Documentaire
« Sacrifice paysan » : l’histoire tragique du combat d’un éleveur contre l’administration
Sur son site, Arte présente « Sacrifice paysan », un documentaire poignant réalisé cette année par Gabrielle Culand et produit par Eléphant doc. Il raconte la tragique histoire de Jérôme Laronze, un éleveur bovin de 37 ans basé en Saône-et-Loire à Trivy, tué par des gendarmes en 2017 alors qu’il était en cavale suite à un contentieux avec les services de contrôle de l’Etat.
Sur son site, Arte présente « Sacrifice paysan », un documentaire poignant réalisé cette année par Gabrielle Culand et produit par Eléphant doc. Il raconte la tragique histoire de Jérôme Laronze, un éleveur bovin de 37 ans basé en Saône-et-Loire à Trivy, tué par des gendarmes en 2017 alors qu’il était en cavale suite à un contentieux avec les services de contrôle de l’Etat.
Les différents témoignages des agriculteurs recueillis par la réalisatrice dans le documentaire Sacrifice paysan font état d’une sidération totale lorsque ces derniers ont appris l’issue tragique de la cavale d’un des leurs. Yannick Ogor, paysan et écrivain, raconte : « L’histoire de Jérôme commence en 2014 avec un premier contrôle que subissent presque tous les éleveurs, un contrôle de routine. L’administration constate qu’il y a des bêtes qui sont en retard d’identification, des papiers envoyés en retard ou pas encore envoyés pour déclarer des naissances mais ce qui arrive à la plupart des éleveurs, notamment des éleveurs en plein air. Il faut comprendre que ça peut apparaître anodin ces contrôles-là mais les éleveurs les vivent avec un stress énorme parce qu’il y a tellement de réglementations à respecter, de paperasse à faire que quasiment aucun éleveur peut se dire en règle sur tout ». Un journaliste ajoute : « Un contrôle pour un agriculteur, ça peut être comme un contrôle fiscal pour une autre profession. C’est inquisiteur, on se rend chez vous, on vous demande des comptes, on va voir sur pièce où sont vos bêtes ».
Six contrôles et une tentative de suicide
Dans le documentaire, des images d’un contrôle réalisé chez un éleveur bovin viennent illustrer ces propos. Pour Didier L’Hermite, chargé de mission pour l’établissement départemental de l’élevage, « le côté administratif du métier n’est pas le plus intéressant mais les éleveurs doivent quand même le faire et le faire dans les délais parce qu’il y a un lien avec l’ensembles des primes Pac qui sont versées à l’éleveur et quand ce n’est pas fait dans les délais, il y a des pénalités ». Sur le terrain, à l’issue de son contrôle, ce dernier a noté des erreurs de numéro et de sexe à rectifier, des naissances à régulariser et des sorties oubliées et reconnaît que malgré « la tolérance de six mouvements hors délais dans l’année, il n’est facile d’être dans les clous ».
Entre 2014 et 2017, Jérôme Laronze a pour sa part subi six contrôles et le dernier s’est vraiment mal passé, c’est ce qu’il raconte dans un écrit intitulé « Chroniques et états d’âme ruraux » envoyé à la presse dix jours avant sa cavale. Il y explique ce qui advient depuis trois ans pour son troupeau, l’acharnement de l’administration et confesse avoir même tenté de se suicider.
« Le début de l’engrenage qui va le mener à sa perte, à sa mort, c’est le moment où l’administration l’oblige à faire des tests ADN pour réassurer la filiation de ses bêtes. Il s’y refuse parce qu’il trouve ça absurde. Il est alors dans l’illégalité et la sanction tombe : immobilisation du troupeau. Il n’a pas le droit de vendre ses bêtes, donc plus de rentrée d’argent » explique Yannick Ogor.
« Lanceur d’alerte sur le mal-être paysan »
Les journalistes qui ont côtoyé Jérôme Laronze le décrivent comme « un type sociable, sans casier judiciaire » et se disent tous choqués par sa mort. Ils estiment qu’il a joué le rôle d’un lanceur d’alerte sur le mal-être paysan. « C’est un paysan idéaliste qui a l’amour du travail bien fait qui se rend compte que cet amour est mis à mal par le fait qu’il faut se soumettre au diktat de l’Europe » confesse Thierry Dromand, journaliste au Journal de Saône-et-Loire. Lors d’une conversation téléphonique avec un journaliste le 18 mai 2017, Jérome Leronze a en outre expliqué : « Je veux dénoncer l’hyper administration qui n’apporte rien aux agriculteurs sinon de l’humiliation et des brimades. Cela ne rapporte qu’aux marchands et aux intermédiaires. Mon cas est anecdotique mais il illustre la réglementation qui conduit à la destruction des paysans ».
« Les agriculteurs sont souvent des taiseux et souvent ils retournent la violence contre eux-mêmes »
« Le dernier contrôle subi par Jérôme en 2017, neuf jours avant sa mort, c’est le contrôle d’avant saisie, c’est l’inventaire du troupeau. Pour lui, partir en cavale, c’était partir en campagne pour alerter la presse et dénoncer ce dispositif » confie Yannick Ogor. Pour mieux faire comprendre la violence d’une saisie, la réalisatrice a filmé celle du troupeau d’un autre éleveur de Bourgogne, Philippe Vincent, qui préfère partir plutôt que de voir ses bêtes emmenées et qui estime « que les petits paysans vont disparaître au profit des usines à viande ».
Avant sa cavale de neuf jours consécutive à une ordonnance de placement d’office dans un hôpital psychiatrique parce que l’administration craignait qu’il ne mette fin à ses jours, Jérôme Laronze avait déclaré : « Les agriculteurs sont souvent des taiseux et souvent ils retournent la violence contre eux-mêmes, c’est pour cela qu’il y a un à deux suicides par jour dans notre profession mais peut-être que cette violence va finir par se retourner contre les autres ». C’est malheureusement lui qui en a été la victime sur un chemin de terre de Bourgogne le 20 mai 2017. Les gendarmes qui sont venus l’interpeler, après le signalement de son véhicule à proximité de son exploitation par un riverain, ont fait feu parce qu’il a foncé sur eux, selon leurs dires. Trois balles l’ont atteint dont une mortelle. Cinq ans après le drame, l’affaire n’a toujours pas été jugée.