L’Ukraine à l’ère des agro-holdings
Après vingt ans de décroissance qui ont suivi la fin du régime soviétique, la production porcine ukrainienne est repartie à la hausse depuis 2010, grâce au développement d’exploitations industrielles dites agro-holdings qui optent pour une stratégie d’intégration verticale.
Après vingt ans de décroissance qui ont suivi la fin du régime soviétique, la production porcine ukrainienne est repartie à la hausse depuis 2010, grâce au développement d’exploitations industrielles dites agro-holdings qui optent pour une stratégie d’intégration verticale.
Quelque 25 ans après la chute du régime soviétique, les exploitations industrielles de grande dimension constituent la nouvelle dynamique de la production porcine ukrainienne. Ces unités sont peu nombreuses, 150 tout au plus, toutes productions agricoles confondues. Mais leur taille est impressionnante. La plus grosse exploitation porcine, APK-Invest, possède 22 500 truies et la suite, et cultive 36 000 hectares de SAU (voir page xx). Les dix premières fermes porcines du pays totalisent 106 000 truies, soit 30 % des 300 000 truies de la production contrôlée du pays (voir tableau).
Ces élevages sont intégrés dans des filières verticales qui vont de la production des matières premières jusqu’à la vente des produits transformés dans des magasins, en passant par le stockage des céréales, l’usine de fabrication des aliments, l’abattoir et les unités de découpe et de production de charcuterie. Les propriétaires de ces agro-holdings sont le plus souvent des personnalités ukrainiennes, présentes à la fois dans les milieux politiques et dans les affaires. Ils ont profité des opportunités économiques ouvertes par la période de transition économique du début des années 2000 après les années difficiles qui ont suivi la chute du régime communiste et l’indépendance de l’Ukraine en 1991.
Transition économique difficile
Une transition d’une économie administrée et centralisée de type soviétique vers une économie de marché qui a été brutale. La production agricole du pays a été divisée par deux. Le cheptel porcin est passé de vingt millions de têtes en 1990 à dix millions en 2001. Progressivement, beaucoup d’anciennes fermes d’état (kolkhozes et sovkhozes), généralement privatisées par leurs anciens managers ou plus rarement transformées en coopératives, ont cessé de produire par manque de moyens. Dans le même temps, la population rurale a développé une forme d’élevage artisanal pour subvenir à ses besoins alimentaires. En 2001, cette production familiale non contrôlée comptait cinq millions de têtes. Aujourd’hui, elle représente encore 200 000 truies et trois millions de têtes, soit 48 % de la production nationale.
De nouveaux besoins en circuits longs
Les productions familiales sont essentiellement destinées à l’autoconsommation et aux marchés locaux. Elles ne peuvent pas approvisionner les circuits longs et les GMS qui se sont fortement développées dans les villes au début des années 2000, sous l’impulsion d’une croissance économique retrouvée. Les investisseurs, encouragés par l’État qui avait mis en place des dispositifs fiscaux avantageux (faible imposition, solde de TVA non reversée) ont rapidement saisi des opportunités pour répondre à la demande d’une population dont le pouvoir d’achat augmentait fortement. Les premiers investissements se sont orientés vers les productions végétales (céréales et oléo-protéagineux), dont la faisabilité et le retour sur investissement étaient rapides.
Des céréales aux productions animales
L’envolée des cours mondiaux de 2007 a été grandement profitable à l’agriculture ukrainienne. Progressivement, les investisseurs se sont intéressés à l’élevage, de volailles tout d’abord, puis de porcs, une activité qui dégage plus de valeur ajoutée grâce à la valorisation des céréales. Leur croissance ne s’est pas faite sans soubresauts. La crise financière de 2008 a gravement affecté l’économie ukrainienne. Le produit intérieur brut (PIB) a fortement régressé, de même que la production et la consommation de viande. Mais la dévaluation de la monnaie nationale de près de 50 % a aussi eu pour effet de stopper les importations ukrainiennes de viande devenues trop chères. Elle a de ce fait entraîné un regain d’intérêt économique pour la production nationale de porc. Depuis, elle ne cesse d’augmenter, tirée par la production contrôlée désormais majoritaire dans le pays. Malgré un contexte économique incertain et une situation politique encore fragile (voir article ci-après), les avantages fiscaux dont bénéficient ces agro-holdings leur ont permis jusqu’ici d’investir sans compter dans leurs outils de production, sans faire appel au crédit toujours très cher. Le système d’intégration verticale est mis en œuvre au maximum, avec la volonté d’acquérir une autonomie maximale à tous les étages de la production.
Un avenir incertain
Aujourd’hui, les dirigeants de ces agro-holdings voient toujours l’avenir avec optimisme. La reprise économique devrait s’accompagner d’une hausse de la consommation de viande de porc. Avec sa monnaie faible, le pays est protégé des importations. Les productions familiales devraient continuer de décliner. Mais de nombreuses difficultés pointent à l’horizon. L’ouverture du pays vers l’Union européenne et l’aide du fonds monétaire international (FMI) doivent s’accompagner de réformes structurelles, dont la fin de l’exonération du règlement du solde de TVA à l’administration fiscale. Cette exonération était le seul dispositif de soutien mis en place par le gouvernement pour soutenir les productions agricoles. L’abrogation de ce dispositif, déjà partiellement appliqué en 2016, risque de pénaliser fortement les comptes des entreprises agricoles qui tirent leur force de la plus-value générée par l’intégration verticale. Par ailleurs, la multiplication des cas de peste porcine fragilise la situation sanitaire du pays et limite les possibilités d’exporter. À ce jour, aucun expert ne s’aventure à prédire l’avenir de la production porcine ukrainienne, tant les incertitudes économiques, politiques et sociales demeurent présentes.
Sources
La filière porcine en Ukraine, France AgriMer, 2015
Observatoire International des filières porcines, Ifip
Est Expansion
Ambassade de France en Ukraine
ACY (association d’éleveurs de porcs Ukrainiens)
UCAB (Ukrainian Agribusiness club)
L’Ukraine, une puissance agricole
Une mission découverte en Ukraine
Ce dossier a été réalisé à l’occasion d’une mission découverte en Ukraine organisée par la société Est Expansion et l’Ambassade de France à Kiev. Son objectif était de comprendre l’organisation, l’état et les enjeux de la filière porcine ukrainienne, ainsi que les opportunités d’affaire qu’elle génère. Un grand merci à Pascal Hiéronimus, directeur d’Est Expansion, son assistante Natalya Telehina, qui parle aussi bien le français que sa langue natale, Nicolas Perrin, conseiller pour les affaires agricoles à l’ambassade de France toujours disponible pour aider les entreprises françaises à développer leurs activités sur le marché ukrainien, et sa collaboratrice, Ludmila Stepura, interprète et guide efficace à la rencontre de nos interlocuteurs.
Huit sociétés françaises impliquées dans la génétique, l’alimentation, les équipements d’élevage et les consommables ont participé à ce voyage : Qalian (groupe Invo), Asserva, Lodi, Synthèse élevage, Cargill Nutrition, Vitalac, MG2mix, Axiom, IMV Technologies et l’Ifip.
Est Expansion accompagne les PME françaises dans leurs démarches commerciales sur le marché ukrainien. L’élevage constitue un pôle à part entière avec un département « élevage » et une expertise dans les filières lait, porc, volaille et lapin (génétique, alimentation, santé, hygiène, équipements d’élevage). La structure apporte ses compétences dans les domaines réglementaires (enregistrement de produits), la stratégie et la prospection commerciale. Elle est correspondante de Bretagne Commerce International et du Space en Ukraine.
http://estexp.com/L’Ucab croit fermement au développement des agro-holdings
Ukrainian Agribusiness Club (Ucab) est une association regroupant les principales agro-holdings ukrainiennes, dont le but est de faire du lobbying au profit de ses adhérents. Son directeur, Oleksandr Zhemoyda, croit fermement au développement de la production porcine industrielle dans le pays. "D’une part le potentiel de développement de notre marché intérieur est important, avec une population traditionnellement consommatrice de viande de porc", explique-t-il. "D’autre part, l’accord de libre-échange avec l’UE constitue pour nous un passeport pour exporter nos produits." Par ailleurs, il estime que le nombre de petits élevages de particuliers, qui représentent encore près de la moitié de la production ukrainienne, est amené à diminuer. "En valorisant les cultures par les productions animales et en intégrant les outils d’aval, les agro-holdings ukrainiennes ont développé un modèle économique performant", conclut-il.