Serge Joncour, prix Femina 2020 : « Rendre compte de cette mutation des pratiques agricoles »
Le roman « Nature humaine » écrit par Serge Joncour a reçu le prix Femina 2020. L’histoire se passe dans une ferme du Lot. Alexandre, le personnage principal, est agriculteur. C’est son parcours entre sécheresse de 1976 et tempête de 1999 qui est raconté. 23 ans d’évolution du monde agricole et du monde en général. Quel regard l’auteur porte-t-il sur ces mutations ? Entretien.
Le roman « Nature humaine » écrit par Serge Joncour a reçu le prix Femina 2020. L’histoire se passe dans une ferme du Lot. Alexandre, le personnage principal, est agriculteur. C’est son parcours entre sécheresse de 1976 et tempête de 1999 qui est raconté. 23 ans d’évolution du monde agricole et du monde en général. Quel regard l’auteur porte-t-il sur ces mutations ? Entretien.
En période de couvre-feu et de confinement, il reste la lecture. La librairie a été reconnue comme commerce essentiel. Et quand il s’agit d’un livre qui parle d’agriculture et qui a remporté le prix Femina 2020, on ne pouvait pas passer à côté.
« Nature humaine » est un roman écrit par Serge Joncour. Le récit se passe entre 1976 et 1999 à la Ferme des Bertranges dans le Lot. C’est l’histoire d’une famille paysanne et d’Alexandre, confronté à l’évolution de ce monde agricole. Une histoire d’amour entre l’homme et la nature, entre un homme et une femme… Mais aussi « presque trente ans d’histoire nationale où se répondent jusqu’au vertige les progrès, les luttes, la vie politique et les catastrophes successives qui ont jalonné la fin du XXe siècle, percutant de plein fouet une famille française, » explique l’éditeur Flammarion dans la présentation de « Nature humaine ».
L’auteur de ce roman devenu prix littéraire a bien voulu répondre à nos questions. Entretien avec Serge Joncour.
Réussir - Un livre qui parle d’agriculture récompensé par le Prix Fémina, est-ce le signe d’un retour de l’agriculture dans la littérature, à l’image de ce qui se passe actuellement dans les médias ?
Serge Joncour - Peut-être, il y a depuis quelques années, un regard un peu plus bienveillant à l’égard du monde de l’agriculture, de la campagne au sens large, du dehors. Et la crise que l’on traverse depuis un an n’a fait qu’accentuer cette bienveillance, cette attention, de désir du « dehors »…
En lisant votre roman, on est frappé par votre connaissance des sujets agricoles. D’où vous vient cette vision si claire des évolutions du monde agricole pendant les 23 années où se déroule votre récit, de 1976 à 1999 ? Est-ce un attachement personnel à ce milieu où le fruit d’une recherche documentaire ?
S. J. - J’ai un attachement familial au monde agricole. Et au-delà de ça un attachement à la vie de la nature, des animaux, sauvages ou domestiques, cela suppose de s’intéresser à la façon dont on élève les uns, dont on observe ou traque les autres. Pour ce roman, je voulais rendre compte de cette mutation des pratiques agricoles dans les 25 dernières années du siècle précédent, une période qui a mené à une révolution des circuits de distribution en particulier, et de la façon dont la mondialisation agit mine de rien sur chacun d’entre nous, dans le moindre comportement, et pas uniquement les agriculteurs.
Votre personnage Alexandre est comme vous né en 1961. Il refuse finalement de suivre le grand mouvement de modernité agricole des années 90. Ce cheminement de la pensée d’Alexandre, qui n’était pas celui des fils d’agriculteurs de l’époque, vous semble-t-il aujourd’hui totalement clairvoyant ?
S. J. - Il suit le mouvement, parce qu’il est entraîné par les autres, ses sœurs en particulier, et tous ceux qui autour de lui le conseillent, il s’oriente donc vers une augmentation de son cheptel, mais c’est la nature qui finalement va reprendre la main, c’est la nature qui va décider de la suite, et sacrément ! A un moment ou à un autre, la nature reprend la main.
La ferme des Bertranges est-elle simplement le décor d’un roman ou sert-elle aussi à dénoncer un virage pris par l’agriculture dans les années 70 - 80 : celui d’un système agricole productiviste sous l’emprise de la grande distribution que vous décrivez dans votre livre ?
S. J. - C’est le deux. C’est évidemment un symbole de la modernisation des façons de faire dans l’élevage, avec de nouveaux aliments, de nouveaux outils, de nouvelles règles, mais au travers de ces quelques années, à la ferme des Bertranges on voit un monde rural passer d’une époque à l’autre. Fini les veillées en famille à décortiquer les noix, et d’ailleurs fini les familles qui faisaient leur vie dans un périmètre restreint, l’agriculture, activité hautement collective, depuis de plus en plus individuelle sous l’effet de la mécanisation.
Ce roman sur fond d’agriculture est aussi une belle histoire d’amour entre Alexandre et Constanze, deux êtres que la vie semble opposer mais qui se rejoignent par un même besoin de nature, de préserver la terre et l’environnement, de lutter contre la société de consommation et de ne pas dérégler le monde. Leur passion est-elle aussi le symbole d’une réconciliation difficile entre l’homme et la nature ?
S. J. - Oui. Constanze est une militante, une activiste écologiste, qui en fait va découvrir la nature, s’y initier, en rencontrant Alexandre, agriculteur, qui vit dans une ferme très isolée dans son océan de verdure. Et cette nature, il en connaît tout, le nombre des oiseaux et des arbres, le rythme des végétaux et des animaux.
Votre roman évoque de nombreux antagonismes qui interrogent encore aujourd’hui : mondialisation ou local, collectivisme ou individualisme, agrochimique ou biologique… Comme Constanze qui rêve de faire pousser des plantes anciennes, pensez-vous qu’en agriculture, il faut opérer une certaine forme de retour en arrière et que « le passé, c’est l’avenir » ?
S. J. - Il y a apprendre ou plutôt à ré-apprendre du passé. Dans les années 70 on s’est mis à nourrir les bovins avec des farines animales, ce qui nous a menés jusqu’à la crise de la Vache folle, et à cette maladie transmissible à l’homme sous le nom de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Sur ce point on est revenus en arrière. De même qu’on cherche tous maintenant à savoir comment a été produite la nourriture dont on s’alimente, on se préoccupe de plus en plus de la provenance, des conditions des fabrications, des ingrédients, et pour une quantité de produits on a une attente d’authenticité, de simplicité. En somme, on est un peu revenus des années 80/90, où le produit existait avant tout au travers de l’image qu’en avaient conçue les publicitaires….
Le récit s’arrête en 1999, laissant le lecteur libre d’imaginer la suite de l’histoire. Avez-vous envisagé un avenir pour Alexandre et Constanze. Ce roman qui est aussi un hymne au retour et à la fidélité peut-il se prolonger ?
S. J. - Oui, en y décrivant la montée des dérèglements climatiques, des périls de l’élevage industriel, de la mondialisation des échanges et des êtres, Nature Humaine retisse le parcours jusqu’à la catastrophe sanitaire ou écologique. Dans ce même mouvement, il serait bon de remonter le parcours, des années 2000 aux années 2020 !
Croyez-vous possible une adaptation au cinéma à l’heure où l’agriculture prend une place importante sur les écrans ?
S. J. - Le roman se concentre aussi sur l’histoire de la lutte anti-nucléaire des années 80, sur l’histoire d’une famille au carrefour de cette modernité, et sur une histoire d’amour entre Alexandre et une étudiante venue d’Allemagne de l’est, ces thèmes multiples ont déjà attiré quelques productions audiovisuelles.