Accords commerciaux
Les négociations de libre-échange avec l’Océanie inquiètent la filière ovine
Les négociations sur une ouverture commerciale entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande risquent, une fois de plus, de pénaliser la filière ovine.
Les négociations sur une ouverture commerciale entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande risquent, une fois de plus, de pénaliser la filière ovine.
Depuis deux ans, l’Europe négocie avec la Nouvelle-Zélande d’une part et avec l’Australie d’autre part afin « d’éliminer les barrières aux échanges de biens et de services ainsi que de définir des règles commerciales pour faciliter les échanges et assurer leur pérennité ». Un large champ de domaines est discuté entre les représentants européens et leurs homologues de Wellington et de Canberra : le commerce des marchandises (dont les produits agricoles) mais aussi les échanges de services, les investissements étrangers, la protection de la propriété intellectuelle (et celle des indications géographiques), ou encore la protection des droits des travailleurs, de l’environnement…
Si l’Union européenne espère des retombées économiques positives de ces accords, il n’est pas sûr que l’élevage ovin européen en sorte gagnant. Les négociations avancent et la Commission européenne fait régulièrement des propositions d’ouverture des marchés pour avoir en retour accès plus facilement au marché océanien. Lors des derniers cycles de négociation, l’Europe serait prête à offrir à la Nouvelle-Zélande un contingent d’importation de viande ovine de 38 000 tonnes équivalent carcasse, avec des droits de douane à 10 %. L’Union à 27 propose aussi de partager l’énorme contingent de 228 000 tonnes à droit nul datant de 1994 en deux parts égales après le Brexit : 114 000 tonnes pour le Royaume-Uni qui importe actuellement la majorité de la viande ovine néozélandaise et 114 000 tonnes pour l’Europe à 27.
Un contingent supplémentaire en négociation
La FNO voit dans ce projet une « une offre précipitée qui intervient alors que l’Europe est confrontée à une crise économique sans précédent ». Début juin, la FNO, la Fnec, la FNPL et la FNB avaient pourtant demandé à la Commission européenne de « mettre fin à la course effrénée à la conclusion d’accords de libre-échange incluant le secteur agricole ». Listant les accords passés (CETA, Mercosur, États-Unis, Mexique…), les associations spécialisées d’éleveurs de ruminants de la FNSEA pointaient « l’ouverture du marché européen à des centaines de milliers de tonnes de viandes et de lait issus des systèmes qui ne respectent pas les standards de production européens ».
Quid de la souveraineté alimentaire ?
Les éleveurs français de ruminants notent l’incompatibilité entre le verdissement de la PAC ou le Green deal et « l’arrivée massive de viandes ovines réfrigérées ayant parcouru des milliers de kilomètres ». L’Alliance des éleveurs de ruminants demande ainsi que les produits d’élevage soit systématiquement exclus des négociations « car sans éleveurs en France et en Europe demain, il n’y aura pas de souveraineté alimentaire ».
Même son de cloche côté Confédération paysanne qui observe que c’est surtout la baisse des importations qui permet le maintien actuel de prix correct pour les éleveurs ovins français. « Loin de tirer les enseignements de cette crise, l’Europe continue de se précipiter aveuglément dans des accords de libre-échange destructeurs pour nos paysans, climaticides et fondamentalement incompatibles avec la « souveraineté alimentaire » dont Emmanuel Macron affirmait pourtant l’importance il y a seulement quelques semaines », regrette le syndicat qui rappelle qu’il est « illusoire de vouloir améliorer les conditions de vie et d’abattage des animaux sans remettre en cause le libre-échange qui industrialise l’agriculture et précarise les travailleurs ».
Des prix bien moindres en Océanie
Selon la presse néo-zélandaise, l’Europe offrirait aussi un droit pour 30 000 tonnes de viande bovine taxée à 10 %, introduits progressivement sur 10 ans, et un quota pour le fromage et le beurre. Mais, cette offre de négociation est jugée insuffisante pour la Nouvelle-Zélande qui voit encore trop de protectionnisme agricole en Europe. Par exemple, le ministre du Commerce néo-zélandais rappelait que l’Europe exportait actuellement vers la Nouvelle-Zélande l’équivalent d’un kilogramme de fromage pour chaque Néo-Zélandais, mais qu’en échange, l’Union européenne ne proposait qu’une ouverture de marché équivalent à 3 grammes de fromage néo-zélandais par citoyen européen… Si les pourparlers se poursuivent, la perspective d’une signature rapide d’un accord s’éloigne et le commissaire européen au Commerce, Phil Hogan, indiquait début juillet que « l’ambition nécessaire n’était pas réunie pour trouver un accord commercial en 2020 ».
Pour la viande ovine, certes la Nouvelle-Zélande ne remplit plus son contingent depuis 2010 car elle exporte davantage vers la Chine. Mais, les situations peuvent changer et si le marché chinois n’est plus accessible pour des raisons sanitaires, géopolitiques ou économiques, la Nouvelle-Zélande pourrait s’empresser d’inonder de nouveau l’Europe. Une réorientation qui pourrait engorger le marché français et impacter négativement les prix. La viande ovine néo-zélandaise est en effet à des cotations bien inférieures que la cotation française. Début juin, l’agneau néo-zélandais était à 3,95 euros du kilo, pénalisé il est vrai par la sécheresse et les difficultés d’exportation. Bien loin de notre cotation française à 6,56 €/kg à la même période. Dans les négociations, la Nouvelle-Zélande aimerait conserver un contingent important vers l’Europe afin d’en faire une soupape de sécurité en cas de perturbation du marché comme elle a pu le faire quand la Chine s’est confinée et que l’Europe était encore ouverte.
Si l’accord n’est pas encore signé, Michèle Boudoin, présidente de la FNO, appelle à « ne pas baisser la garde » et demande un arbitrage présidentiel. L’éleveuse du Puy-de-Dôme réclame aussi que l’information auprès des consommateurs soit assurée. En plus du pays de naissance, d’élevage et d’abattage, elle insiste pour que la date d’abattage et le mode de conservation soient clairement indiqués. « La donne a changé, conclut Michèle Boudoin. Entre le Green deal, la pandémie, la crise économique et le Brexit qui n’avance pas, il faut mieux pas d’accord qu’un mauvais accord ».
Nouvelle-Zélande et Australie, des champions de l’export, freinés par le Covid
« La Nouvelle-Zélande est un gros producteur et un gros exportateur de viande ovine », rappelait Cassandre Matras d’Idele lors d’un webinaires sur les marchés mondiaux. L’élevage ovin néo-zélandais reste le numéro un mondial en valeur. Grâce à l’herbe, il produit une viande très compétitive, exportée de par le monde et pas loin de 19 millions d’agneaux ont été abattus l’an dernier. La production a cependant reculé en début d’année à cause du Covid-19 qui a limité la demande mondiale et ralenti la capacité des abattoirs. Ces dernières années, la demande chinoise a fortement augmenté et le marché chinois représentait l’an dernier près de la moitié des envois néo-zélandais de viande ovine. L’Europe continuant de récupérer les pièces nobles comme le gigot et les premières côtes.
Des élevages climato-dépendants
Avec 65 millions de têtes aujourd’hui, le cheptel ovin australien a stabilisé le long déclin de son cheptel, le pays ayant perdu la moitié de ses effectifs en 25 ans. Après les graves sécheresses de 2018 et 2019, les conditions saisonnières de 2020 redeviennent favorables à une reconstitution du cheptel ovin. En 2019, l’Australie a exporté 535 000 tonnes équivalent carcasse, en hausse de 6 % grâce à la faiblesse du dollar australien et une demande internationale dynamique. Bien sûr, l’épidémie de Covid-19 a, là aussi, stoppé nette la demande de la restauration hors domicile et les exportations ont baissé de 6 % sur les quatre premiers mois de l’année 2020. De plus en plus décriés par les citoyens australiens, les envois d’animaux en vifs, vers le Moyen-Orient surtout, sont en déclin. Le contingent australien vers l’Union européenne est bien moindre que celui de son homologue néo-zélandais, à 19 000 tonnes équivalent carcasse.