Enrichir avec des semi-concentrés
Durant deux ans, l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) pôle Bordeaux Aquitaine a testé l’impact organoleptique de l’enrichissement par un sous-produit de désucrage, tant sur blanc que sur rouge. Les résultats sont au rendez-vous, mais la technique se heurte à des freins réglementaires et organisationnels.
Durant deux ans, l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) pôle Bordeaux Aquitaine a testé l’impact organoleptique de l’enrichissement par un sous-produit de désucrage, tant sur blanc que sur rouge. Les résultats sont au rendez-vous, mais la technique se heurte à des freins réglementaires et organisationnels.
De 2014 à 2016, Emmanuel Vinsonneau, de l’IFV pôle Bordeaux Aquitaine, a mené des essais en vue de trouver des alternatives à la chaptalisation et de valoriser le produit secondaire obtenu lors du désucrage des moûts. Avec des résultats plutôt satisfaisants. En effet, en 2014, il a comparé le profil analytique et sensoriel d’un même vin de sauvignon chaptalisé, additionné de moût concentré rectifié (MCR), de moût concentré de qualité (MCQ), de semi-concentré (produit secondaire de désucrage par nanofiltration de jus blanc) ou encore obtenu par technique soustractive d’enrichissement (osmose inverse). Au final, seul l’enrichissement par MCQ a modifié le vin, les autres techniques donnant des résultats similaires à la chaptalisation. Le semi-concentré employé provenait de jus blanc et avait une concentration de 390 g/l de sucres, permettant une hausse du degré alcool de 1,5 % vol.
Un vin équilibré, avec des tanins qualitatifs
Dans un second temps, le chercheur a mené des essais en 2016, sur rouge de cabernet sauvignon cette fois, mais toujours avec succès. Le semi-concentré provenait d’un jus de merlot et affichait une concentration en sucres de 350 g/l, pour un objectif d’enrichissement de 1,5 % vol. Au final, "les résultats font apparaître quelques différences au niveau analytique, note le chercheur. Les vins enrichis par du moût concentré coloré ou par semi-concentré ont un potentiel polyphénolique supérieur et sont davantage colorés que ceux chaptalisés." Par ailleurs, le vin ayant bénéficié d’un ajout de semi-concentré a obtenu un potentiel polyphénolique et une intensité colorante modifiée supérieurs de 8 %. Le jury a apprécié et préféré notamment ce vin, jugé "équilibré en bouche, avec des tanins de qualité".
Ces résultats sont de bon augure, car l’utilisation du rétentat de désucrage permettrait de limiter drastiquement les pertes provoquées par cette technique de diminution du taux d’alcool (nanofiltration). Des pertes, qui selon Emmanuel Vinsonneau, sont autrement de l’ordre de 15 à 20 %. D’un point de vue pratique, le semi-concentré peut donc être obtenu rapidement en début de vendange par désucrage des vendanges trop riches. Il doit ensuite être conservé au froid, à 4°C, pendant toute la durée de la récolte. Ce produit, neutre d’un point de vue organoleptique et incolore (ou peu coloré), est facile à utiliser du fait de sa faible viscosité, et il s’incorpore en tout début de fermentation. Néanmoins, des investigations restent à conduire pour arriver à définir un protocole permettant de le conserver d’une année sur l’autre, par le biais de traitements physiques par exemple.
Des rétantats non définis d’un point de vue réglementaire
Malgré son intérêt, le déploiement d’une telle technique se heurte à plusieurs écueils, opérationnels et réglementaires. « En AOC, nous avons eu des expérimentations sur le désucrage des moûts et l’utilisation du rétentat, relate Philippe Doumenc, inspecteur national à l’Inao. Nous avons examiné cela avec la commission technique de l’époque. Le problème c’est que ces rétentats ne sont pas définis du point de vue réglementaire. À l’Inao nous avions considéré que, dans l’esprit d’une AOC, on pourrait faire ça si l’on est sur une même exploitation. Nous avions donc émis quelques limites dans le cas où la pratique viendrait à se développer. Mais il faut garder à l’esprit que le désucrage est une opération lourde et compliquée, qui survient au beau milieu des vendanges. En plus, nous travaillions avec des moûts chargés et, avec les problèmes de colmatage, nous n’arrivions pas toujours à un résultat très fiable. » Il n’en reste pas moins que "la technique du désucrage pourrait permettre, sans perte significative de volume et sans chaptalisation, de réaliser d’une part, des vins blancs secs plus adaptés au contexte du marché actuel, et d’autre part, des moelleux plus riches, en utilisant uniquement les produits de l’exploitation", comme s’en réjouit Emmanuel Vinsonneau.
Différentes méthodes permettent d’enrichir les moûts. On distingue celles qui sont additives, c’est-à-dire que l’on ajoute du sucre ou du moût concentré, des méthodes physiques de concentration, dites soustractives (osmose inverse et concentration sous vide). En ce qui concerne la première catégorie, la réglementation varie en fonction de la zone viticole concernée. Ainsi, le sucrage à sec, ou chaptalisation, est interdit dans les bassins d’Aix-en-Provence, de Nîmes, de Montpellier, de Toulouse, d’Agen, de Pau et de Bastia. « Il peut y avoir des dérogations dans des cas exceptionnels, comme les années où l’on manque de moût concentré rectifié (MCR) », souligne Philippe Doumenc, inspecteur national à l’Inao. Quant aux techniques soustractives, elles sont autorisées sur les rouges, avec une limite de concentration fixée à 10 % dans les moûts. « Et elles viennent juste d’être validées pour deux premiers cahiers des charges en rosé : le cabernet d’anjou et le rosé d’anjou », commente Philippe Doumenc.
Vers un retour des aides aux MC/MCR ?
La grogne continue de monter dans le Languedoc. Les vignerons du midi exigent toujours le retour des aides aux MC/MCR supprimées depuis les vendanges 2012. Et pour cause, les moûts concentrés sont essentiellement produits en Espagne et permettent d’écouler de gros volumes chaque année. Plus que l’enrichissement en lui-même, les viticulteurs souhaitent ainsi « réguler le marché franco-espagnol », selon Frédéric Rouanet, à la tête du syndicat des vignerons de l’Aude. Une demande qui sera certainement étudiée au sein du nouveau Comité mixte franco-espagnol, qui s’est réuni ce 25 juillet, et plus particulièrement, par le groupe de travail portant sur "les aspects réglementaires". Ce dernier vise notamment à établir des positions franco-espagnoles fortes sur les questions de politiques européenne et internationale…