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Des fermentations lentes pour des vins plus gras

Certains vignerons optent pour des fermentations alcooliques au ralenti. Cette méthode leur permet d’obtenir des vins plus complexes. Mais elle n’est pas sans risques.

« Tout est parti d’un constat empirique, explique Pierre Clément, vigneron au domaine de Chatenoy, à Mennetou Salon. J’ai remarqué que j’obtenais des blancs plus fins et plus gras quand les fermentations alcooliques (FA) traînent. » Une observation que partagent Arnaud Geschickt, du domaine de la Sinne et Maxime Barmès, du domaine Barmès Buecher, tous deux en Alsace. « En termes aromatiques, cela me donne la sensation d’avoir des vins plus profonds, commente Arnaud Geschickt. Ils peuvent paraître plus austères au premier nez, mais en réalité ils sont très complexes. » De son côté, Maxime Barmès loue les effets sur des cépages très variétaux, comme le gewurztraminer. « On ne sent pas que la rose ou le litchi, apprécie-t-il. On retrouve aussi des notes plus complexes d’épices ou de noix. »

Mais pour arriver au résultat final, les approches divergent. « Il faut vraiment que tout se passe bien et qu’il n’y ait pas d’arrêt de fermentation », assure Pierre Clément. Il fait fermenter ses vins directement, sans levurage. « Je les aère le moins possible et je laisse stabuler à 3 °C pendant environ dix jours. Ainsi, la multiplication des populations levuriennes va être très faible », détaille-t-il. Après quoi, il laisse la FA démarrer tout doucement. Il régule la température autour de 15 °C puis remonte jusqu‘à 17 °C dès qu’il avoisine 1 015 à 1 020 points de densité. Car c’est là que les choses se corsent. « Il y a un risque de développement bactérien très important quand on perd un point tous les trois jours. Il faut être très vigilant, prévient le vigneron. Pour ma part je fais aussi très attention au départ en malo, que je ne recherche pas sur sauvignon. » À ce stade-là, il s’autorise à ajouter deux à trois grammes de soufre. « Quand la FA patine, cela aide à redémarrer, constate-t-il. Et cela permet de bloquer les bactéries. »

Une à deux fois par semaine, il réalise un dosage des sucres, de l’acidité volatile et de l’acide malique, pour pouvoir intervenir avant toute déviation. « Et pour être sûr de terminer la fermentation, car je veux vraiment des vins secs », précise Pierre Clément. Si les levures montrent trop de signes de faiblesse, le recours au pied de cuve s’impose. « Le secret, c’est d’intervenir le plus tôt possible, assure le vigneron. Et surtout, de bien respecter le protocole. Je n’hésite pas non plus à rajouter des écorces de levures, qui sont totalement neutres en termes de goût. » Il recommande aussi de bien surveiller les températures. « Si les cuves sont équipées de serpentins, il vaut mieux que ceux-ci soient placés sur le bas de la cuve, au plus près des lies, car la FA n’est pas assez tumultueuse pour brasser la chaleur », illustre Pierre Clément. En l’absence de thermorégulation, le vigneron place un radiateur sous ses cuves, qu’il entoure de cartons pour bien garder la chaleur. « Je pratique cette méthode sur tous mes blancs depuis vingt ans et j’en suis très satisfait, indique-t-il. Mais il faut quand même être conscient que cela reste dangereux. Et malgré tout, quand deux tiers des vins n’ont pas fini de fermenter au mois de janvier, il m’arrive d’être inquiet. »

Redémarrer l’activité levurienne au printemps

Chez Arnaud Geschickt en revanche, rien d’anormal à ce que les FA soient en stand-by au mois de janvier. « Les fermentations s’arrêtent en novembre, au moment où les températures chutent. Les vins sont généralement autour de 1004-1010 points de densité, détaille-t-il. Puis elles redémarrent naturellement au mois de mars ou d’avril. » Il commence par soutirer ses vins, lorsque les degrés remontent. Cela lui permet d’enlever une partie des lies et d’apporter de l’oxygène, « ce que n’aiment pas du tout les bactéries », éclaire le vigneron. En cas de problème il rajoute 0,5 à 2 grammes de soufre, en fonction des besoins. « Et si le risque est vraiment trop important, nous utilisons des levures sèches actives », admet-il. Depuis quelques années, il congèle une partie de son levain indigène pour réensemencer au printemps. « Pour le moment le résultat n’est pas très concluant mais je poursuis mes essais. »

Des fermentations simultanées pour un résultat plus fondu

De son côté, Maxime Barmès pratique ce type de fermentations sur ses blancs depuis toujours. « Et honnêtement, il n’y a pas de problème », assure-t-il. Il presse d’abord ses raisins en grappes entières. « De ce que j’ai pu constater, cela me permet d’avoir des bourbes plus fines », confie-t-il. Et derrière, hors de question de pratiquer un débourbage trop serré. « J’élimine les particules les plus grossières mais je garde tout ce qui goutte bien, car c’est justement ça qui nourrit les levures », commente-t-il. Après cela, il sulfite ses jus à 2-3 grammes par hectolitre, et les transfère en foudres, en fûts ou en cuves inox. Les FA démarrent spontanément, trois à quatre jours plus tard. « Elles sont rapides et vigoureuses jusqu’à fin octobre, éclaire-t-il. On consomme environ 70 % des sucres pendant ce laps de temps. » En règle générale, la malo démarre en cours de FA. « Je ne veux surtout pas l’interrompre car c’est là qu’apparaissent les faux goûts, indique le vigneron. Et puis je trouve qu’avoir les deux fermentations en même temps permet de garder de la fraîcheur et de mieux intégrer la malo. » En parallèle, la fermentation alcoolique ralentit, avec la baisse des températures. « Mais il ne faut pas qu’elle s’arrête complètement, avertit le vigneron. Car après, c’est très difficile de faire repartir la FA au printemps. » Il déguste donc tous ses vins, une fois par semaine, pour vérifier que les levures sont toujours en activité. « Elles consomment très peu de sucres à ce moment-là, et le reste va être dégradé au printemps lorsque les FA reprennent de manière plus active. » Pour redémarrer l’activité levurienne, nul besoin de soutirage. « J’ai essayé au départ mais cela fatigue les vins plus qu’autre chose », estime-t-il. En revanche, il lui arrive de bâtonner les fûts qui patinent trop. Les FA terminent doucement, entre juillet et septembre. Et les vins contiennent en général 2 à 5 grammes de sucres résiduels. « Techniquement ils ne sont pas vraiment secs, reconnait-il. Mais gustativement si. » Cette année, le vigneron a investi dans quatre foudres supplémentaires pour prolonger l’élevage sous bois et, peut-être, consommer les derniers sucres.

avis

« Un élevage sur lies pendant la FA »

« Les fermentations languissantes sont intéressantes car cela favorise le phénomène d’autolyse des levures, ce qui permet d’obtenir des vins plus pleins et plus gras. Comme si on avait fait un élevage sur lies pendant la fermentation alcoolique (FA). En revanche, on maîtrise moins le process. Cette approche demande beaucoup de surveillance, du point de vue analytique et gustatif. Et dès qu’il y a le moindre doute sur l’évolution organoleptique du vin, il faut le maîtriser. Par exemple, remonter un peu la température de FA pour permettre le développement de micro-organismes plus intéressants en termes aromatique. Il ne faut pas non plus hésiter à réensemencer avec les cuves où l’implantation levurienne est meilleure, pour régénérer la flore. Enfin, certains outils œnologiques sont très utiles si les FA ralentissent trop. C’est le cas des écorces de levures, qui détoxifient le milieu. De même le SO2 peut aider à stopper une souche trop languissante et ainsi, permettre à une nouvelle population de levures de démarrer. »

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