L’accès à l’eau, un enjeu vital pour la viticulture française
Si certains viticulteurs pourront facilement avoir recours à l’irrigation, de nombreux vignobles seront confrontés aux problématiques de disponibilité ou de coût.
Si certains viticulteurs pourront facilement avoir recours à l’irrigation, de nombreux vignobles seront confrontés aux problématiques de disponibilité ou de coût.
Pendant longtemps, la question de l’irrigation est restée une problématique cantonnée à l’arc méditerranéen. À la faveur du réchauffement climatique, la question s’ouvre désormais à tous les vignobles de l’Hexagone. Et pour cause, la sécheresse de 2015 a prouvé que le stress hydrique intense pouvait toucher l’ensemble des bassins. « Nous avons eu cette année un stress marqué comme jamais, avec des flétrissements et des chutes de feuilles », illustre Frédéric Schwaerzler, conseiller viticole à la Chambre d’agriculture d’Alsace, qui ne manque pas de rappeler que les vignes sont irriguées outre-Rhin. Si l’irrigation devait se généraliser sur le vignoble français, quel accès à l’eau serait réservé aux viticulteurs ?
Sur le pourtour méditerranéen, l’acheminement de la ressource est favorisé par l’implantation de deux sociétés majeures. Celle du Canal de Provence, qui dispose d’un important potentiel grâce à des retenues d’eau dans les Alpes (comme le barrage de Serre-Ponçon), et BRL, qui distribuera l’eau du bas-Rhône jusqu’à Béziers dès l’achèvement du projet « AquaDomitia ».
Un accès facile, à condition d’être à proximité du réseau
Ces deux sociétés présentent un potentiel important, car les prélèvements maximums autorisés dans le Rhône sont loin d’être atteints, et l’eau est abondante dans les Alpes. Mais lorsque l’on s’éloigne du réseau, l’accès se complique, obligeant les viticulteurs à pomper dans les nappes et les cours d’eau secondaires. « Ces masses d’eau du bassin sont plus fragiles, informe Laurent Roy, directeur de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. C’est pourquoi notre agence subventionne jusqu’à 80 % les démarches visant à mieux utiliser l’eau. Il peut s’agir du passage d’un réseau gravitaire à un réseau sous pression, qui permet 90 % d’économie, ou encore des systèmes de stockage. »
En Bourgogne, dans la vallée du Rhône ou encore en Alsace, il y a fort à parier que si l’irrigation s’installait dans le vignoble, les ressources en eau seraient suffisantes. « En Alsace, nous sommes dans un contexte où il y a plutôt trop d’eau que pas assez, et la plaine agricole dispose déjà d’un réseau développé », informe Florence Chaffarod, responsable communication de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse. Mais il n’en va pas de même dans le bassin Loire-Bretagne, selon Pascal Billault, de l’agence locale. « Nous avons des territoires très agricoles, où il existe déjà de nombreux conflits d’usage en été, explique-t-il. Cela risque de limiter le développement de nouvelles utilisations. » Si un petit potentiel reste exploitable entre le Sancerrois et la Touraine, ainsi qu’à proximité de Nantes, des régions comme l’Aubance, le Layon, Reuilly ou Quincy ont atteint leur capacité d’irrigation maximale. Dans le bassin Adour-Garonne, où l’irrigation représente 70 % des prélèvements estivaux, la ressource est tout autant disputée. En 2013, 85 des 143 bassins locaux étaient identifiés en déséquilibre quantitatif, et 20 % des cours d’eau présentaient des débits insuffisants. Ainsi, l’une des quatre orientations du SDAGE 2016-2021 sera de réduire la pression sur la ressource.
Les contrôles de la police de l’eau sont de plus en plus nombreux
La fragilité croissante des masses d’eau sur l’ensemble du territoire pousse par ailleurs les services publics à renforcer les contrôles aux exploitations. « À partir de 1 000 m3 par an, un forage doit être déclaré en mairie, rappelle Chalotte Courbis, du service de la police de l’eau de l’Hérault. Entre 10 000 et 200 000 m3 par an, il faut déclarer les prélèvements à la DDT, et au-delà l’exploitant a besoin d’une autorisation. » Les viticulteurs prélevant dans une nappe ou un cours d’eau doivent donc obligatoirement disposer de compteurs, afin de justifier leur consommation.
Mais au-delà de la question de la disponibilité, se posera aussi celle du coût. « Nous pourrions techniquement amener l’eau du Rhône en Corbières, explique Jacques Rousseau, de l’ICV, mais au prix d’un investissement très lourd. Je ne pense pas que cette possibilité soit économiquement rentable. » Grâce aux subventions de l’Europe, les vignerons de Roquebrun, dans l’Hérault, ont pu accéder à l’eau moyennant 1 700 euros par hectare (lire ci-dessous). Avec la refonte des Régions et la préparation de nouveaux plans de développement ruraux régionaux (PDRR), il n’est pas dit que l’irrigation soit toujours subventionnée après 2020. Le coût des installations serait alors à multiplier par cinq…
Les eaux recyclées, une voie d’avenir prometteuse
Plutôt que de rejeter les eaux issues de station d’épuration dans la nature, pourquoi ne pas les réutiliser pour l’agriculture ? Telle est la question à l’origine du projet collaboratif Irri-Alt’Eau. Depuis 2013, la cave de Gruissan, dans l’Aude, et l’Inra de Pech Rouge testent l’impact d’une telle pratique sur la vigne. « Le but est de démontrer sa faisabilité et vérifier ses effets sur le long terme », explique Jean-Louis Escudier, ingénieur de recherche à l’Inra. Pour ce faire, les chercheurs ont récupéré les eaux de sortie de la station d’épuration de Narbonne, puis les ont filtrées et traitées aux UV, avant de les utiliser grâce à un système goutte-à-goutte. Les premiers résultats sont encourageants, puisque, comparé à une eau potable, il n’y a pas de différence significative sur les aspects agronomiques ainsi que sur la composition des moûts et vins. Cette pratique est utilisée depuis plusieurs années en Afrique du Sud et en Espagne sans souci. Si la réglementation française l’interdit à l’heure actuelle, elle constitue pourtant une bonne opportunité, en particulier pour les viticulteurs éloignés des canaux d’irrigation.
350 hectares irrigués grâce à l’ASA de Roquebrun
Pour accéder à l’eau, l’un des moyens les plus répandus est de créer une Association syndicale autorisée (ASA). C’est ce qu’ont fait les viticulteurs et quelques particuliers de la commune de Roquebrun, dans l’Hérault, sur l’aire d’appellation de Saint-Chinian. « Nous sommes sur un terroir de schistes très arides, explique André Castel, président de l’ASA et ancien président de la cave coopérative du village. Depuis 2003, nous connaissons régulièrement de très forts stress hydriques sur nos coteaux, allant jusqu’aux feuilles grillées et aux blocages de maturité. » Il a donc décidé d’agir, et de monter un dossier de constitution d’ASA destinée au captage d’eau et à l’irrigation. Pour cela, il a dû faire appel à un bureau d’études, afin d’évaluer l’impact sur la ressource. Les considérations techniques du projet ont d’ailleurs été étudiées avec attention par l’Agence de l’eau. En parallèle, le viticulteur a recherché des financements auprès de l’Europe et de la Région, via le fond Feader. « Des élus européens sont venus sur place une journée, nous leur avons expliqué notre problématique, se remémore le président de l’ASA. Au final, sur les trois millions d’euros nécessaires au projet, nous avons été subventionnés à hauteur de 80 % du montant total hors taxes. » Il aura fallu cinq ans (dont seulement huit mois de travaux) avant de pouvoir irriguer pour la première fois. « Ce n’est pas une démarche difficile, mais il faut beaucoup de patience », avoue le président. Aujourd’hui, la station de pompage capte l’eau de l’Orb, et permet de fournir environ 80 viticulteurs, sur un périmètre défini de 350 hectares. Le réseau comprend 30 kilomètres de canalisations enterrées, et 100 bornes d’irrigation assurant une pression de 3,5 bars chacune. « Cela n’a pas été une mince affaire, puisque le parcellaire très morcelé, et en coteaux », précise André Castel. Pour accéder au service, les irrigants doivent adhérer à l’ASA. Ils acquittent alors un montant lié au coût d’investissement (au prorata de leur surface) puis un autre lié au coût de fonctionnement, composé d’un abonnement de 50 euros par hectare et par an et la consommation d’eau, au tarif de 16 centimes par mètre cube. « En échange de cela, les viticulteurs disposent de trois à quatre tours d’eau dans la saison », conclut le président.