Retour du pastoralisme en montagne limousine
La montagne limousine compte aujourd’hui sept estives valorisant ses surfaces de landes, tourbières et sous-bois, accueillant des troupeaux ovins trois à cinq mois par an. Cette reconquête intervient après une longue période d’abandon.
Depuis quelques années, le pastoralisme fait son retour sur la montagne limousine (zone à cheval sur la Corrèze, la Creuse et la Haute-Vienne) avec des systèmes à bas intrants et une alimentation basée sur le pâturage uniquement. Pourtant, ce n’est pas le modèle dominant de ces dernières décennies. « Si l’on remonte dans le temps, plusieurs mécanismes ont conduit au recul de la place des surfaces pastorales dans l’alimentation des troupeaux de ruminants sur la montagne limousine, relate Nathan Morsel, doctorant sur les systèmes agro-pastoraux économes : arbre, élevage et durabilité en régions de moyenne montagne et de piémonts. En 1940, on y trouvait des paysages de landes à bruyères et des tourbières, avec une association ovins, bovins, porcins, céréales et légumes fourragers. » Un phénomène de spécialisation s’est opéré, avec la disparition des céréales et des porcs en faveur de l’engraissement de broutards et agneaux de bergerie. Le défrichement des landes et le drainage ont permis d’accroître les surfaces de terres mécanisables. Les tourbières ont été abandonnées au cours la seconde moitié du XXe siècle du fait de l’augmentation du gabarit des bovins, de la perte de rusticité des races élevées, et aussi de l’éclatement du parcellaire. « La très forte régression du nombre d’emplois agricoles, conduisant à la désertification, a aussi accéléré le phénomène avec l’impossibilité de garder les animaux dans des espaces non clôturés, la main-d’œuvre n’étant plus disponible », explique Nathan Morsel.
Une montagne abandonnée
Avec la forte déprise agricole et l’abandon de nombreux terrains, beaucoup ont été reboisés par l’action du fonds forestier national. La sylviculture est devenue une activité incontournable avec 93 000 hectares de forêt !
« Au final, tout cela a conduit à un sous-pâturage, voire à l’abandon de centaines d’hectares de tourbières et de landes sur la montagne limousine, qui se sont enfrichées à des vitesses différentes selon les écosystèmes ».
À partir du début des années 2000, l’acquisition de foncier et la pose de clôtures par le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) du Limousin ont permis de débuter la reconquête de ces territoires. Mais cela n’était pas réalisable sur de nombreux sites, du fait de la difficulté de poser des clôtures et du nombre de propriétaires privés.
Les premiers essais de garde de troupeaux ovins sur des tourbières et de landes appartenant au CEN et à différents propriétaires privés ont été effectués en 2007, avec l’aide du parc naturel régional et de l’UPRA Limousine.
Landes et tourbières éligibles aux aides à la surface
Le mouvement a depuis permis la création de sept estives sur la montagne limousine, simultanément à l’installation d’éleveurs ovins spécialisés en bordure de la Montagne limousine, sur des exploitations limitée en foncier et notamment en zones humides. La transhumance mise en place permet de passer les sécheresses de plus en plus fréquentes et marquées au cours des dernières années.
« Ce mouvement de regain d’intérêt pour les tourbières sur la montagne limousine s’explique par plusieurs facteurs, notamment des sécheresses récurrentes, et aussi la dernière réforme de la Pac : les landes et les tourbières sont désormais éligibles aux aides à la surface », avance Nathan Morsel.
Dans cette région où la sylviculture est très productive et concerne d’importantes surfaces, Nathan Morsel rapporte qu’il n’y a jusqu’ici pas de complémentarités envisagées entre éleveurs et forestiers. L’essentiel du pâturage en plantation se fait de manière informelle. Il aurait pourtant de multiples atouts : ressources complémentaires aux tourbières et de sécurité pour les intersaisons, contrôle de l’embroussaillement des jeunes plantations et la limitation de la propagation des incendies.
Dernier écueil à lever pour les éleveurs selon le jeune chercheur, les débouchés en vente directe sont limités du fait de la faible densité de population, les poussant à faire des livraisons dans des grandes villes comme Paris, Toulouse ou Lyon. De plus, ils peuvent rencontrer des difficultés à travailler avec les bouchers du fait d’un produit atypique ne correspondant pas aux standards des filières longues.
Partenaires
Dans le cadre du projet Mobidif(1), Agrof’Île, le GAB-IDF, Les Champs des Possibles et leurs partenaires ont organisé une journée sur le thème du pastoralisme en Île-de-France. Une cinquantaine d’éleveurs, futurs éleveurs, techniciens y ont participé et échangé autour des performances des élevages valorisant des espaces naturels : productions, viabilité, bien-être animal, services environnementaux. Les présentations de cette journée sont disponibles sur le site Agrof’île.
Fabrice Merhand et Lise Rolland, du Gaec Revenons à nos moutons, dans le Parc naturel régional de Millevaches en Limousin en Corrèze (19)
« Nous dégageons un revenu pour deux avec 350 brebis »
Installés en 2007, nous élevons aujourd’hui 350 brebis sur 120 hectares de terres en location et l’équivalent en estive. Nous avons tout de suite fait le choix d’un système pâturant avec des charges alimentaires très réduites : aucun achat de céréales ou de concentré pour les brebis et les agneaux. Cela nous permet de dégager un revenu pour deux avec seulement 350 mères, avec un produit brut par brebis supérieur aux systèmes plus "classiques" par une très forte compression des charges d’alimentation et la vente directe.
Nous sommes membres d’un groupement pastoral avec trois autres éleveurs. Au total, 600 brebis montent en estive du 1er juin au 30 septembre, au départ elles pâturent sur les landes uniquement, les tourbières étant trop humides en début de saison, et dans les sous-bois. Cela permet de varier leur menu et d’être à l’abri de la chaleur.
Compression des charges et vente directe, clés de notre système
Avec trois groupements pastoraux sur la montagne limousine et neuf estives, dont des laitiers, il y a un réel renouveau de la dynamique pastorale. C’est positif pour l’entretien de la montagne et cela libère les terres en bas pour produire des fourrages, casser le cycle des parasites et être plus résilients face aux sécheresses.
Valoriser les landes et tourbières
Nous commercialisons nos agneaux quasi exclusivement en vente directe. Cela nous permet de bien les valoriser, et notre choix de mode d’élevage avec un engraissement uniquement à l’herbe ne nous permet pas d’entrer dans les critères des cahiers des charges classiques. Ils font 14 à 16 kg carcasse à sept-huit mois. Les agneaux sont castrés à la naissance et nous les séparons de leur mère à six-sept mois. Ils sont abattus à l’abattoir paysan de Bourganeuf, la SAS Pôle viande locale.
L’hiver dernier, nous avons cherché une solution de pâturage hivernal suite aux fortes chutes de neige limitant les possibilités de pâturage chez nous. La moitié du troupeau est partie dans un village en déprise agricole dans le Lot. L’objectif de la municipalité est de prévenir des feux de forêt. Il y a 300 ha pâturables, en garde, ce qui peut être un frein pour les éleveurs locaux. L’expérience a été positive et nous repartons cet hiver avec tout le troupeau !