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La filière vin repart en campagne européenne

Le renouvellement du Parlement européen ouvre une nouvelle phase pour la filière vin sur fond de contexte économique tendu. État des lieux.

Brussels, Belgium - January 20, 2023: Interior of the plenary room of the European parliament in Brussels, Belgium
La filière vin devra s’adapter à la nouvelle composition du Parlement.
© olyasolodenko - stock.adobe.com

Outil de régulation du marché, OCM vitivinicole et PAC, promotion à l’export, assurance récolte et moyenne olympique, image du vin, information des consommateurs… les dossiers vitaux pour le vin se plaident au niveau européen. Or les résultats des élections européennes bouleversent la représentation française au sein du Parlement européen. Le renouvellement est très fort puisque 60 % des eurodéputés français élus le 9 juin dernier ne siégeaient pas dans le précédent Hémicycle. C’est donc toute une connaissance des dossiers et des rouages européens qui s’affaiblit pour les mois qui viennent, dans un contexte de crise. Le travail de sensibilisation aux spécificités du secteur vitivinicole auprès des élus et de leurs collaborateurs est à recommencer pour les responsables de la filière.

Le poids des eurodéputés français au sein des groupes politiques européens s’est aussi modifié profondément. « Les résultats qui ressortent des élections européennes ne sont pas favorables pour que la France ait du poids dans les instances européennes, s’alarmait Joël Boueilh, lors du congrès des Vignerons coopérateurs, le 27 juin dernier. Les députés qu’on a envoyés vont se retrouver dans l’opposition par rapport aux groupes majoritaires. »

Les nouveaux élus moins sensibilisés aux questions viticoles

La crainte de la dilution de l’influence française se voit renforcée par la perte d’eurodéputés de profession ou de sensibilité agricoles et viticoles, fins connaisseurs des dossiers comme Irène Tolleret ou Anne Sander. Sur les 81 élus de cette nouvelle législature, une dizaine serait désireuse de s’investir sur les sujets agricoles. Le renouvellement du Parlement implique celui des différentes commissions parlementaires qui y sont formées. La filière espère pouvoir compter sur l'écoute des eurodéputés français qui rejoindront la commission agriculture (Comagri) et la commission environnement (Comenvi). La présidence de la commission de l’Agriculture devrait revenir au groupe conservateur ECR dominé par Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni et les Polonais du PiS (et où siègent certains des élus Reconquête)", indique Agrafil, le 10 juillet.

Lors de la précédente législature, la filière a pu travailler avec l’intergroupe Vins, spiritueux et produits agroalimentaires constitué au sein du Parlement. Sera-t-il à nouveau formé ? Ce n’est pas encore sûr, sa formation supposant une volonté au sein des groupes composant le parlement.

Ludovic Roux, en charge des dossiers européens chez Vignerons coopérateurs, s’interroge sur un changement éventuel d’équilibre au sein de ce nouvel Hémicycle. « La couleur politique du Parlement ne change pas tant que ça mais les coalitions pourraient évoluer. On ne sait pas si le PPE (Parti populaire européen), le groupe principal, penchera plutôt vers l’ECR (Européens conservateurs et réformistes) dominé par le parti de Giorgia Meloni ou ira du côté des écologistes », se demande-t-il.

Autre doute, celui de l’influence française au sein du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement. « Le conseil a un impact fort, et le président de la République va perdre de l’influence », projette Ludovic Roux. La France sera-t-elle toujours autant écoutée ?

La Commission européenne va elle-même faire l’objet d’un renouvellement. Le Parlement auditera et validera les nouveaux commissaires en octobre-novembre mais leurs noms sont déjà connus. La présidence de la Commission a, elle, été à nouveau attribuée à Ursula von der Leyen.

Un groupe à haut niveau consacré à l’avenir de la filière

Les réflexions stratégiques sur le secteur vitivinicole européen sont toutefois déjà enclenchées. La Commission européenne a annoncé la création d’un « groupe à haut niveau », motivé par la crise inédite qui embrase le secteur et dans la perspective de la prochaine PAC. « C’est une décision exceptionnelle, pointe Raphaël Fattier, directeur de la Cnaoc(1). Le précédent avait été constitué sur le maintien des autorisations de plantations. »

Le Conseil européen du 27 juin a tracé les grandes lignes qui orienteront la politique européenne dans son agenda stratégique 2024-2029. Il évoque l’ambition pour l’UE de promouvoir un secteur agricole « compétitif, durable et résilient ». La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne qui a échu à la Hongrie, du 1er juillet au 31 décembre 2024, a annoncé travailler avec une approche sectorielle. Le 7 octobre, le comité spécial Agriculture sera consacré au vin.

De leur côté, les principaux groupes politiques diffusent leurs orientations agricoles. C’est le cas du PPE, premier groupe politique, qui se positionne comme « le parti des agriculteurs ». Début juillet, il a annoncé souhaiter œuvrer pour « moins de bureaucratie dans la future PAC », rapportent nos confrères d’Agra Europe. Il dit vouloir « une révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et une modification ciblée du règlement de l’OCM pour améliorer la rémunération des agriculteurs » ou encore un développement des investissements dans l’agriculture de précision.

Travailler étroitement avec les syndicats européens

C’est avec cette toile de fond que la filière vins va tacher de faire entendre sa voix. L’échéance la plus immédiate est la première réunion du groupe à haut niveau prévue en septembre. « Ce sera un moment important, estime Ludovic Roux. Ce sont nos syndicats européens qui vont s’y exprimer. On a fait un travail de dialogue pour avoir des positions les plus communes possibles. » Seront présents les commissaires concernés, les États membres et les parlementaires. La recherche de consensus avec nos confrères européens se développe prioritairement sur trois axes, indique Ludovic Roux : « le changement climatique et les moyens d’adaptation ; la baisse de consommation, comment on l’appréhende, quelles sont les poches de progrès pour le vin traditionnel et les pistes innovantes pour des produits issus du raisin. Et enfin, l’axe de l’instabilité économique qui requiert une flexibilité des programmes nationaux pour être réactif. » L’accord avec nos voisins est-il au beau fixe ? « La façon dont on fonctionne est de porter les sujets sur lesquels nous sommes d’accord. Quand bien même nous sommes concurrents, si l’hygiénisme prend le dessus, c’est la catastrophe pour nous tous », illustre Ludovic Roux. Il rappelle qu’une grosse partie de nos réglementations découlent de dispositifs européens. Malgré les différences, l’heure est donc à l’union plutôt qu’à la dispersion.

(1) Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées

« Nous allons devoir travailler encore davantage avec les autres États membres »

Dans quel état d’esprit les représentants de la filière vin abordent-ils cette nouvelle mandature européenne ? Réponse avec Jérôme Bauer, président de la Cnaoc.

Pour Jérôme Bauer, président de la Cnaoc, l'harmonisation des règles au sein du marché unique fait partie des priorités, ce qui implique d'éliminer les ...
Pour Jérôme Bauer, président de la Cnaoc, l'harmonisation des règles au sein du marché unique fait partie des priorités, ce qui implique d'éliminer les surtranspositions. © Marie Faggiano

Quels dossiers prioritaires allez-vous défendre au niveau européen ?

Jérôme Bauer : Nous défendons d’abord une philosophie dans la préparation de la prochaine PAC : maintenir des règles spécifiques à nos AOC et IGP à travers l’OCM vin, demander un cadre réglementaire européen clair sans possibilité de surtransposition pour les États membres, défendre la culture du vin et de la modération.

Nous priorisons les dossiers sur les outils de régulation dont font partie l’arrachage et la pérennisation de l’outil « autorisation de plantation ». Sont également prioritaires pour nous la refonte de l’assurance récolte au niveau européen ainsi que les règlements sur la durabilité et la gestion des sols.

L’évolution des forces politiques au sein de la gouvernance européenne change-t-elle la donne ?

J. B. : Après la crise agricole, le « Green deal » défendu par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a été mis entre parenthèses, pour faire place au tout compétitivité et à la souveraineté. L’aile droite du Parlement sort renforcée de ces élections. À cela s’ajoute l’arrivée le 1er juillet pour six mois de la Hongrie dirigée par Viktor Orbán à la tête du Conseil de l’Union européenne. Quelle place demain pour la filière vin ? Nous en saurons plus lors de la tenue en septembre du groupe à haut niveau.

Comment la viticulture française va-t-elle faire entendre sa voix dans le nouveau contexte politique européen ?

J. B. : Nous allons devoir apprendre à travailler encore davantage avec les organisations viticoles des autres États membres. Nous le faisons déjà avec l’association européenne Efow qui défend les indications géographiques. Nous y collaborons étroitement avec l’Italie, l’Espagne et le Portugal qui en sont membres. Efow va se rapprocher de l’Arev, réseau de territoires, dont fait partie l’Allemagne.

La filière viticole française partage-t-elle la même vision du secteur que ses voisins européens ?

J. B. : Nous avons déjà défini un objectif commun pour la prochaine PAC : déterminer un cadre réglementaire et une politique viticole européenne permettant de répondre au marché et de créer de la valeur pour les acteurs du secteur. Nous avons toutefois des singularités, qu’il faut savoir prendre en compte, d’où la nécessité de défendre la création d’une boîte à outils la plus large possible, afin que chaque État membre puisse piocher ceux qui lui correspondent le mieux. Il n’y a pas forcément de désaccord, surtout des approches différentes !

Le groupe RN représente 37 % des eurodéputés français

Le Rassemblement national a envoyé la plus grosse cohorte d’eurodéputés français. Au sein du Parlement, c’est l’un des plus gros effectifs pour un seul parti. EELV (Verts/ALE) et Renaissance (Renew), qui avaient joué un rôle actif lors de la précédente mandature, perdent respectivement 7 et 10 députés.

Graphique : Le groupe RN représente 37 % des eurodéputés français - Évolution des eurodéputés français par groupes politiques
Graphique : Le groupe RN représente 37 % des eurodéputés français - Évolution des eurodéputés français par groupes politiques © Source : results.elections.europa.eu, résultats provisoires le 11/07/2024

La droite nationaliste se recompose

Composition de l’hémicycle européen 2024-2029

L’extrême droite du Parlement s’est renforcée et se restructure. Sous l’impulsion du Fidezs, le parti du hongrois Viktor Orbán, s’est constitué le groupe Patriots for Europe (PFE), auquel s’est joint le RN et ses 30 députés. Il pourrait être le troisième groupe du Parlement européen.

Graphique : La droite nationaliste se recompose - Composition de l’hémicycle européen 2024-2029
Graphique : La droite nationaliste se recompose - Composition de l’hémicycle européen 2024-2029 © Source : site results.elections.europa.eu, le 11/07/2024

Les dispositifs de plantation et restructuration audités

La pertinence du régime actuel d’autorisation de plantations et de la mesure de restructuration des vignobles a été questionnée par la Cour des comptes européenne. Dans son rapport Restructuration et plantation de vignobles dans l’UE, publié en septembre 2023, l’institution constate que la mesure restructuration et reconversion des vignobles « représente plus de 5 milliards d’euros sur la période 2014-2023 », une somme qu’elle juge « considérable ». Elle évoque un impact incertain sur la compétitivité et une ambition environnementale limitée. Elle recommande à la Commission « d’axer la mesure de restructuration et le régime d’autorisations de plantations sur le renforcement de la compétitivité et de relever le niveau d’ambition environnementale de la politique vitivinicole ».

Le statu quo des dispositifs actuels n’ira donc pas de soi dans le cadre des discussions sur l’évolution de l’OCM vitivinicole ! Si le régime d’autorisation de plantation est pour sa part prolongé jusqu’en 2045, un premier rapport d’étape est prévu en 2028.

Qui représente la filière Vin française auprès des institutions européennes ?

Tableau : Associations et confédérations européennes de la filière Vin
Tableau : Associations et confédérations européennes de la filière Vin © Source : Réussir

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