Agroforesterie
Les ovins remplacent le broyeur en arboriculture
Faire cohabiter arbres fruitiers et animaux sur une même parcelle, c’est possible. Exemple en Seine-Maritime.
Pratique ancienne mais oubliée, l’agroforesterie refait surface dans le cadre de l’agro-écologie, encouragée par l’Europe. Le projet Agforward, lancé en 2014 pour quatre ans, doit permettre de mieux connaître cette technique et envisager son développement. Des techniciens de plusieurs pays sont chargés de recueillir témoignages et données existantes chez les agriculteurs qui pratiquent l’agroforesterie.
Un des volets du projet concerne le pâturage de parcelles plantées d’arbres à haute valeur ajoutée. Par exemple, des moutons dans des vergers ou parmi les vignes. La chambre d’agriculture de Seine-Maritime est l’un des partenaires d’Agforward. Les pommiers d’Hervé Duclos, à Saint-Michel-d’Halescourt, partagent leur espace de mars à décembre avec une centaine de brebis de race Shropshire. Les animaux sont placés en partie dans des parcelles de vergers basses tiges, où d’ordinaire, l’entretien de l’herbage est réalisé avec un broyeur (voir encadré).
Premier pas vers l’agro-écologie en passant au bio
Le producteur de cidre et de calvados en vente directe à la ferme est un ancien enseignant de lycée agricole, spécialisé dans les vergers et l’œnologie. Il a repris la ferme familiale de 16 hectares en 1985 où il a petit à petit replanté successivement six hectares de basses tiges en 1992, sept hectares de hautes tiges en 1994 et trois hectares de basses tiges en 1998. Il produit aujourd’hui 250 tonnes de pommes qu’il transforme sur place, ce qui équivaut à 100 000 bouteilles de cidre, jus de pomme et calvados. Il est aidé de sa femme et de deux salariés.
Jusqu’ici, rien d’extraordinaire, mais un premier pas vers l’agro-écologie est effectué en 2000 lorsqu’il passe en agriculture biologique. Depuis, il a arrêté faute de pouvoir valoriser son cidre en bio, mais il a conservé certaines pratiques propres à cette agriculture, comme la fertilisation organique. « L’éclaircissage est la seule opération en chimie avec éventuellement un insecticide. Je fais juste ce qu’il faut pour que ça fonctionne, pas plus », explique-t-il lors d’une journée de présentation du projet Agforward. En 2008, il franchit une étape de plus avec l’acquisition de moutons de race Shropshire en Grande-Bretagne pour tester le pâturage dans ses parcelles, à raison de six brebis par hectare, avec des animaux réputés pour ne pas toucher aux écorces des arbres. L’objectif est de s’affranchir du broyeur au maximum, d’utiliser moins d’herbicide et aucun fongicide.
Il faut que l’élevage puisse s’inscrire dans l’exploitation sans générer trop de contraintes au moment où il y a du travail sur les vergers. Hervé Duclos a conservé trois à quatre hectares non plantés qui permettent de mettre le troupeau si besoin lors de la récolte des pommes ou autres travaux dans les champs. Les brebis rejoignent la bergerie en janvier et agnèlent en mars pour une vente des agneaux en septembre ou octobre, avant la récolte. Ils sont vendus au détail, dans le magasin de la ferme avec les produits cidricoles. Hervé a constaté un bon accueil de ses clients qui aiment voir pâturer les animaux. « Je reçois mille visiteurs par an, ça fait quelque chose à montrer aux groupes et donne une bonne image », reconnaît l’agriculteur.
Importance de la génétique et de la technique
Depuis 2013 il s’est lancé dans la génétique, achète des animaux inscrits et vend des reproducteurs. « L’élevage est un métier. Nous, nous avons une formation d’éleveurs puisque la ferme avait des quotas laitiers et a toujours eu quelques moutons, mais pour d’autres producteurs de cidre, ça peut être compliqué », pense Hervé Duclos. La race Shropshire a l’avantage d’être maternelle mais il faut quand même être là pour vermifuger, s’occuper des onglons, de la tonte… « Il y a un suivi à faire correctement et beaucoup d’observation. De plus, produire des agneaux à l’herbe, c’est technique, notamment pour le parasitisme. Dans ce domaine, on ne lésine pas, on vermifuge toutes les quatre semaines. »
Il faut aussi gérer l’herbe. Pour une raison inconnue, les brebis pâturent moins à 1,5 mètre autour des pommiers à hautes tiges. Il faut passer le broyeur une fois par an et la herse pour aérer le sol. Ce dernier étant très humide, les animaux ne peuvent pas pâturer l’hiver, seulement de mars à décembre sur cette exploitation normande. Les ovins réduisent le gabarit de l’arbre au niveau du sol, donc pour le rendement en pommes, il faut compenser en hauteur.
Le saviez-vous
Deux types de vergers
En Normandie, en Bretagne et au nord de la Loire, la production de pommes pour le cidre représente plus de 60 000 hectares. On distingue deux types de vergers selon la taille des arbres. Les vergers hautes tiges ont une densité de plantation maximale de 250 arbres par hectare pour un rendement moyen maximum de 25 tonnes de pommes à cidre. Ceux-ci ont de tout temps été pâturés par des animaux, vaches ou brebis. Les vergers basses tiges, au contraire, sont consacrés exclusivement à la production fruitière et l’entretien de l’herbage est réalisé de façon mécanique : l’herbe est broyée pour former un gazon qui amortit la chute des pommes. La densité de plantation est plus importante avec 1 000 arbres par hectare pour un rendement moyen maximum de 35 tonnes de pommes à cidre.