Le financement des investissements en élevages porcins se diversifie
Des instruments de financement et de garantie se développent pour soutenir les investissements dans les élevages, notamment au moment de l’installation. Complémentaires à l’offre bancaire, ils sont encore peu connus.
Des instruments de financement et de garantie se développent pour soutenir les investissements dans les élevages, notamment au moment de l’installation. Complémentaires à l’offre bancaire, ils sont encore peu connus.
Le système bancaire français est jugé globalement satisfaisant par la filière porcine. L’offre de financement répond dans la plupart des cas aux besoins, en particulier pour des investissements de croisière d’éleveurs déjà installés. C’est ce qui ressort d’une étude menée en 2019 par l’Ifip sur les besoins et l’offre de financement des exploitations porcines, et présentée par Christine Roguet aux matinales du Space. « En revanche, complète l’économiste, de nouvelles solutions de financement se révèlent nécessaires pour répondre à trois enjeux ou situations critiques bien identifiés : l’installation, en particulier lorsque les montants des capitaux sont élevés ou les candidats non connus (sans références), la gestion et la résistance aux aléas et à la volatilité des marchés, et enfin la montée en gamme ou la transition vers des systèmes d’élevages innovants (par exemple sur le bien-être animal) pour lesquels les références technico-économiques manquent pour analyser la demande de financement."
Obtenir un effet levier bancaire maximal
Pour remédier à ces situations que les banques considèrent « à risques », de nouveaux instruments financiers se développent, notamment sous l’impulsion des Régions, avec ou sans cofinancement européen ou national. On peut les classer en trois grands types : fonds de prêt, fonds de garantie et fonds de capital investissement. Les deux premiers se déploient dans le secteur agricole depuis 2014 pour faciliter l’accès au crédit bancaire (par effet levier) et en améliorer les conditions (taux d’intérêt réduits, pas de recours aux cautions personnelles). Les fonds de prêt ont pour but de renforcer les capitaux propres (« faux capitaux propres ») ou de financer la dette. Les fonds de garantie apportent une garantie (ce n’est pas un prêt) et viennent rembourser le prêt bancaire en cas de défaillance de l’emprunteur. Ces deux outils, cumulables, sont encore peu utilisés en France, en raison d’un manque de connaissance ou de leur complexité (règles d’éligibilité, modalités d’octroi etc.). « Pourtant, la tendance est d’aller vers davantage d’« ingénierie financière », a expliqué Bertrand Oudin, de l’entreprise de conseil Blézat Consulting. « Plutôt que de soutenir les investissements par des subventions, qui ont montré leurs limites, l’objectif des pouvoirs publics à travers ces instruments financiers est de rechercher un maximum d’effet levier bancaire : c’est-à-dire de maximiser le montant du prêt accordé par la banque pour chaque euro prêté ou garanti par le fonds. » Reste que les éleveurs n’ont pas tous accès aux mêmes dispositifs, selon leur région ou leur pays.
Des approches différentes selon les régions
En France, suite aux États généraux de l’alimentation, un fonds national de garantie (Inaf (1)) a été créé par le ministère de l’Agriculture pour soutenir la montée en gamme. Doté de 99 millions d’euros (Grand plan d’investissement et plan Juncker), ce fonds devrait catalyser entre 600 millions et 1 milliard d’euros d’investissement des agriculteurs français (effet levier de 6 à 10). Les agriculteurs français disposeront ainsi d’une garantie, gratuite, levier pour accéder au crédit bancaire, à de meilleures conditions. De tels fonds existent déjà dans certaines régions : Inapq développement en Aquitaine depuis 1993, fonds de garantie viande blanche en région Centre depuis 2012, en Bretagne depuis 2016 (voir ci-contre), Alter’NA en Nouvelle-Aquitaine depuis 2018. « Alter’NA vise à soutenir la compétitivité des élevages et à réduire les impacts environnementaux. Doté de 30 millions d’euros (16 M€ de la Région et 14 M€ du Feader), ce fonds a pour objectif d’apporter une garantie sur 150 millions d’euros de prêts en trois ans (100 000 euros en moyenne par dossier), soit un effet levier de 1 € pour 5€ », explique Bertrand Oudin.
En Rhône-Alpes, le plan régional porcin s’est concrétisé par la création d’un fonds d’investissement. « Il permet d’accorder des prêts jusqu’à 100 000 euros à taux 0 % avec un différé de remboursement de 2 ans », a expliqué Thierry Thénoz, président de l’interprofession porcine Rhône-Alpes. « Une convention a été signée avec la région pour abonder notre fonds à hauteur de 500 000 euros sur 3 ans. Ce dispositif monte en puissance. »
Un enjeu d’attractivité du métier
En Bretagne, un fonds de prêt d’honneur est accordé aux futurs installés par la Banque publique d’investissement (Bpifrance) et la Région (voir ci-contre). Sans intérêt ni garantie, il est considéré par les banques comme un apport de fonds propres. « C’est un vrai coup de pouce pour les jeunes », reconnaît André Le Bihan, du Crédit agricole des Côtes-d’Armor. « Nous réfléchissons également à faire évoluer nos offres bancaires pour donner plus de souplesse lors des premières années qui suivent l’installation (allongement et modulation des durées de prêt). » Le responsable du marché de l’agriculture salue par ailleurs le rôle des organisations de production pour accompagner et sécuriser les projets. La plupart des groupements proposent différents types de soutien pour l’installation des jeunes, comme en a témoigné Thierry Lambert, président du groupement Porvéo de la coopérative Terrena. « Nous proposons une caution à 30 % du prêt bancaire et un prêt de 40 000 euros à taux zéro, remboursable sur 7 ans et soutenons les investissements en faveur du bien-être animal avec une subvention de 40 000 euros. »
Vers un portage financier plus diversifié
L’ouverture de capital à des tiers est par ailleurs une solution alternative pour renforcer les capitaux propres lors de l’installation. Certes, elle ne fait pas l’unanimité auprès des éleveurs, mais lorsque les candidats manquent dans certaines régions, « c’est parfois la seule solution pour maintenir les outils de production et d’abattage », relaie Paul Auffray, président de l’Ifip. Pour Christine Roguet, « le manque de candidats dans certaines régions s’explique finalement davantage par des freins liés à l’image de la production porcine qu’à des freins d’ordre financier. L’attractivité du métier d’éleveur est un point clé. Il faudrait davantage communiquer sur la rentabilité de la production porcine. » L’étude de l’Ifip a en effet montré que la rentabilité des capitaux des exploitations porcines était certes limitée (0,2 % en moyenne sur 2008-2017) mais bien supérieure à celle des exploitations laitières et bovines.
Des instruments financiers jugés plus efficaces que les subventions
Trois instruments financiers bretons
Rachel Labrunie, en charge des installations agricoles au sein de la région Bretagne, a détaillé trois dispositifs de financements disponibles en région Bretagne.
Le fonds de garantie Bpifrance Bretagne
Le fonds régional de garantie Bpifrance s’adresse aux exploitations bretonnes ayant un chiffre d’affaires de plus de 750 000 euros, dans le cadre d’un plan d’investissement (création, développement, transmission, y compris les projets de méthanisation). Le risque lié au financement des investissements garantis est partagé par la région Bretagne et Bpifrance (jusqu’à 70 % du prêt bancaire). La demande se fait par l’intermédiaire de la banque. Au 30 juin, 13 exploitations agricoles ont bénéficié de ce dispositif (prêt moyen garanti de 700 000 euros dont 19 % de risque pris par la région et 19 % par Bpifrance).
Le fond de prêts d’honneur à l’installation Brit
Ouvert au secteur porcin depuis 2016, ce fonds réservé à l’installation a pour objectif de constituer l’apport personnel du futur dirigeant, de sécuriser la trésorerie et de faciliter l’accès au crédit bancaire. Financé par Bpifrance et la région Bretagne (retrait du dossier auprès de la chambre d’agriculture et dépôt à Initiative Bretagne). Il s’agit d’un prêt gratuit, sans intérêt et sans garantie, de 20 000 à 50 000 euros, remboursé sur 5 ans avec un différé possible de 3 ans. Il est octroyé suite au passage devant un jury dans le cadre d’une création ou d’une reprise d’exploitation, à la condition d’avoir un parcours 3P validé et un prêt bancaire inclu dans le financement (possible d’en bénéficier jusqu’à 50 ans). 108 exploitations en ont profité au cours des 3 dernières années, dont 50 projets porcins. 2,4 millions d’euros de prêts leur ont été attribués (soit 48 300 euros par projet). Ils ont engendré 41 millions d’euros de financement bancaire, soit un effet levier de 1 euro pour 17 euros.
Le prêt participatif de développement
Ce financement sans garantie à des conditions privilégiées vise à accompagner la modernisation des exploitations. Il est attribué aux exploitations de plus de trois ans (hors installation) réalisant plus de 750 000 euros de chiffre d’affaires. Consenti par Bpifrance en partenariat avec la région, il doit être associé à un prêt bancaire d’un montant au moins égal. Son montant est de 100 000 à 500 000 euros, sa durée de 7 ans avec un différé d’amortissement de 2 ans, sans sûreté réelle ou personnelle. Au 30 juin 2019, 30 exploitations en ont bénéficié dont 11 élevages porcins, avec un prêt moyen de 195 000 euros.