L’agro-écologie à un tournant
En faisant de l’agro-écologie son cheval de bataille, Stéphane Le Foll, a réussi à l’ancrer dans le débat public. Le nouveau gouvernement devrait poursuivre dans cette voie, mais c’est désormais à la société d’opérer la transition.
En faisant de l’agro-écologie son cheval de bataille, Stéphane Le Foll, a réussi à l’ancrer dans le débat public. Le nouveau gouvernement devrait poursuivre dans cette voie, mais c’est désormais à la société d’opérer la transition.
S’il est un combat de Stéphane Le Foll que l’on retiendra, c’est bien celui de l’agro-écologie. Après son départ du ministère de l’Agriculture, il est légitime de se poser la question de ce qu’il adviendra du sujet. Car, même si le mot d’agro-écologie est encore sur beaucoup de lèvres en cette fin d’année, comme un reste de la politique volontariste de l’ex-ministre en la matière, la transition loin d’être opérée. Il faut dire que l’agriculture est en crise, et que si l’agro-écologie est un pari, c’est aussi un investissement. Pour une frange de la production, cela représente justement une solution, une opportunité pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Mais nombreux sont ceux qui se demandent si l’on a les moyens de prendre un tel risque. À commencer par Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, pour qui le virage que l’on prend suppose que les exploitations soient en bonne santé financière.
Pour l’heure, l’engagement politique du nouveau gouvernement sur le sujet est encore flou. Il est difficile de dire si l’appui de l’agro-écologique sera aussi fort que sous l’ère Le Foll. Emmanuel Macron ne s’est d’ailleurs pas tellement approprié cette notion. Ses propositions pour l’agriculture, explicitées lors de sa campagne, vont toutefois dans le sens de l’environnement. Le candidat proposait notamment des paiements pour services écologiques, à hauteur de 200 millions d’euros, afin de compenser les bonnes pratiques agricoles et accompagner la conversion.
Le gouvernement s’inscrit dans la continuité du projet
Le nouveau ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, estime quant à lui qu’« il faut donner toutes ses chances à l’agro-écologie ». Il a d’ailleurs soutenu l’ancien ministre en tant que parlementaire. Pour lui, le travail de Stéphane Le Foll est un point de départ, auquel il souhaite « apporter des éléments de pragmatisme ». Il y a par ailleurs fort à parier qu’il sera soutenu dans cette politique par Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire. Et ce d’autant plus que Stéphane Le Foll est loin d’avoir laissé une coquille vide à son successeur. Bon nombre d’actions auront des répercussions durables dans le temps. Il a tout d’abord fait entrer la notion d’agro-écologie dans la loi d’Avenir de l’agriculture, promulguée en octobre 2014. Il est désormais exigé par le Code Rural que, entre autres, « les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agro-écologiques ». Il a ensuite œuvré pour que la recherche et l’enseignement prennent le sujet à bras-le-corps. Ce qui est chose faite pour l’Inra, puisque l’agro-écologie constitue l’un de ses trois chantiers prioritaires de prospective scientifique dans l’orientation stratégique à horizon 2025. En ce qui concerne l’enseignement, la notion est peu à peu intégrée dans les référentiels de diplômes délivrés par le ministère de l’Agriculture. Une centaine de référents « Enseigner à produire autrement » ont par ailleurs été nommés, et les exploitations agricoles des lycées ont été engagées dans la transition.
Une forte adhésion dans les services du ministère
Un MOOC (formation en ligne ouverte à tous) sur l’agro-écologie a également été lancé, totalisant plus de 12 000 inscrits lors de la première session fin 2015. Et l’ancien ministre ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a également déposé à Bruxelles, au nom de la France, le texte de proposition pour la PAC 2020, dans lequel sont fixés des objectifs de biodiversité, taux de matière organique et de couverture des sols. Pour finir, il a nommé au sein du ministère un « Chef du projet agro-écologique », censé perdurer dans le temps. « Certes, cette dynamique peut être freinée si la politique devient moins volontariste, convient Stéphane Le Foll. Mais à l’heure de mon départ, j’ai observé une forte adhésion au projet dans les services du ministère. L’état d’esprit y est. Il n’y a pas de raison d’être défaitiste pour l’avenir. » Une adhésion qui va bien au-delà des murs de la rue de Varenne. La filière vin s’est d’ores et déjà emparée du sujet. Avec à la clé un « guide de l’agro-écologie en viticulture » publié par l’IFV, mais aussi l’intégration des mesures agro-environnementales dans les cahiers des charges des appellations par l’Inao. Certaines ODG ont d’ailleurs déjà franchi le pas, à l’instar des bordeaux et bordeaux supérieurs. Un engagement fort, pour lequel on imagine mal un possible retour en arrière. Dans la société civile, l’écho résonne tout autant, comme en témoigne Olivier Hébrard, chargé de mission pour l’association agro-écologiste Terre et Humanisme : « la politique de ces dernières années a dynamisé notre structure, nous avons du mal à répondre à tout le monde ». Ce qui est d’ailleurs une bonne chose pour Aline Boy, adjointe au chef de projet agro-écologique du ministère. « Il faut maintenant que ce soit porté par les agriculteurs et par la société, martèle-t-elle. Le ministère ne doit être qu’un accompagnateur. »
Une définition de l’agro-écologie à recadrer
Un avis que partage Véronique Lucas, sociologue à l’Inra. « Le salut de l’agro-écologie viendra de la pression sociétale et des agriculteurs qui sont dans l’impasse », renchérit-elle. Mais cette démocratisation croissante du sujet a aussi ces effets pervers. Car n’ayant pas de définition précise, de plus en plus de personnes utilisent le terme pour parler de pratiques respectueuses de l’environnement en agriculture. Or Stéphane Le Foll, en lançant le projet, avait en tête une définition de l’agro-écologie assez précise, mais aussi technique, basée sur la couverture des sols, la biodiversité et la matière organique (voir encadré). Stéphane Travert considère quant à lui que « c’est une agriculture proche des citoyens, des consommateurs et qui respecte l’environnement, dans l’objectif de laisser une planète propre », ce qui est pour le moins vague. Une telle définition laisserait la porte ouverte à la chimie verte, par exemple, qui diffère avec l’idée d’une gestion des potentialités offertes par les écosystèmes. Une autre différence de taille entre les deux ministres sera sans doute la détermination. Stéphane Le Foll suivait son cap, et n’avait pas peur de passer en force s’il le fallait, comme l’a montré le dossier des CEPP. Stéphane Travert a annoncé qu’il souhaitait « accompagner la transition dans le temps » et « ne pas brusquer les choses ». S’il est probable que la mutation de l’agriculture française suive à moyen terme le projet impulsé par Stéphane Le Foll, il est également possible qu’elle ralentisse. À moins que les agriculteurs et la société civile ne deviennent les véritables moteurs de cette mutation, en n’en galvaudant pas le sens…
La définition de l’agro-écologie, telle qu’elle a été introduite par Stéphane Le Foll est une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement et à préserver les ressources naturelles. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement (diversification des cultures, allongement des rotations…). Les notions de performances sociale et économique y ont été associées dans la loi d’Avenir pour l’agriculture de 2014.