Taupins : les restrictions d’utilisations des diffuseurs de microgranulés insecticides compliquent la lutte
Les microgranulés à base de lambda-cyhalothrine ne peuvent plus être épandus avec des diffuseurs, ce qui en réduit l’efficacité. Les moyens de lutte performants contre les taupins deviennent limités. Le point sur maïs et pomme de terre.
La lutte contre le taupin se complique. À partir des semis de printemps de cette année, l’utilisation de diffuseurs n’est plus possible pour appliquer des produits insecticides de traitement de sol à base de lambda-cyhalothrine : Karaté 0.4 GR, Ercole, Trika Expert, Trika Lambda 1… « Cette interdiction découle d’une évolution réglementaire qui a pris effet en juin 2023. Les produits à base de lambda-cyhalothrine doivent être positionnés dorénavant à plus de quatre centimètres de profondeur, en fond de raie de semis », explique Philippe Larroudé, spécialiste des ravageurs du sol à Arvalis. Résultat : l’efficacité de ces produits est passée à 30-35 % sur les larves de taupins contre 70 % quand ils pouvaient être utilisés avec des diffuseurs sur maïs. Des sociétés commercialisant ces produits mettent en avant malgré tout les effets anti-taupin de leurs spécialités.
À base d’une autre pyréthrinoïde, la cyperméthrine, le produit Belem 0,8 MG (Daxol, Malis) ne subit pas ce changement de réglementation et peut toujours être utilisé avec des diffuseurs. Grâce à ce moyen, son efficacité reste d’un bon niveau : 50 à 55 % sur taupins en maïs, selon les essais Arvalis. Quant au produit Force 1,5 G à base de téfluthrine, ses conditions d’emploi sont inchangées, à savoir « une incorporation des microgranulés à une profondeur minimum de trois centimètres et une application limitée à une fois, maximum tous les trois ans. » Son effet est limité sur taupins. Aucune nouvelle spécialité n’est en vue en application de sol ou traitement de semences dans un avenir proche.
Des fertilisants organiques au sol pour détourner les taupins des semis
Il reste le levier agronomique pour lutter contre les taupins. « Les larves sont très sensibles aux abrasions causées par le passage d’outil remuant le sol. Un de nos essais montre une réduction de la population de taupins de 30 % grâce à un travail du sol », informe Philippe Larroudé. Mais cela nécessite un investissement en temps et en passages importants. En effet, l’essai en question est réalisé sur maïs doux avec trois à quatre passages successifs en mai avant le semis tardif de cette culture. Outre la destruction directe de larves et de pontes de taupins, le travail du sol remonte les larves les plus âgées en surface dont peuvent se nourrir des prédateurs comme des oiseaux, des carabes ou des staphylins.
Par ailleurs, la date et les conditions de semis du maïs ont un impact sur la nuisibilité des taupins, s’ils permettent un démarrage et développement rapides des plantes. « Il ne faut pas semer trop tôt pour bénéficier d’un sol bien réchauffé et esquiver les attaques », souligne Philippe Larroudé.
Arvalis teste la stratégie des appâts, pour détourner les taupins des plantules de maïs. « Nous travaillons depuis trois ans à l’utilisation de fertilisants organiques comme des farines de viande et d’os, sous forme de granulés. Le produit est épandu la veille ou le jour du semis du maïs puis incorporé au sol sur 10 à 15 centimètres. Les granulés attirent les taupins pendant que les plantules de maïs se développent pour atteindre le stade 9-10 feuilles de moindre sensibilité aux attaques. L’efficacité est de 55 % sur une synthèse de cinq essais menés pendant trois ans, précise Philippe Larroudé. Le produit apporte en plus des éléments nutritifs à la culture. Pour un épandage à 180 kilos par hectare, il en coûte environ 70 à 80 euros par hectare, équivalent au coût de l’utilisation d’un microganulé insecticide de type Karaté 0.4 GR ou Trika. »
Les producteurs de pomme de terre de plus en plus touchés
Outre le maïs, les attaques de taupins sur pomme de terre sont de plus en plus courantes. « Les taupins piquent les tubercules, ce qui déprécie leur qualité. C’est très préjudiciable, notamment pour les pommes de terre en frais, moins pour celles destinées à l’industrie, souligne Benoît Houilliez, de la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais. Le pic d’attaque a lieu au moment du défanage. Nous recherchons des méthodes de protection. Nous notons que certaines variétés sont très attaquées (Monalisa, Manitou…), d’autres beaucoup moins. »Pour réduire les infestations de taupins dans les sols avant maïs ou pomme de terre, l’utilisation de plantes de services, telle que la moutarde brune ou la moutarde d’Ethiopie, est testée. Après destruction, ces plantes libèrent des molécules répulsives, voire insecticides. La chambre d’agriculture de Bretagne et l’organisme Bretagne Plants ont mené ces essais de biofumigation. La technique doit respecter plusieurs conditions pour qu’elle fonctionne. « Le couvert doit être en pleine floraison au moment de la destruction, stade où leur teneur en glucosinolates est maximale, explique Cécile Goupille, conseillère à la chambre d’agriculture. La végétation doit être broyée le plus finement possible, pour casser les cellules. L’incorporation, sur 15 à 20 centimètres, doit être immédiate après broyage. Le sol sera ensuite roulé, pour « enfermer » le gaz pendant deux semaines. »
La réduction de population du ravageur atteint jusqu’à 30 % selon des essais menés par Arvalis mais, pour Philippe Dolo, responsable expérimentation à Bretagne Plants, l'efficacité est variable. « Certains essais n’ont pas bien fonctionné, car nous n’avions pas obtenu suffisamment de biomasse de la moutarde brune testée. En outre, la stade pleine floraison peut arriver dans des situations de sols souvent humides dans notre région. Il est délicat de broyer, incorporer et bien mulcher le couvert à la terre. » D’autres pistes sont explorées.
Une application en vue pour prédire l'infestation des parcelles de maïs
« Une application pour prévoir le risque d'infestation de taupins sur maïs pourrait être opérationnelle dans deux ans », annonce Philippe Larroudé, d’Arvalis. Elle est en cours de test et elle fait suite à une étude de trois ans sur les conditions de développement des taupins avec l’Inrae. » L’outil d’aide à la décision se basera sur un modèle de prévision mis au point lors de l’étude et dont les résultats ont montré une assez bonne prédiction du niveau d’infestation des larves de taupins à l’échelle de la parcelle. Différents facteurs jouent sur l’abondance des larves : le contexte paysager, l’historique de la parcelle, les conditions météorologiques, les caractéristiques du sol et les pratiques agricoles.