Transmission : « J’aide ma fille à se diversifier au-delà de la viticulture »
À Villedaigne, dans l’Aude, Bruno Pinol a transmis ses vignes à sa fille Léa. Mais pour elle, la reprise ne pouvait rimer qu’avec diversification.
À Villedaigne, dans l’Aude, Bruno Pinol a transmis ses vignes à sa fille Léa. Mais pour elle, la reprise ne pouvait rimer qu’avec diversification.
Bruno Pinol, viticulteur à Villedaigne, dans l’Aude, n’aura pas à chercher de repreneur quand il prendra sa retraite en fin d’année. Sa fille Léa, après cinq années passées en tant qu’auditrice pour un organisme certificateur, a décidé de revenir à la terre et de cultiver les vignes familiales. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a l’esprit tranquille. « Avec la conjoncture, l’installation est un véritable combat, regrette-t-il. Les prix en IGP pays d’oc ne sont pas assez rémunérateurs pour s’installer sur une quinzaine d’hectares en coopérative comme je l’ai fait moi. Le modèle aujourd’hui, c’est soit de grossir pour réaliser des économies d’échelle, soit de diminuer les charges. » La jeune femme a opté pour une troisième voie : se diversifier.
Des grenadiers pour la vente directe de fruits et jus
Il faut dire qu’elle a évolué, pendant la majeure partie de sa scolarité, dans un lycée agricole tarnais où la polyculture-élevage était la norme. Et qu’elle ne se voyait pas passer ses semaines à s’occuper de la vigne seulement. « J’aime l’extérieur et l’activité physique que l’on a dans les vignes, mais j’avais envie d’arbres aussi, avoue-t-elle. Il y a pour moi dans la diversification, avant tout, un aspect de plaisir au travail par la diversité des tâches. Et comme c’est aussi pertinent d’un point de vue économique, je me suis lancée. » La toute première plantation d’arbre date de 2022, époque où elle ne savait pas encore qu’elle reprendrait l’exploitation. Léa Pinol pensait d’abord installer une petite parcelle de subsistance d’oliviers, pour se faire plaisir tout en aidant son père à dégager un autre revenu. Mais ce sont des arbres qu’il faut tailler et traiter contre la mouche de l’olive pour espérer une récolte honorable.
Aussi son père et elle ont finalement opté pour 0,63 hectare de grenadiers, une essence bien adaptée au climat méditerranéen, facile d’entretien et qui ne connaît que peu de parasites. « Il faut voir que l’on importe en France une très grande majorité des grenades que l’on consomme », ajoute Bruno Pinol. C’est effectivement une culture en plein essor dans la région, que Léa Pinol a eu l’occasion d’appréhender lors d’audits dans les Pyrénées-Orientales. « Elle complémente bien la vigne puisque les pics d’activité ne sont pas à la même période, complète-t-elle. La récolte a lieu en octobre, après les vendanges. » Dès que la jeune femme s’est décidée à changer de vie et a acté son projet de reprise, début 2023, elle s’est empressée de trouver un terrain environnant pour planter une deuxième parcelle de grenadiers et atteindre ainsi 1,40 hectare d’arbres.
Étant donné qu’il n’existe pas encore de filière organisée, l’objectif dans un premier temps est de réaliser de la vente directe au domaine de fruits frais, et de faire du jus avec les invendus pour le commercialiser lui aussi en vente directe. Dans cette optique, la proximité avec Narbonne et le positionnement sur un axe routier important sont deux atouts majeurs. « On verra par la suite si j’arrive à trouver d’autres débouchés. La vente directe n’est pas la panacée, l’idéal serait de contractualiser avec une industrie cosmétique, ce qui simplifierait le système », projette la jeune viticultrice.
Trouver des idées qui nécessitent peu d’investissement
Bruno Pinol prend le temps de s’investir personnellement pour aider sa fille. Ils font le maximum de choses par eux-mêmes, pour ne pas faire flamber les coûts. « Ce qu’il faut pour exploiter par les temps qui courent, c’est de ne pas avoir trop d’emprunts », analyse le père. C’est donc naturellement qu’il est au côté de la jeune femme pour l’aider à monter son deuxième projet de diversification, celui de l’élevage de poules pondeuses. Une filière animale qui ne demande pas un trop gros investissement de départ, qui est compatible avec la région et qui est envisageable en parallèle des vignes tout en étant seule.
Ainsi 240 poules, très exactement, seront élevées en plein air. « Je pars sur ce chiffre raisonnable parce que je veux prendre le temps au début de bien gérer, explique Léa Pinol. Mais aussi parce qu’au-delà de 250, cela nécessite de passer par un centre de conditionnement des œufs agréé, ce qui a un coût, ou bien de le devenir, c’est-à-dire un investissement non négligeable. » Le projet est déjà lancé, les poules sont commandées pour le début du printemps. La viticultrice dispose d’un terrain de 12 000 m2, sur lequel prendra place très bientôt un poulailler avec un enclos fermé de 1 300 m2. Elle fera de l’œuf en plaque et de la vente directe, seules options réglementaires qui s’offrent à elle pour l’instant. Mais elle ne s’interdit pas, si les affaires marchent bien, de poser d’autres bâtiments et de faire grossir l’activité.
Un autre avantage de la reprise dans le cadre familial, c’est le travail en confiance. Cet aspect va indéniablement faciliter la transition. Par exemple, Bruno et Léa Pinol vont partager le matériel. « Au 1er janvier Léa est exploitante sur 10,5 hectares de vigne, mais j’en ai toujours 6 jusqu’à la fin de l’année : 1 que je garde pour la retraite et 5 dont le fermage arrive à terme. Je devais prendre ma retraite fin 2023, mais la réforme fait que je dois travailler deux trimestres de plus pour partir à taux plein », expose le viticulteur. Aussi, le père et la fille ont passé un contrat d’entraide et un contrat de partage du matériel.
Léa Pinol assure qu’elle n’aurait jamais pu s’installer si ce n’avait pas été dans un cadre familial. Car ses parents lui apportent également un soutien financier indirect. « Le foncier ne m’a pas coûté très cher », confesse-t-elle. Une parcelle vient d’une donation de ses grands-parents, d’autres sont des fermages contractés auprès de sa mère et de son père, d’autres parcelles encore ont été rachetées à son frère il y a déjà quatre ans. Sans compter que la jeune agricultrice s’est installée avec sa compagne dans une dépendance de la bâtisse familiale. La vente de leur ancien logement a permis à Léa Pinol d’autofinancer une partie du poulailler ainsi que les grenadiers.
L’exploitation étant saine, tous les voyants sont au vert
Pour le reste, la jeune femme a demandé un prêt de 54 000 euros à la banque pour financer l’atelier volaille, le rachat d’une partie de foncier, l’acquisition d’un intercep et avoir un peu de fonds de roulement. « L’emprunt pour l’intercep m’a été refusé, regrette-t-elle. Finalement j’ai emprunté 40 000 euros à 5 % ». Un crève-cœur, pour Bruno Pinol, qui se souvient d’une époque pas si lointaine où les banques finançaient l’installation des jeunes à hauteur de 200 000 euros.
Qu’importe, pour Léa Pinol. Elle reste optimiste. « Tous les voyants sont au vert, je bénéficie des meilleures conditions pour m’installer », estime-t-elle. Il faut dire que son père a tout fait pour que l’exploitation soit saine : il a toujours traité correctement, apporté de l’engrais, développé et entretenu l’irrigation… Même s’il est inquiet à cause du climat et des deux années de sécheresse intense qui se poursuivent encore et toujours. Sa fille le sait : « Ma première récolte risque d’être médiocre tant la vigne a souffert. Mais ce sont les aléas du métier, relativise-t-elle. Et si le système n’est plus viable, alors je l’adapterai, quitte à me diversifier encore davantage. » Toujours avec l’objectif de diminuer les charges. Ne pas produire plus pour gagner plus, mais produire en dépensant moins.
voir plus loin
Un départ en douceur
Découvrez les autres articles de notre dossier ici :
Bien transmettre son domaine viticole malgré la crise
Transmission : « J’ai restructuré une partie de mes parcelles viticoles »
Transmission : « J’aide ma fille à se diversifier au-delà de la viticulture »
Transmission : « On aurait préféré arracher que d’avoir un vigneron cultivant en conventionnel »