Selon Thierry Pouch, économiste à l’APCA, la dérégulation des marchés agricoles a atteint ses limites.
Selon Thierry Pouch, économiste à l’APCA, le Covid-19 pourrait devenir le facteur déclencheur d’une démondialisation de l’économie, le grain de sable risquant de constituer un choc d’envergure pour la croissance.
Selon Thierry Pouch, économiste à l’APCA, le Covid-19 pourrait devenir le facteur déclencheur d’une démondialisation de l’économie, le grain de sable risquant de constituer un choc d’envergure pour la croissance.
Économiste à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Thierry Pouch estime que le Covid-19 joue le rôle de révélateur « d’un discrédit jeté sur la mondialisation telle qu’elle s’est mise en place au détour des années 80, provoquant une interdépendance exacerbée des économies ». Selon lui, l’épidémie apparaît comme « une aubaine pour recentrer un peu plus les économies sur elles-mêmes ».
Dans une analyse publiée récemment (1), il se réfère à des crises passées qui ont provoqué le même effet mondial : crise économique des années 1890, Grande Dépression des années 1930… Plus près de nous, il rappelle que celle de 2007-2008 a eu pour conséquence une forte contraction du commerce mondial de marchandises et, par extension, le renforcement des mesures de protection aux frontières. L’embargo russe en août 2014 qui a tant pénalisé la production porcine européenne, ou la taxation des exportations de produits agricoles en Argentine sont des exemples concrets de ce regain de protectionnisme. Cette tendance s’illustre aussi par la volonté de certains pays de « recouvrer leur souveraineté économique et politique » et un « retour de l’État-nation après plusieurs décennies de mondialisation libérale ». Le Brexit en est l’exemple le plus emblématique.
Des nouvelles protections douanières
Thierry Pouch constate aussi que la tendance est aussi à « la volonté de certains pays de protéger certains secteurs malmenés par la mondialisation » et de relocaliser leurs industries. Aux États-Unis, de nouvelles protections douanières mettent en application le slogan trumpien America First. Dans des pays avancés comme la France, l’économiste souligne que « les exigences des consommateurs (disponibilité, innovations, respect de l’environnement, des droits humains…) s’accommodent mal avec des flux commerciaux éloignés des centres de consommation ».
Dans ce contexte, l’émergence du Covid-19 constitue, selon lui, « un puissant facteur de déstabilisation pour une économie mondiale déjà aux portes de la crise ». Dit autrement, « l’économie mondiale est peut-être à un tournant de son histoire ». À court terme, l’épidémie affecte la production. "En réduisant l’activité productrice chinoise, puis mondiale, le virus a disloqué les chaînes de valeur dans le monde ". Le confinement a provoqué aussi un « choc de la demande ». L’économie réelle est touchée. « Si les débouchés ne sont pas suffisamment robustes, les entreprises n’investiront pas ».
Renforcement de l’autonomie alimentaire des pays
À plus long terme, cette situation ne peut donc, selon Thierry Pouch, qu’entraîner les prix vers le bas. Les produits agricoles sont particulièrement concernés. « La crise du Covid-19 renforce la volonté de certains pays à augmenter leur autonomie alimentaire », ce qui va restreindre les débouchés de ceux qui exportent. L’Argentine a récemment durci les taxes à l’exportation de ses céréales et de son soja. La Russie limite ses exportations de céréales pour répondre aux besoins de l’industrie et des élevages. L’objectif d’une telle mesure est de baisser les prix de ces produits sur le marché intérieur, au profit des consommateurs nationaux. Elle est bien sûr préjudiciable aux producteurs. « Mais elle leur permet aussi de ne pas être à la merci des fluctuations et de la baisse des cours mondiaux », fait remarquer Thierry Pouch.
Le marché mondial du porc fait pour le moment figure d’exception. La peste porcine africaine a provoqué un appel d’air géant vers la Chine que le Covid-19 ne va pas perturber, du moins dans l’immédiat. « Mais les chinois vont s’empresser d’effacer cette anomalie en reconstituant rapidement leur cheptel. À moyen terme, on est certain que les débouchés mondiaux ne seront plus aussi importants dans les années à venir ».
Thierry Pouch souligne que la baisse des prix agricoles est déjà enclenchée depuis plusieurs années, « alors qu’on nous avait annoncé en 2008 une hausse durable liée à l’augmentation de la consommation mondiale ». Cette hausse aurait « permis aux producteurs de dépendre de moins en moins de la puissance publique pour pérenniser leurs outils de production ». Aujourd’hui, l’économiste estime que le Covid-19 met en évidence « les limites de la dérégulation des marchés », et que la situation actuelle " va forcément vers une reconfiguration de la politique agricole européenne avec un retour à une régulation des productions".
Curriculum
Thierry Pouch est chef du service des études économiques de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture à Paris, et chercheur associé au laboratoire Regards de l’Université de Reims Champagne-Ardenne.