet à Victor Moreaud d’évaluer ses pratiques et d’obtenir un score sur 100. Il est disponible en ligne, en accès gratuit pour les viticulteurs, sur la plateforme agroecologie.org. La prise en main a été assez facile, selon lui. Il a commencé à se faire une idée avec un itinéraire simplifié en une quinzaine de minutes. Avant de se lancer dans une analyse plus fine, en détaillant exactement toutes ses pratiques et en distinguant les trois îlots de la propriété, ayant chacun leurs nuances.
De chaque pratique découle un score, pondéré pour donner l’indice global
Plus concrètement, il a répondu à des questions dans un formulaire. On y trouve en premier lieu le taux de couverture du sol, en fonction de la surface ainsi que de la durée dans l’année. Mais aussi le nombre d’espèces que contient le couvert et la présence ou non de légumineuses. Puis il y a des questions sur le travail du sol, sur le rang et sur les interrangs. Le type d’intervention (travail du sol, tonte, roulage…), le nombre de passages dans l’année sont à détailler. De même que les apports de matière organique. « En gros, plus c’est frais et moins c’est minéral, mieux c’est ! », résume Victor Moreaud. Il renseigne également la biomasse produite par les couverts végétaux, avec une technique simple. « Nous avons testé la méthode Merci, mais c’est très précis et chronophage, explique-t-il. Nous utilisons donc un petit calcul très simple : est-ce que le couvert arrive à la cheville, aux genoux ou à la hanche ? Est-il moyennement dense, dense ou très dense ? En croisant cela, on obtient un ratio, ce qui nous suffit. » Le questionnaire se poursuit par l’IFT, les potentielles pratiques d’agroforesterie, et les actions pour la biodiversité. Chaque item donne une note, pondérée pour déterminer un score sur 100. L’an dernier, Victor Moreaud a obtenu le très honorable résultat de 73/100, le meilleur score actuellement enregistré par l’association PADV dans la filière viticole.
Le taux de couverture des vignes du domaine atteint 89 %
Notre vigneron s’est d’ailleurs amusé à calculer cet indice du temps de son père et du temps de sa transition vers le bio. Et à sa grande surprise, il ne faisait alors pas mieux que son père : 29/100 en 2016, lorsqu’il a arrêté le glyphosate, contre 34/100 avec l’ancien système de production. « Cela m’a fait mettre le doigt sur l’importance du sol et de son entretien », confie le vigneron. Il l’assure, cet indice participe au pilotage de sa stratégie agroécologique. Chaque année, il fait le bilan et repère les leviers qu’il peut actionner pour être plus vertueux. C’est ainsi qu’il s’est aperçu qu’il pouvait améliorer encore le taux de couverture annuel. Aujourd’hui, il laisse ses sols entièrement couverts pendant les six mois d’hiver. En saison végétative, il ne travaille le sol que sur le rang, ce qui représente un tiers de la surface. Et encore, certaines parcelles, les plus vigoureuses, sont entièrement couvertes et tondues en intercep. Sur l’interrang, le seul travail du sol intervient à la fin de l’été pour les semis, avec un passage de disques suivi d’un semoir combiné installé sur une herse rotative. Les couverts sont roulés au rolofaca au printemps, puis avec un petit rouleau cage à chaque passage d’intercep, pour gérer ce qui repousse. Du côté des rendements, le domaine affiche une moyenne olympique à 45 hl/ha, légèrement en dessous de ceux de ses parents, à 50 hl/ha.
Depuis l’an dernier, Victor Moreaud a décidé d’aller encore plus loin. « J’avais une appétence pour les arbres, et je voyais bien par cet indice que c’était un moyen d’aller plus loin dans la régénération des sols », indique-t-il. Le domaine s’est ainsi engagé dans une démarche d’agroforesterie sur la quasi-totalité des parcelles. Un investissement peu banal sur les terres des saint-émilion-grand-cru…
La théorie validée par la pratique
L’association Pour une agriculture du vivant (PADV) s’est lancée dans la création de cet Indice de régénération, en 2019, pour aider les agriculteurs et viticulteurs dans leur transition agroécologique. « Nous cherchions des indicateurs qui permettent de voir rapidement si l’on va dans la bonne direction, explique Alexandre Boidron, en charge du projet chez PADV. Nous avons pris le parti de nous focaliser sur les pratiques, qui sont corrélées au bon fonctionnement du sol. » Pour construire cet indice, l’association s’est basée sur les résultats de pratiques chez des viticulteurs expérimentant l’agroécologie depuis quinze ans, voire davantage. Puis elle a fait valider la pertinence de ces indicateurs par un conseil scientifique, composé de chercheurs venant d’horizons divers (Inrae, Cirad…). Le cadre de l’évaluation est également certifié par Bureau Véritas. Une version actualisée est en cours de finalisation, avec quelques ajustements sur des seuils et pondérations, mais aussi sur l’ergonomie, pour une prise en main et une utilisation facilitées.
repères
Famille Moreaud
Châteaux Cormeil-Figeac, Magnan-Figeac, Lamarzelle Cormey
Surface 25 hectares
Dénomination AOP saint-émilion-grand-cru
Encépagement 75 % merlot, 25 % cabernet franc
Effectifs 6 temps pleins plus des saisonniers
Production 150 000 cols par an
Distribution CHR, export, vente directe