« Le Conseil stratégique phytosanitaire nous a confirmé qu’on était dans la bonne voie »
Jean-Paul Labaille, vigneron à Sancerre, s’est décidé à réaliser son conseil stratégique phytosanitaire, une obligation réglementaire à laquelle peu de domaines se sont encore conformés.
Jean-Paul Labaille, vigneron à Sancerre, s’est décidé à réaliser son conseil stratégique phytosanitaire, une obligation réglementaire à laquelle peu de domaines se sont encore conformés.
Le conseil stratégique phytosanitaire (CSP) est issu de la loi de séparation des activités de vente et de conseil des produits phytosanitaires, elle-même née de la loi Egalim (octobre 2018). Il est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Il est obligatoire de l’avoir réalisé d’ici le 31 décembre 2023, pour toute exploitation viticole de plus de 2 hectares, et n’étant ni certifiée bio ni HVE. Ce document est indispensable pour obtenir un renouvellement du Certiphyto. Il doit être réalisé par un conseiller indépendant agréé.
Devoir justifier d’un CSP pour renouveler le Certiphyto décideur de deux personnes de l’exploitation a motivé Jean-Paul Labaille, à la tête du domaine Thomas-Labaille, à Sancerre, en Centre-Val de Loire. Il a réalisé son conseil stratégique phytosanitaire en mars dernier, les Certiphyto étant à renouveler au 1er janvier 2024. « Sinon j’aurais probablement attendu encore », avoue-t-il.
Les thèmes à aborder sont définis par un arrêté
« La chambre d’agriculture nous a dit qu’elle était surbookée et nous a renvoyés sur le Sicavac », raconte-t-il. Cet organisme technique interprofessionnel dédié aux viticulteurs du Centre-Loire s’est agréé pour pouvoir réaliser des CSP. « Nous les connaissons bien. Ils sont spécialisés vigne donc vraiment à même d’analyser notre exploitation », apprécie Jean-Paul Labaille.
Le cadre du CSP est défini par un arrêté, rappelle Marie Thibault, conseillère en viticulture et œnologie au Sicavac. Si la présentation du document peut varier d’un conseiller à l’autre, les points observés, eux, seront les mêmes. La première partie est un diagnostic. « On fait le point sur le Certiphyto décideur, on dresse un diagnostic général de l’exploitation : forces, faiblesses, équipement, main-d’œuvre, contraintes parcellaires, types de sol… On recense les pratiques actuelles et on identifie les marges de progrès. On calcule l’IFT sur trois ans », décrit Marie Thibault. Le choix des produits en fonction des millésimes est analysé pour montrer des marges de progrès. Sont identifiés les enjeux environnementaux et santé. Pour les riverains et les cours d’eau, s’il y a des parcelles concernées, le conseiller regardera ce qui est fait.
La seconde partie définit le plan d’action pour faire évoluer l’exploitation vers un moindre usage des produits phytosanitaires. Le plan est discuté avec l’exploitation en fonction de ses objectifs technico-économiques et des projets à court et moyen terme. « On propose des leviers : travail du sol, biocontrôle, adaptation des doses par rapport au volume foliaire, respect de la réglementation vis-à-vis des riverains et des cours d’eau, du contrôle obligatoire des pulvés… », énonce la conseillère.
Le référentiel est vraiment centré sur les phytosanitaires
Le rendez-vous dure 2 h 30. La synthèse et le certificat sont envoyés ensuite. Dans le cas du domaine Thomas-Labaille, le CSP n’a pas demandé de préparation particulière. « Toutes les informations sur les traitements sont enregistrées dans un cahier. De plus, avant le Covid, on avait constitué un prédossier dans l’idée de demander une certification HVE », explique le vigneron. Marie Thibault estime d’ailleurs que le référentiel est beaucoup moins détaillé que pour la HVE. La fertilité et la biodiversité ne sont pas abordées.
« Le conseiller nous a indiqué les produits qui vont disparaître et a suggéré des alternatives. Mais nous, nous sommes déjà au point », estime le vigneron. Conscient des évolutions futures du cahier des charges de son appellation et de l’environnement réglementaire, il préfère anticiper. « Nous n’utilisons plus de CMR depuis deux à trois ans, et plus de désherbant sauf dans une parcelle très pentue. Ça ne représente pas plus de 10 % de la superficie du domaine. Depuis trois à quatre ans on travaille les sols et on s’est équipé », détaille-t-il.
Une prestation facturée 600 euros HT
Dans son plan d’action, il a notamment inscrit le souhait de réinvestir encore pour le travail du sol et une certification HVE. Mais Jean-Paul Labaille n’est pas pressé.
Le CSP a été facturé 600 euros HT. À quoi lui a-t-il servi ? « Cela peut aider des gens qui ne sont pas encore dans une démarche de réduction, mais nous, cela ne nous a rien appris », lance Jean-Paul Labaille. S’il reconnaît que l’établissement du CSP requiert du travail, il juge que « c’est cher pour quelque chose qui nous est imposé et dont on pourrait bien se passer ». Il admet toutefois que le CSP permet de faire un bilan. « Ça nous a confirmé qu’on était dans la bonne voie, et qu’on pouvait continuer ainsi à progresser sans aller forcément vers le bio, positive-t-il. Nous avons pu calculer les IFT et voir qu’on pouvait être HVE. »
Marie Thibault regrette que beaucoup de viticulteurs prennent cette obligation uniquement comme une contrainte. « Parfois, il y a un produit qui va interpeller et l’exploitation va alors chercher à le remplacer. Mais il n’y a pas de grosses remises en question », constate-t-elle. C’est pour elle une certitude, le Sicavac n’aura pas fait tout le vignoble avant la fin de l’année.
« Le fait d’être conseiller viticole indépendant donne plus d’écoute »
Trois questions à Benoît Ab-der-Halden, président du cabinet viticole Saint-Vincent.
Conseiller indépendant spécialisé en viticulture basé à Toulon, Benoît Ab-der-Halden a déjà réalisé une vingtaine de CSP individuels.
Pourquoi à trois mois de l’échéance réglementaire, le CSP est-il aussi peu pratiqué ?
Le prix est un facteur bloquant. Le tarif des chambres d’agriculture est autour de 600 euros. Le nôtre va de 250 euros à 500 euros HT, selon que les données sont à ressaisir dans notre outil ou déjà informatisées. L’autre problème est la communication. Il faut l’avoir réalisé avant le 1er janvier 2024 mais beaucoup pensent que l’on peut attendre le renouvellement d’un Certiphyto.
Comment vos clients perçoivent-ils ce conseil ?
Certains veulent juste avoir leur attestation mais assez vite, ils comprennent qu’ils sont passés à côté de beaucoup d’obligations et qu’il y a un risque réglementaire et sanitaire à ne pas être en règle sur des points tels que le local phyto, l’aire de lavage, le contrôle technique des pulvés… Sur la vingtaine de CSP que j’ai réalisés en individuel, je constate que la plupart ont une envie d’évoluer. Le fait d’être conseiller indépendant donne plus d’écoute.
Comment est établi le plan d’action ?
Il y a déjà la mise à niveau réglementaire. Puis on discute d’objectifs à partir des fiches actions des CEPP. Un viticulteur envahi par l’érigéron va trouver un intérêt à se lancer dans le désherbage mécanique et donc on examinera les possibilités. Un autre va se rendre compte que son IFT est trop élevé. On va envisager un OAD et une station météo pour traiter moins systématiquement. À chaque fois, on chiffre et on adapte. Entre la vallée du Rhône et la Provence, ce ne sont pas les mêmes contraintes économiques.
repères
Domaine Thomas-Labaille
Surface 11 hectares
Encépagement sauvignon, pinot noir
Dénominations AOP sancerre blanc, rouge, rosé
Commercialisation export 70 %, France 30 % dont 10 à 15 % vente au caveau.
Prix départ cave à partir de 15 euros la bouteille.
Un dispositif appelé à évoluer
La séparation des activités de vente et de conseil de produits phytopharmaceutiques a fait l’objet d’un bilan réalisé par un groupe de travail parlementaire. Les conclusions présentées le 12 juillet dernier, à la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale font état d’un « bilan très mitigé » et considèrent que « le statu quo n’est pas envisageable ». Les rapporteurs pointent notamment la « faible application » des dispositifs et l’insuffisance de l’offre de conseil.
Au 22 mai 2023, seuls 9 280 conseils stratégiques phytosanitaires avaient été délivrés par les chambres d’agriculture, ces dernières représentant environ la moitié des conseils stratégiques délivrés. Un chiffre très modeste au regard des quelque 235 000 exploitations concernées. Parmi les évolutions préconisées, les parlementaires évoquent une adaptation du calendrier ; un retravail des référentiels ; une augmentation du nombre de conseillers. Ils suggèrent aussi que la mission de conseil stratégique soit confiée aux chambres d’agriculture, avec le cas échéant, des partenariats formalisés avec d’autres structures de conseil.