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Une nuit avec la brigade loup

Une brigade a été mise en place à l’automne au sein de l’ONCFS pour aider les éleveurs à protéger les troupeaux et permettre le prélèvement de loups lorsque la pression de prédation est trop forte.

Après une grosse demi-heure de marche rapide à travers la montagne, Maxime et Guillaume laissent tomber leur sac à dos, légèrement essoufflés. Une bonne condition physique est nécessaire pour faire partie de la brigade d’appui aux éleveurs de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ! Deux autres équipes se sont postées plus bas, de part et d’autres du parc de nuit où sont rassemblées pour la nuit les 200 bêtes, brebis et chèvres confondues, d’Emmanuel Verdaigle. En se plaçant plus haut, les deux brigadiers espèrent voir le loup arriver. Car le troupeau de cet éleveur est bien entouré. « Il y aurait une meute sur ce massif, un loup solitaire sur la montagne en face, et une louve serait récemment arrivée sur un autre versant, nous explique Sébastien Kierzkowski, son berger. C’est ce qui explique la fréquence des attaques : une par mois depuis le début de l’année, souvent tôt le matin ou en fin de journée. Quand il est là, on le sent : les chiens sont nerveux, les brebis s’agitent et on entend tinter les cloches. »

À Saint-Martin de Vésubie, ça fait huit ans que le loup fait des siennes. « J’ai commencé par acheter des chiens de protection : deux patous et un berger d’Anatolie, se souvient Emmanuel Verdaigle. Puis j’ai embauché un berger pour avoir quelqu’un en permanence dehors avec les bêtes, et j’ai installé des filets, des clôtures… Mais c’est un stress permanent. Aujourd’hui quand on croise d’autres éleveurs, on ne parle plus de la production mais du loup ! » Après la mise en œuvre des mesures de protections, il a obtenu des tirs d’effarouchement puis de défense. « Mais ce n’est pas le métier de l’éleveur ou du berger de tirer sur le loup. »

Des tirs difficiles en milieu embroussaillé

Là-haut, la nuit tombe, le calme se fait, tous les sens sont en alerte. « On intervient plutôt la nuit, car c’est là qu’on a le plus de chance de le voir, chuchotent les brigadiers. Mais on arrive en fin d’après-midi pour s’installer, repérer les lieux et se donner des points de repère. » Ensuite, une caméra thermique leur permet de suivre le déplacement des animaux dans la nuit grâce à la chaleur qu’ils émettent. Soudain, un murmure. « Il y a une bête qui passe entre les maisons… » On retient sa respiration. « Vu la taille, c’est plutôt un renard. » Les deux espèces, de même forme sont difficiles à distinguer à la caméra thermique. Une demi-heure plus tard, la tension monte à nouveau. « Un animal descend la crête. Il va droit sur le troupeau… » L’autre équipe est prévenue par talkie-walkie. Mais rien ne se passe. « Je l‘ai perdu dans la forêt. » Le milieu, très embroussaillé, rend très difficile la surveillance et encore plus les tirs. Le reste de la panoplie du brigadier se compose d’un phare pour éclairer dans la nuit et d’une carabine. « Si nous repérons quelque chose, l’un de nous devra éclairer avec ce spot qui permet de voir à 200 mètres pour que l’autre puisse tirer. » À 21 h 30, Maxime et Guillaume hurlent dans la nuit. La technique du hurlement provoqué permet de repérer les meutes de loups qui répondent à la provocation. Mais ce soir, seul le silence répond. C’est la pleine lune et la nuit est très – trop – claire. Pas sûr que le loup montre le bout de son nez aujourd’hui.

Le loup se montre rarement là où on l’attend

En poste immobile depuis trois heures, le froid s’intensifie et le temps semble long. « Ce n’est rien ça, on est déjà resté 24 heures en poste, et avec le vent… Nous devons être patients, car les choses ne se passent jamais comme prévu et le loup se montre rarement là où on l’attend. Mais il est rare qu’on fasse une mission sans avoir de contacts avec l’animal, le voir ou au moins l’entendre. » Les interventions sont programmées sur sollicitation des DDT dans le cadre de tirs de défense, tirs de défense renforcés, tirs de prélèvement et tirs de prélèvement renforcés. « Les demandes sont priorisées en fonction du nombre d’attaques et de victimes, de l’urgence, de la faisabilité de l’intervention », explique Christophe Pisi, chef de la brigade au sein de l’ONCFS. « Une fois la mission décidée, nous prenons contact avec le ou les éleveurs et bergers concernés. C’est eux que nous irons voir en premier en arrivant sur place. En effet, ils connaissent le terrain et peuvent détenir beaucoup d’indices révélant les habitudes du loup. »

La brigade est aussi chargée d’aider au suivi de la population. « Nous faisons parfois de la prospection et partons quadriller un territoire donné pour identifier la présence éventuelle de meutes. » Les missions se font souvent par groupe de quatre à six agents, pour une durée d’une semaine. « Globalement on s’entend tous bien, mais c’est comme une colocation il faut que chacun y mette du sien ! » Entre deux missions, la brigade a son quartier général dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec des bureaux et son stock de véhicules, matériel… Toutes les missions donnent lieu à la rédaction d’un rapport. Les observations réalisées complètent celles du réseau loup. Cette nuit, les brigadiers rentrent bredouille à minuit passé. Mais ils reviendront le lendemain soir…

Dix emplois avenirs

Annoncé en juillet 2015 par Ségolène Royal pour venir en appui aux éleveurs connaissant une forte récurrence des attaques, la brigade repose sur la création de dix emplois avenir. Diplômés en gestion de la faune et de la nature, les dix jeunes de 18 à 25 ans qui la composent ont aussi le point commun d’avoir le permis de chasse et une expérience dans ce domaine. Ils ont dû suivre une formation d’une quinzaine de jours avant d’être déployés sur le terrain : connaissance de l’espèce, pastoralisme, contexte juridique, suivi de la population et constat d’attaques. « Nous continuons à nous former sur le tas. C’est un métier nouveau qui n’existait pas avant, donc on apprend en faisant. Et comme l’espèce adapte son comportement aux situations, chaque mission est différente. » Déployés sur le terrain dès l’automne, ils avouent avoir d’abord essuyé une certaine méfiance des éleveurs. Mais avec cinq loups prélevés en six mois, ils ont finalement fait leurs preuves. « Même quand on ne parvient pas à prélever de loups, notre présence crée une certaine agitation qui dissuade les attaques. Ça permet de donner un peu de répit aux éleveurs, ils savent qu’ils peuvent dormir tranquille quand on est là, et ça apaise les esprits. »

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