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Mal-être en agriculture
« J’ai rencontré une assistante sociale de la MSA et je me suis effondrée en pleurs »

Agricultrice, Karine brise le tabou en exprimant de manière très émouvante son épuisement professionnel et comment elle a reçu de l’aide.

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© Pixabay

« Il y a un an et demi, j’ai rencontré une assistante sociale de la MSA et je me suis effondrée en pleurs » témoigne courageusement Karine, éleveuse de chèvres dans les Alpes, à l’occasion d’une journée organisée sur le mal-être en agriculture par les Chambres d’agriculture.

Installée depuis 2001 sur une exploitation individuelle avec un élevage de montagne de 40 chèvres, la jeune femme qui pratique de la vente directe en zone touristique voit son activité s’arrêter avec le Covid. Son mari, moniteur de ski, se retrouve sans travail. Alors quand elle lit cette information de la MSA qui propose une assistante sociale pour les agriculteurs en difficulté, elle demande de l’aide. « Ca faisait 10 ans que je travaillais en mode survie, j’avais eu des alertes et puis mon fils a eu un grave accident de ski… En discutant j’ai vu mon interlocutrice changer de couleurs, ça a été un choc pour moi, je pensais que tout ça était normal, elle m’a dit : « c’est pas possible ! » », confie Karine.

Ingénieure en agriculture, sortie première de sa promotion, Karine s’est installée très tôt, créant son exploitation de toute pièce, hors cadre familial. « Très peu de personnes croyaient en notre projet. J’ai eu des difficultés à avoir mon permis de construire, et après ça a été pire. L’agriculture c’est du travail 7 jours sur 7 et je dirais même 24h/24 », poursuit l’éleveuse.

Mon exploitation elle fonctionne super bien

Son mal-être est-il dû à des difficultés économiques ? « Pas du tout ! Mon exploitation elle fonctionne super bien, le problème n’est pas financier, c’est la charge de travail ! », répond Karine. Elle évoque « la paperasse ». « Quand on fait tout au mieux, on nous reproche par exemple de ne pas avoir numéroté les 10 ordonnances pour les animaux…. ». Karine a besoin de souffler : le Sillon Dauphinois, réseau partenarial créé en 2006 par la MSA Alpes du Nord et la Chambre d’agriculture de l’Isère, prend le relai. « L’assistante sociale a déclenché un suivi psychologique et m’a permis à l’époque de prendre une semaine de répit », poursuit l’agricultrice.

Suivi psychologique

« Un suivi psychologique que j’attendais en fait depuis des années, quelqu’un allait s’occuper de moi », reconnait-elle a posteriori. Karine habite sur son exploitation, ce qui lui permet de s’occuper aussi de ses enfants. « Je faisais tout ! », exprime-t-elle. Dans sa boutique quand elle peut rouvrir après les confinements, elle recueille les doléances des habitants de sa commune… Sa capacité de travail est énorme, « presque surhumaine » dit-elle avec du recul.

Une capacité de travail énorme, surhumaine

« J’ai eu des soucis de santé, dont des accidents de travail, je cherchais la solution pour travailler même en béquilles. Pendant des années je me suis réveillée fatiguée sans me poser de question », avoue-t-elle. Aujourd’hui en arrêt maladie, elle se rend compte que « quand [elle] se réveille reposée la journée est meilleure ». Pourtant, elle a encore du mal à en parler. Autour d’elle, peu de gens savent qu’elle est arrêtée.

Il y a quelques mois, l’épuisement professionnel (burn out, en anglais) la conduit à s’isoler, à ne plus participer aux réunions des organisations professionnelles agricoles dans lesquelles elle est engagée. Puis les idées noires arrivent. « J’ai voulu passer à l’acte, dans ma tête j’imaginais comme le bouton stop de la machine à traire. Je n’étais plus là… », raconte-t-elle devant une salle émue aux larmes. Elle a le réflexe d’appeler un médecin et d’aller très rapidement le voir. Elle reçoit une bonne écoute de sa part.

La charge mentale reste là

L’arrêt maladie et l’appel au service de remplacement ne règlent pas tout. « En ce moment, je pense aux pots de mes glaces que je vends l’été. Ils ont doublé de prix, comment je vais faire ? Je vais doubler le prix de mes glaces ? La charge mentale reste là », souligne-t-elle.
 

Formation avec la chambre d'agriculture au développement personnel

Karine ne baisse pas les bras, loin de là. Elle se décide à suivre une formation de la chambre d’agriculture sur le thème « je m’accorde une pause pour mieux rebondir dans ma vie professionnelle ». Une formation de trois fois deux jours. « C’est du développement personnel, au début je me disais « je n’ai pas envie de faire le point, c’est trop difficile » », confie-t-elle. Finalement le groupe soudé au sein de cette formation lui est très salutaire. Les agriculteurs vont se suivre dans le temps, se revoir de manière régulière. « Et puis je suis repartie avec une feuille de route : plus le mal-être s’installe pendant des années, plus on va mettre du temps à s’en sortir », conclut-elle.

Signe qu’elle se sent mieux, l’éleveuse profite déjà de son expérience personnelle pour conseiller le futur jeune agriculteur, actuellement en remplacement dans son exploitation. « Il n’arrête pas de me dire : "il faut que je profite parce que quand je vais m’installer je vais tout arrêter" :  mais je lui dis : « ben non ! » ». Karine remercie aussi les personnes qui l’ont aidée : « les techniciens des chambres ce qu’ils font c’est très fort, les premières sentinelles ce sont eux », conclut-elle devant les chambres d’agriculture.

« Les agriculteurs minimisent beaucoup les douleurs »
« C’est difficile voire impossible pour un agriculteur de s’imposer des pauses », explique Christelle Guicherd, psychologue clinicienne, qui suit Karine, et l’accompagne lors de cette journée à Paris. « L’agriculteur est collé à son objet de travail. Le travail prend toute la place, toutes les sphères de la vie et à un moment c’est l’effet rouleau-compresseur », poursuit-elle. « Derrière c’est un idéal du métier qui s’éteint ». « Les agriculteurs minimisent beaucoup les douleurs », souligne celle qui est aussi doctorante au Centre de recherche en psychopathologie et psychologie clinique à l’Université Lyon 2 et travaille sur le corps et l’agriculture. « Le corps de l’agriculteur c’est son outil de travail, et il glisse vers un corps de labeur. Or on sait que cette catégorie consulte très peu le corps médical ». Tous les intervenants devraient avoir une vigilance particulière sur ce que les agriculteurs disent avec leur corps, souligne-t-elle. « Quand l’épuisement est là, tout se dérègle, avec le risque de passage à l’acte », prévient-elle. Selon elle, les professionnels de la santé et plus particulièrement de la santé mentale devraient aller à la rencontre des agriculteurs. « Il faut aller vers eux, là où ils se terrent, il faut sortir du cadre pour aller les rencontrer ».  

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