Lutte contre le gel
Quincy élabore un guide de pilotage d’un parc de tours antigel
Précurseur dans la lutte collective contre le gel, le vignoble de Quincy, dans le Cher, a créé une Cuma pour investir dans 60 tours antigel, protégeant 85 % des surfaces. Il est aujourd’hui le site pilote d’un projet européen visant à définir les bonnes pratiques de gestion d’un parc de tours antigel à grande échelle.
Précurseur dans la lutte collective contre le gel, le vignoble de Quincy, dans le Cher, a créé une Cuma pour investir dans 60 tours antigel, protégeant 85 % des surfaces. Il est aujourd’hui le site pilote d’un projet européen visant à définir les bonnes pratiques de gestion d’un parc de tours antigel à grande échelle.
Exceptionnels pour la génération précédente, les épisodes de gel printaniers sont désormais redoutés tous les ans par les vignerons et les vigneronnes du Centre Val-de-Loire. « Les hivers ne sont plus aussi froids et la végétation redémarre plus tôt. Orienté vers l’est, le vignoble de Quincy est sensible aux gelées blanches, qui nous touchent sévèrement environ 3 années sur 10 », introduit Jean Tatin, vigneron et vice-président de la Cuma des Vignobles. Lorsqu’un vigneron de l’appellation achète une tour antigel en 1998, le vignoble a les yeux rivés sur lui. Trois ans plus tard, plusieurs vignerons de Quincy créent la Cuma des Vignobles qui investit dans une première série de 35 tours antigel fonctionnant au fuel.
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Des tours implantées avec l’expertise d’un géomètre
La Cuma fait appel à l’expertise d’un géomètre pour déterminer l’implantation des tours, de sorte que chacune protège environ 5 ha. Elle investit par ailleurs dans plusieurs stations météo Sencrop qu’elle positionne dans les zones les plus gélives de l’appellation. L’allumage des tours et la logistique associée sont d’abord gérés manuellement par les adhérents de la Cuma. « On s’était réparti les secteurs et chaque personne était chargée d’allumer 4 tours antigel en fonction des alertes météo », explique Luc Tabordet, vigneron et président de la Cuma. Mais dès la première année, la question du seuil d’alerte se pose. « Selon le vent, l’humidité, la température, le nombre de jours de gel consécutifs, la sensibilité des vignes n’est pas la même. Faut-il déclencher à 1 °C, 0 °C, -1 °C ? », poursuit le président. Les vignerons observent par ailleurs des synergies entre les tours installées à proximité. « Une tour isolée protège maximum 3 ha, alors que deux tours à proximité peuvent protéger chacune 5 ha », poursuit le vigneron. Ils s’interrogent également sur la vitesse de rotation des pales. Mais lorsque les dirigeants de la Cuma se tournent vers les fabricants pour obtenir des réponses, on leur délivre un discours commercial, pas d’éléments technique ou scientifique. « On a eu un peu l’impression que les fabricants ne savaient pas vraiment comment marchaient leurs tours antigel », analyse Luc Tabordet. Vincent Nivet, vigneron et trésorier de la Cuma note aussi qu’il a fallu remplacer les stations météo trois ans plus tard.
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Des difficultés à définir des consignes claires sur l’allumage des tours antigel
Difficile donc d’optimiser la protection contre le gel sans vraiment connaître le fonctionnement des tours. « Faute de consignes claires, on s’est retrouvés avec des vignerons qui décidaient d’allumer les tours 'au cas où'. Or, quand on voit que le voisin a allumé, on s’inquiète et on allume aussi la sienne. Ça crée un effet boule de neige », déplore Luc Tabordet. Avec une consommation de 100 litres de fuel par heure, les dirigeants de la Cuma se voient contraints de réfléchir à deux fois au principe de précaution. « Sans compter le bruit. Une tour antigel qui tourne ça va, mais 35, ça a de quoi agacer le voisinage. Donc ça a intérêt à être pertinent », complète Jean Tatin. À force d’observation, la Cuma parvient à agréger quelques connaissances sur le fonctionnement des tours, et se lance en 2016 dans une seconde vague d’investissements. Elle fait l’acquisition de 25 tours antigel, à gaz cette fois, pour en finir avec les vols de carburant. Elle constate une nouvelle zone d’ombre. « Les fabricants des tours à gaz nous ont expliqué que ça ne servait à rien de chauffer l’air, soit l’argumentaire opposé à celui des fabricants de tours au fuel. Là aussi ça pose question », soulève Luc Tabordet. La Cuma souhaite aussi aller vers plus d’automatisation pour alléger la logistique autour de la gestion du parc. Elle opte donc pour des tours équipées de sondes dernière génération « On a les informations mais on ne sait toujours pas comment les interpréter correctement », explique Jean Tatin.
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Des questionnements au partenariat européen pour l’innovation
Évoquées en 2016 lors du conseil d’administration, ces questions attirent l’intérêt de la Fédération régionale des Cuma Centre-Val de Loire, présente lors de cette séance. « C’est un vrai sujet pour nous car la région compte près de 150 tours antigel gérées par des Cuma, soit près de 50 % des tours de notre territoire. Et ces questions, elles sont nombreuses à se les poser », relate Jean-François Méré, directeur de la fédération. La fédération monte dans la foulée une esquisse de projet au titre de l’appel à manifestation d’intérêt du Partenariat européen pour l’innovation (PEI). « On a perdu un peu de temps sur la construction du projet afin de bien le structurer, de sélectionner les bons partenaires en fonction des compétences qui nous intéressent. Il s’agissait en quelque sorte de trouver un consortium de matière grise », poursuit Jean-François Méré. Le projet SicTag est finalement validé et le vignoble de Quincy est retenu comme site pilote. SicTag est financé à 100 % par les politiques publiques (20 % par le conseil régional et 80 % par le Feader). « La viticulture bénéficie d’une oreille attentive dans la région car elle contribue fortement à l’économie locale, reconnaît Jean-François Méré. La finalité de SicTag est de fournir un guide de bonnes pratiques de la gestion d’un parc de tours antigel à l’échelle d’un territoire, guide destiné à tomber dans le domaine public à l’issue du projet. » Des essais chez des arboriculteurs sont d’ailleurs programmés, preuve que la lutte peut impliquer plusieurs filières.
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Un frémissement chez les fabricants de tours antigel
Un an après le démarrage du projet SicTag, et avec une première phase de mesures perturbée par la crise sanitaire, la Cuma des Vignobles perçoit un frémissement chez les fabricants de tours antigel. « On est contacté par des constructeurs qui veulent se greffer au projet. Peut-être parce qu’ils se rendent comptent qu’on risque de montrer qu’une partie de leur argumentaire commercial est faux », ironise Luc Tabordet. La Cuma des Vignobles vient d’acheter six nouvelles tours antigel à gaz. Le vignoble est donc équipé des tours de la plupart des constructeurs présents sur le marché, et entend bien faire des comparaisons. « En 2016, une tour antigel à gaz avec le bloc béton et les équipements de démarrage semi-automatiques coûtaient 41 000 € », expose Vincent Nivet, vigneron et trésorier de la Cuma des Vignobles. Dans les derniers devis demandés en 2020, le prix grimpe à près de 50 000 € l’unité. « Ça fait quand même une sacrée inflation », note le trésorier.
Pour suivre l’avancée du projet, un magazine, nommé SicTag’Mag est publié une fois par an et des journées de restitution et de visite du site pilote sont prévues. Si le contexte sanitaire le permet, une première session est prévue le 10 mars à Quincy, et le 11 mars à Saint-Nicolas-de-Bourgueil.
Jean Tatin, vigneron et vice-président de la Cuma des Vignobles
« Dans la région, travailler ensemble est ancré dans la culture locale. Les appellations Quincy et Reuilly ont commencé à se développer dans les années 90, après avoir connu un net recul pendant les 30 glorieuses. Ce qui fait que nous sommes restés une population de paysans avec une activité diversifiée jusqu’à tard. L’esprit coopératif agricole est très fort. C’est pour cela qu’on a de suite réussi à emmener la majorité des producteurs de l’appellation dans notre projet de Cuma et de tours antigel, et qu’on a également aujourd’hui le soutien et l’implication des producteurs dans le projet SicTag. Ce collectif nous permet de répartir les charges et les amortissements au prorata des hectares cultivés par les adhérents de la Cuma. En plus des tours antigel, la Cuma a aussi deux machines à vendanger, deux groupes d’embouteillage, des canons antigrêle et un projet d’épandeur à compost est en route. Tous ces outils sont à disposition des vignerons de l’appellation.