Un projet de 634 vaches dans l’Eure suspendu à la décision du Préfet
Pourra-t-il se faire ou pas ? Le projet d’une ferme de 634 vaches fait du bruit en Normandie. Le Préfet réclame quatre nouvelles expertises avant de se prononcer. Derrière la vague d’opposition, récupérée par les associations animalistes, c’est l’acceptabilité sociétale des élevages laitiers de grande taille qui se joue.
Pourra-t-il se faire ou pas ? Le projet d’une ferme de 634 vaches fait du bruit en Normandie. Le Préfet réclame quatre nouvelles expertises avant de se prononcer. Derrière la vague d’opposition, récupérée par les associations animalistes, c’est l’acceptabilité sociétale des élevages laitiers de grande taille qui se joue.
Le projet d’extension d’un élevage à 634 vaches à Houlbec-Cocherel dans l’Eure n'a pas encore le feu vert du Préfet. Initialement, le Coderst(1) devait rendre son avis le 3 juin dernier, mais il a été repoussé. Sur le terrain, les opposants - élus et représentants d’associations de défense de l’environnement en tête - se sont mobilisés contre ce projet qu’ils qualifient de « ferme-usine ». Celui-ci a par ailleurs reçu un avis défavorable en novembre dernier, suite à l’enquête publique. Les doléances portent tout azimut sur les nuisances générées par l’exploitation (odeurs, mouches, trafic…) autour du site mais aussi sur la taille et le mode d’élevage, avec des craintes quant au bien-être animal.
Demande de fusion de deux élevages existants distants de 8 km
Mais revenons de plus près sur le projet porté par Bonny Van Ranst (vétérinaire de formation) et son frère Hector, tous deux responsables de la SCEA Perault. Ces derniers, également propriétaires d’un élevage en Belgique, ont déposé une demande d’autorisation d’exploiter pour la fusion de deux élevages laitiers existants de 400 et 130 vaches laitières leur appartenant, distants de 8 km, avec extension de l’élevage de 20 %, ce qui porterait l’effectif total à 634 vaches. « Notre projet est simple. Nous voulons regrouper deux troupeaux sur un seul site. Le premier élevage comptait déjà 400 vaches laitières en 1968 et le second en avait 130 des années 80 jusqu’à 2009, précise Bonny Van Ranst qui regrette la récupération médiatique et l’instrumentalisation du projet par L214. Les critiques qui nous sont adressées sont injustes et s’appuient sur des perceptions et non sur des faits avérés », considère-t-il.
Abandon du projet d’engraissement des veaux mâles
Initialement la demande comportait aussi un atelier d’engraissement de 280 places pour des veaux d’élevage mâles, mais ce projet a été abandonné par les exploitants devant la vague d’opposition. La dimension du projet laitier, quant à elle, reste maintenue. Passionné et motivé, Bonny Van Ranst est prêt à engager des investissements lourds pour que le projet aboutisse : la couverture des fosses à lisier, la plantation de haies sur un talus de 3 mètres de haut pour limiter les odeurs (sur 300 m linéaires), la création de 2 km de chemins piétonniers et de chemins de contournement pour les tracteurs (1,4 km).
Avancer dans un esprit constructif en phase avec les attentes locales
Mi-juin, Bonny Van Ranst a reçu sur son exploitation les opposants au projet -qui avaient jusqu’alors refusé de visiter la ferme-, les élus locaux et des responsables agricoles locaux. « J’espère que nos efforts de pédagogie leur permettront de mieux appréhender notre projet », avance l’exploitant, qui reste constructif et confiant quant à la suite du dossier.
Anne-Laure Marteau, secrétaire générale de la Chambre d’agriculture de l’Eure, salue les efforts consentis par l’exploitant et estime que « ce projet d’envergure a toute sa place à partir du moment où il respecte la réglementation ». Et de poursuivre : « L’élevage est bien tenu et les animaux sont soignés par un personnel compétent. Le troupeau est nourri avec des fourrages produits localement, notamment de la luzerne. L’exploitation crée de l’emploi et contribue à l’autosuffisance alimentaire. En proposant des aménagements qui vont au-delà de la réglementation, l’exploitant témoigne de sa bonne volonté à avancer et à répondre aux attentes locales. Il convient maintenant de faire la part des choses entre des craintes soulevées par méconnaissance de la structure et plus globalement du monde de l’élevage, et la réalité. »
Le Préfet demande 4 nouvelles tierces expertises
Pour l’heure, le dossier est suspendu. Le Préfet vient de demander aux exploitants d’engager une tierce expertise sur quatre points : un diagnostic olfactif, une étude sur la gestion des eaux pluviales et de silos, un avis d’hydrogéologue sur la totalité du plan d’épandage, et un avis d’expert sur la conformité du plan d’épandage. Or, ces deux derniers éléments ont déjà été fournis, semble-t-il. Le premier a été effectué par un hydrogéologue agréé nommé par l'agence régionale de santé et non choisi, et le second par la chambre d'agriculture. Quelle qu’en soit l’issue, ce dossier a de quoi susciter de sérieuses interrogations pour de futurs porteurs de projets, et devient symbolique pour la profession, qui craint que les embûches deviennent monnaie courante à l’avenir... « Une chose est sûre, conclut Anne-Laure Marteau. La pédagogie auprès des riverains et la concertation avec les élus locaux en amont des projets sont aujourd’hui incontournables pour mettre toutes les chances de son côté. »
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Retour sur un historique complexe
Le premier élevage acheté en 1993, bénéficie d’une autorisation par antériorité au titre des droits acquis pour 400 vaches. En clair, cela signifie qu’il peut monter à 400 vaches car il a été déclaré à cet effectif en préfecture en 92 lors de l’intégration des élevages laitiers dans le régime des installations classées. Le second, situé à Douains et acheté par adjudication en 2009, est dans une situation similaire. Ces deux exploitations ont effectué leur mise aux normes mais il n’y a jamais eu d’enquête publique les concernant auparavant.
Aujourd’hui, les deux élevages produisent 3 300 000 litres de lait sur 290 hectares, la majorité des surfaces étant dédiées à la production fourragère avec une rotation de type maïs, céréales ou plus longue avec 3 années de luzerne. Les surfaces en prairie sont limitées à 40 ha et ne servent qu’au pâturage des génisses, les vaches laitières restant en stabulation. La SCEA travaille aussi avec des exploitations voisines pour les fourrages et les concentrés. La SCEA emploie sur place 13 personnes : les deux associés et onze salariés.
Pour compliquer l’affaire, la ferme a été victime d’un incendie accidentel d’origine extérieure en 2015, entraînant la destruction complète du bâtiment de stockage de paille, de matériel et la fumière. Cet événement a entraîné une réflexion sur une réorganisation complète de l’élevage sur les deux sites. Une première phase de reconstruction d’urgence après sinistre a été faite et la seconde phase de modernisation fait l’objet du dossier déposé.