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Quel usage pour les huiles essentielles en élevage bovin allaitant ?

L’aromathérapie est de plus en plus en vogue. Joannick Dorso, vétérinaire conseil et formateur chez Natur’élevage (groupe Seenovia) explique les conditions dans lesquelles les éleveurs ont le droit de l’utiliser en évitant les risques de résidus pour les consommateurs.

« La facilité à se procurer des huiles essentielles ainsi que leur image 'naturelle' expliquent sans doute l’engouement actuel pour l’aromathérapie, qui se retrouve jusque dans les fermes. Mais est-ce bien une médecine sans risque ? Une huile essentielle est un concentré de plante issu d’une distillation à la vapeur d’eau pour la majorité d’entre elles. Cela a pour conséquence que certaines molécules actives (des molécules aromatiques comme des terpènes, des alcools ou autres) s’y trouvent en grande quantité », explique Joannick Dorso. C’est d’ailleurs de ces substances que viennent les multiples propriétés des huiles essentielles : certaines en effet sont bactéricides, d’autres antifongiques, d’autres encore stimulent le foie et les propriétés sont ainsi presque infinies selon les huiles choisies. « En revanche, il faut bien comprendre que si cette forte concentration présente un intérêt au niveau activité, elle implique aussi un risque de résidus, surtout si le dosage des huiles est mal maîtrisé. Cela explique et justifie la réglementation en vigueur. »

Une ordonnance et un délai de 28 jours pour la viande

« La réglementation en effet interdit aux éleveurs d’avoir recours à l’automédication. Dès qu’un effet curatif ou préventif est revendiqué pour une plante ou un extrait de plante ou une substance active à base de plante, celui-ci est considéré comme un médicament (article L5111-1 du CSP). Donc tout usage d’une huile essentielle à des fins médicales doit être encadré par une ordonnance du vétérinaire traitant de l’élevage : le vétérinaire y indiquera les délais d’attente forfaitaires c’est-à-dire 28 jours pour la viande, 56 jours en agriculture biologique. » Aujourd’hui très peu de vétérinaires utilisent les huiles essentielles, sans doute à cause de cette réglementation très contraignante, mais aussi par manque de formation puisque l’aromathérapie n’est pas du tout enseignée au cours des cursus d’enseignement vétérinaire en France. Cette utilisation dans les règles est donc accessible à un très petit nombre d’éleveurs allaitants actuellement. Cependant, des vétérinaires commencent un peu partout à s’ouvrir à cette médecine complémentaire. Le sujet est plus facile à aborder avec son praticien qu’il y a quelques années.

L’aromathérapie informationnelle ou les spécialités sans allégation

Si ce n’est pas possible d’avoir une ordonnance, pour utiliser les propriétés très intéressantes des huiles essentielles tout en respectant la réglementation et en évitant les risques de résidus pour le consommateur, il existe deux voies : l’aromathérapie informationnelle et l’utilisation de compléments alimentaires ou de produits d’hygiène sans allégation thérapeutique.
« L’aromathérapie informationnelle consiste à mettre à disposition des animaux certaines molécules aromatiques qui sont capables d’exprimer leurs propriétés juste en étant respirées de manière passive, explique Joannick Dorso. En évitant le contact direct sur l’animal, on travaille sur le milieu de vie et on limite ainsi le risque de résidus. » Les odeurs sont par exemple diffusées au moyen d’éponges enfermées dans des boîtes de dérivation. « On a des résultats très intéressants en gestion de l’anxiété avant une manipulation ou en assainissement de l’air pour limiter les risques de maladies respiratoires par exemple. » À ne pas confondre avec la nébullisation d’huiles essentielles, où l’on cherche le contact entre gouttelettes et appareil respiratoire et qui par rapport à la réglementation est interdite sans ordonnance.
L’utilisation de compléments alimentaires ou de produits d’hygiène contenant des huiles essentielles est une autre possibilité. Ce genre de produit, très fréquent sur le marché, n’avance pas d’allégation thérapeutique (sinon il serait classé comme médicament) mais est clairement utilisé par les éleveurs pour aider à gérer la santé du troupeau. « Certains se montrent très efficaces et permettent aux éleveurs de diminuer fortement le coût des soins mais il faut rester très critique face à ces produits dans la mesure où ils n’ont besoin de présenter aucune preuve d’efficacité pour être commercialisés », prévient Joannick Dorso.

Une formation est indispensable

"Il apparaît donc essentiel que les éleveurs se forment avant de songer à utiliser les huiles en élevage. Une formation leur permettra d’éviter de prendre des risques pour eux-mêmes, pour leurs animaux et pour la filière." En sortant de formation, l’éleveur doit savoir clairement ce qu’il a le droit de faire et ce qu’il n’a pas le droit de faire. Et il développe des connaissances générales sur les propriétés de la quinzaine des principales huiles utilisées en élevage bovin. Ceci l’aidera à discriminer les différentes spécialités du marché en regardant leurs formules. Aujourd’hui, pas moins d’une cinquantaine de marques en proposent aux éleveurs. La formation sensibilisera aussi au fait que sur le marché, on trouve des huiles essentielles de qualité très diverse en fonction de l’origine des plantes, des process d’extraction. Toute formation agréée par Vivea abordant la santé doit être assurée par un vétérinaire. "La formation permet aussi de comprendre que l’usage des huiles essentielles n’est pas anodin pour l’éleveur, qui peut déclarer une allergie, ou se retrouver avec des lésions cutanées du fait de la causticité de certaines d’entre elles."

« Prévenir les risques respiratoires sur les veaux »

Emmanuel Dinand est éleveur de Limousines en bio à Jarzé, dans le Maine-et-Loire avec 70 vêlages. Il utilise la méthode informationnelle pour les petits veaux.

« J’ai suivi en novembre dernier une formation de deux jours organisée par Seenovia sur l’aromathérapie. J’ai tout de suite mis en pratique pour réduire les risques de maladies respiratoires sur les petits veaux avec la méthode informationnelle », explique l’éleveur. Il a fabriqué des diffuseurs à partir d’un tuyau en plastique qu’il a perforé et dont il a fermé un bout. À l’intérieur, un galet en bois de sapin non traité sert de support pour les huiles essentielles. Ce dispositif — un pour chaque case logeant 28 veaux — est fixé sur le cornadis des cases à veaux, à proximité de l’abreuvoir. « C’est un endroit où tous les veaux passent fréquemment, le diffuseur est fixé à la hauteur de leur nez. » Emmanuel Dinand place sur chaque diffuseur, deux fois par semaine, cinq gouttes de trois huiles essentielles (ravintsara, laurier noble et eucalyptus globuleux). « C’est difficile de tirer des conclusions après quelques mois de pratique. Mais je constate que les veaux sont réceptifs. Je vois qu’ils sont attirés par les diffuseurs et viennent les respirer. Quand je les recharge en huiles, ils réagissent. Cet hiver, ils toussent un peu, mais il n’y a pas eu de veau à soigner. Je n’ai eu aucun cas de forte fièvre ou d’essoufflement important, contrairement aux années précédentes. » Et ceci alors que l’éleveur a vacciné contre la grippe comme les autres années. « La méthode informationnelle est facile à mettre en œuvre, et le coût est très faible. J’en ai eu pour une vingtaine d’euros à la pharmacie. » Emmanuel Dinand réfléchit maintenant à essayer une autre application des huiles essentielles pour soutenir les animaux dans la transition alimentaire au moment de la mise à l’herbe, toujours en méthode informationnelle.

" Favoriser la réussite à l’insémination "

François Fouqueron, installé à Villevêque dans le Maine-et-Loire, fait vêler 50 Limousines qu’il conduit en système naisseur. Il utilise les huiles essentielles depuis cet hiver.

L’objectif de l’éleveur est de régler un petit manque de réussite à l’insémination sur les génisses et les primipares. "J’ai suivi une formation durant l’hiver dernier sur les médecines complémentaires, organisée par Seenovia, explique-t-il. Je cherchais une solution douce pour booster les femelles pendant la période de reproduction. J’avais déjà bien recalé les rations et l’apport de minéraux avec un conseiller, la solution était à chercher ailleurs." François Fouqueron a mis en place de l’aromathérapie informationnelle pour cette campagne de reproduction, de début novembre à fin décembre. Le problème n’était pas tant un manque d’expression des chaleurs, mais plutôt une combinaison de plusieurs facteurs. Il s’est fait conseiller sur le choix des huiles essentielles en pharmacie par quelqu’un de spécialisé en aromathérapie (humaine), et a opté pour une association de quatre huiles destinées à amplifier la libido (orange douce, cannelle de Ceylan, ylang-ylang et citron). Aux yeux de l’éleveur, le résultat est là. L’an dernier, il avait eu quatre génisses vides sur treize inséminées, et les années précédentes c’était deux ou trois. Cette année, une seule l’était sur les quatorze mises à la reproduction. Sur les primipares aussi les résultats sont positifs, avec cette année deux femelles vides sur les douze inséminées, contre trois ou quatre d’habitude. Comme l’éleveur se tient strictement au respect du timing pour des vêlages groupés, l’amélioration du bilan de la reproduction n’est pas négligeable.
François Fouqueron a appliqué le mélange d’huile dans des diffuseurs qu’il a bricolé (un tuyau en plastique perforé et bouché à une extrémité, dans lequel est placé un bout de bois servant de support aux huiles). Il a fixé quatre diffuseurs le long de la barrière du fond de la case des quatorze génisses, proches de l’endroit où elles se couchent et loin de là où elles mangent. Il a ajouté des huiles à peu près tous les cinq jours, de façon à ce que l’odeur soit toujours décelée par un homme quand il passe à proximité. "Les génisses ont fait les curieuses au départ. Certaines venaient ensuite souvent souffler autour des diffuseurs, d’autres étaient indifférentes. En tous cas, elles n’avaient pas l’air génées, observe l’éleveur. Elles avaient aussi reçu une cure de cinq jours de vinaigre de cidre avant le début de la période de reproduction (50 ml par jour et par animal) pour drainer leur foie."

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