Cinq initiatives pour pacifier les relations entre viticulteurs et riverains
L’urbanisation des zones agricoles et le développement de l’œnotourisme rendent la coexistence entre citadins et vignerons difficile. De l’État aux vignerons, les initiatives se multiplient pour installer les bases d’une cohabitation sereine. Voici 5 initiatives exemplaires.
L’urbanisation des zones agricoles et le développement de l’œnotourisme rendent la coexistence entre citadins et vignerons difficile. De l’État aux vignerons, les initiatives se multiplient pour installer les bases d’une cohabitation sereine. Voici 5 initiatives exemplaires.
1 Sensibiliser les nouveaux arrivants de la commune
Vertou, à 10 km de Nantes, compte 24 000 habitants et 11 exploitations viticoles. Depuis 2009, la mairie convie chaque année les nouveaux arrivants à faire partie du jury du concours du meilleur muscadet de Vertou. Une occasion de sensibiliser à la dimension vigneronne de la commune. En mars dernier, « une quinzaine de participants sont venus sur 240 nouveaux foyers vertaviens. C’est une infime partie, mais les participants sont chaque année très enthousiastes », précise la mairie. Vignerons et riverains se côtoient le soir du concours, lors de la remise des prix ou de la visite du domaine du vigneron lauréat. Au Domaine du Bourgeais, la famille Albert a décidé d’aller plus loin. Elle a invité ses riverains mi-mars pour expliquer son métier, ses pratiques et répondre aux inquiétudes. « On leur a par exemple expliqué que si ça sent mauvais, ce n’est pas forcément toxique », explique Édith Albert. Un message avait été glissé dans les boîtes à lettres et un panneau installé sur la voie longeant les vignes qui relie Nantes à Clisson, très empruntée par les cyclistes. Une dizaine de personnes sont venues mais les Albert n’ont pas regretté. « Les personnes ont compris des choses car il y a une vraie méconnaissance. On a le ressenti qu’il faudrait encourager les autres à le faire », considère Édith Albert.
2 Un document pour expliquer le métier de vigneron
Depuis juin 2018, le bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) diffuse un livret baptisé Comprendre le métier de viticulteur. Sa cible est double : les riverains mais aussi les touristes, de plus en plus nombreux à sillonner le vignoble. Imprimé à 21 000 exemplaires, il est disponible en français et en anglais, et complète la charte Engager nos terroirs dans nos territoires. Très pédagogique avec des infographies et des schémas, le livret aborde le cycle de la vigne ainsi que la protection phytosanitaire. Il invite aussi à « bien dialoguer ensemble » avec des conseils pour réagir en cas de nuisances, et renvoie au besoin à des médiateurs. Ce livret est en place dans 374 points de contacts : mairies, offices du tourisme, loueurs de vélos, campings, agences de développement touristique, conseil régional, lieux touristiques. Il est aussi mis à disposition des professionnels via l’interprofession et les ODG.
La même démarche est initiée en Alsace, pilotée par la chambre d’agriculture. Un document qui présente le métier de viticulteur est en cours de rédaction dans le cadre du projet de charte Vignes et villages d’Alsace-Bien vivre ensemble. Il s’adressera aux riverains mais aussi aux maires « qui doivent être au courant de ce qu’est la viticulture », insiste Jérôme Attard, conseiller à la chambre. Côté viticulture, le plan d’action a débuté par une démarche de sensibilisation dans dix syndicats viticoles " pour créer le débat sur le thème Qu’est-ce que vous êtes prêt à faire », explique Jérôme Attard.
3 Intégrer ses voisins dans la réflexion
Il y a trois ans, Damien Chombart, propriétaire du Château Lamothe de Haux en Gironde, a senti le vent tourner. Alors qu’Élise Lucet venait à peine de diffuser l’émission de Cash investigation sur les phytos, le vigneron a décidé d’inviter tous les voisins étant limitrophes avec une parcelle du domaine, soit 44 foyers, pour une réunion de sensibilisation. « Je suis allé moi-même frapper aux portes et remettre l’invitation en main propre, précise-t-il. Une vingtaine de personnes est venue, et nous avons présenté le domaine ainsi que notre démarche environnementale. » À la suite de quoi, Damien Chombart leur a demandé de revenir pour établir une charte de voisinage. « J’ai fait venir une personne extérieure pour qu’ils expriment leurs attentes et craintes sans tabou, puis nous nous sommes concertés et avons couché un compromis sur papier », explique le vigneron. Depuis, il envoie un SMS aux voisins lorsqu’il doit intervenir pour les traitements phytosanitaires, et organise une réunion une fois par an pour faire le point. « Les gens sont plutôt intéressés et contents de voir que l’on agit, remarque-t-il. Les échanges sont constructifs et sans virulence. » Pour le vigneron, cette démarche porte déjà du fruit. Un jour, alors que le vent s’était levé sur la toute fin du traitement, un voisin a reçu quelques embruns depuis son jardin. « La première chose qu’il a faite n’a pas été de porter plainte mais de venir me voir pour dialoguer et étudier comment faire pour éviter ces situations » se réjouit-il. Un climat serein, mais qui nécessite quelques contraintes supplémentaires. « L’envoi des SMS et l’organisation de la réunion prennent du temps », avoue le vigneron. Il faut prendre cela comme un investissement.
À Pécharmant en Dordogne, le vignoble est enclavé par l’extension de Bergerac. Une application est envisagée pour rendre la question environnementale participative. Elle permettra un dialogue entre les 45 viticulteurs et les habitants dans le cadre d’un projet pour un "environnement partagé de qualité". Sur les travaux viticoles mais aussi sur des éléments du paysage devant être améliorés ou préservés.
4 Agir au niveau de l’urbanisme pour éviter les futurs conflits
Difficile de ne pas se mettre en rogne quand une personne vient construire en bordure de sa parcelle de vigne, puis se plaindre ensuite des nuisances. Ce genre d’écueil est fréquent. Pour l’éviter, à Saint-Just-d’Ardèche, dans les Côtes-du-Rhône, la révision du plan local d’urbanisme (PLU) a été l’occasion de mettre autour de la table élus et viticulteurs. Dorénavant il est prévu par le règlement communal que lors de la construction d’un lotissement, une zone tampon arborée de cinq mètres minimum doit obligatoirement être gardée à proximité des zones agricoles. « Il faut anticiper les problèmes, estime Philippe Faure, président du syndicat général des côtes-du-rhône. Et pour cela on conseille aux viticulteurs de sensibiliser leurs communes, d’aller rencontrer les élus avant que les règles nous tombent d’en haut. C’est pour ainsi dire un combat de tous les jours, que de faire entendre aux responsables politiques que l’urbanisation doit se faire en concertation avec les acteurs du monde agricole. "
5 Utiliser des outils pour avertir en temps réel
Au Domaine de la Velle, à Meursault en Bourgogne, Bertrand Dariot reçoit de nombreux œnotouristes et randonneurs dans ses gîtes ruraux et d’étapes. « Une partie des vignes touche la maison, et il faut les traverser pour aller à la piscine, expose-t-il. Aussi cela soulève parfois des questions chez les locataires, d’autant plus que les enfants aiment aller tripoter les feuilles de vignes. » Le vigneron a donc installé un box Notiphy, développé par l’entreprise Deaverde, à proximité de la parcelle. Ce boîtier à la forme d’un nichoir clignote lorsque le délai de réentrée (DRE) est toujours en cours, avertissant ainsi du risque potentiel. Une fiche y est associée, expliquant son utilité et les consignes à respecter. Côté pratique, l’utilisation est très simple : le tractoriste a une télécommande spécifique et appuie sur le DRE correspondant aux produits qu’il épand au moment où il passe devant le boîtier. L’entretien quant à lui se limite à un remisage l’hiver et au changement des piles. « Cet outil est vraiment bénéfique car, bien au-delà de son aspect pratique et informatif, il éveille la curiosité des gens qui viennent ainsi nous poser des questions. » Un élan qu’exploite Bertrand Dariot pour faire de la pédagogie. Expliquer le métier, le rôle de la protection des plantes, sensibiliser aux efforts de réduction de dose et de dérive… « Les réactions sont plutôt positives, c’est une démarche qui est bien vue, remarque le vigneron. Je suis d’ailleurs persuadé que cela fait boule de neige et les gens racontent cette anecdote originale à leur retour de voyage. »
Un décret attendu
La loi Egalim, promulguée en octobre 2018, réglemente les traitements à proximité des habitations dans son article 83. Elle invite les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques à formuler des mesures de protection des habitants « dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation » avec les personnes concernées ou leurs représentants. En l’absence de mesures « l’autorité administrative » peut restreindre ou interdire l’utilisation des produits sur les zones concernées. Mais la loi renvoie à un décret pour préciser les conditions d’application. L’association des élus de la vigne (Anev), inquiète que le décret débouche sur des décisions éloignées des réalités du terrain, veut relocaliser les dispositifs au niveau des communes. Elle élabore depuis plusieurs mois un modèle de charte qui recenserait les pratiques exemplaires (voir Réussir Vigne n°260 de mars 2019).
Plus d'informations sur le cadre juridique lié aux troubles du voisinage ici