Cinq systèmes d’estimation du rendement débarquent dans les vignes
L’estimation automatique du rendement connaît un soubresaut, notamment grâce aux progrès fulgurants de l’intelligence artificielle. Tour du marché.
L’estimation automatique du rendement connaît un soubresaut, notamment grâce aux progrès fulgurants de l’intelligence artificielle. Tour du marché.
L’estimation automatisée du rendement est un vrai serpent de mer, qui traîne depuis des années. Des entreprises avaient déjà tenté de lancer des solutions, à l’instar d’Aquitaine Science Transfert avec les vignerons de Tutiac et leur dispositif EARN, ou de l’IFV Midi-Pyrénées et Sodimel avec le capteur optique piéton REV.
Mais jusqu’alors sans succès. Cette année, grâce aux capacités d’extrapolation et d’analyse permises par l’intelligence artificielle (IA), plusieurs start-up se positionnent sur le créneau.
1 Bloomfield mise sur un appareil photo
Évaluer le rendement via des photos de grappes, c’est peu ou prou le principe sur lequel se basait la solution de l’IFV Midi-Pyrénées et de Sodimel. C’est également la piste sur laquelle s’est lancée la start-up américaine Bloomfield. Adossée à l’université Carnegie Mellon, cette entreprise a planché durant une douzaine d’années sur le sujet.
Elle propose à présent un appareil photo « spécifique » avec flash, à installer sur le tracteur. Il prend des photos géolocalisées et « de précision submillimétrique » de la vigne, de jour comme de nuit et fonctionne jusqu’à 15 km/h.
Les 5 clichés par seconde sont stockés sur le disque dur de l’appareil, qui peut recevoir l’équivalent de 8 heures de prises de vue. Les photos sont ensuite envoyées sur le serveur de Bloomfield et analysées par les algorithmes de l’entreprise.
Cette dernière fournit alors tout un tas de données sur sa plateforme, dont une estimation du rendement avec un objectif de marge d’erreur de 7,5 % cette année (précision de 92,5 %), indique Jonathan Pétard de l’entreprise, mais aussi de la vigueur de la vigne, de son état sanitaire (au point pour la flavescence dorée, le bois noir et le mildiou), du stade de maturité ou encore des dégâts suite à un incident climatique. Il faut compter environ 2 500 euros par mois, pour la location du boîtier, l’analyse et l’envoi des données, quel que soit le nombre d'hectares et de photos.
2 Chouette allie détection par caméra et comptage manuel
Allier la précision du comptage manuel à la fiabilité des modèles high-tech, tel est le concept sur lequel la start-up Chouette se base pour fournir à ses clients des estimations de rendements. La société propose en effet de détecter les zones d’échantillonnage les plus représentatives, car les plus hétérogènes, grâce à sa caméra embarquée sur drone ou avion. Le vigneron se rend ensuite sur le terrain pour y effectuer un comptage manuel. Qu’il peut alors extrapoler au reste de la parcelle puisque Chouette lui fournit aussi le nombre de pieds improductifs (et donc par déduction le nombre de ceps productifs) de la zone.
Une technique qui permet d’obtenir une fiabilité de l’ordre de 80 % selon Charles Nespoulous, cofondateur de l’entreprise. Chouette peut aussi fournir uniquement une estimation du nombre de pieds improductifs. Le vigneron réalise alors ses échantillons de manière classique et multiplie par le bon nombre de pieds. Niveau financier, l’offre démarre à partir de 25 euros l’hectare par prise de mesure.
3 DeepPlanet s’appuie sur les données satellitaires
Incubée par Bernard Magrez, la start-up DeepPlanet basée à Oxford, en Angleterre, déploie un service basé sur l’analyse de données NDVI satellitaires nommé VineSignal. Via une interface web, VineSignal fournit différents indices permettant de surveiller le niveau de stress hydrique de la plante, le taux de sucre des baies, les attaques de maladies et aussi de visualiser le niveau de rendement potentiel. Ces données ne s’appuyant pas sur des mesures à la vigne, elles doivent être couplées à l’historique du domaine. De même toutes les informations fournies par d’éventuels capteurs disposés au vignoble peuvent être intégrées dans les modèles pour affiner les calculs. Cela permet d’être à une précision de rendement de 70 à 80 %, voire de 85 % à 90 % si le domaine dispose de nombreux capteurs, avance Christopher Pang, de la société.
DeepPlanet dispose de trois formules. Essentiel, à 30 euros par hectare et par an, est un bulletin de santé de la vigne. Classique, à 60 euros par hectare et par an, dispense, en plus des données d’Essentiel, un suivi du taux d’humidité à 3 m de profondeur, des cartes de maturité et une prévision de date de vendange. Il faut attendre la formule Supérieur pour avoir accès en plus à l’estimation du rendement (120 euros par hectare et par an).
4 Trellis se base sur une banque de données mondiale
La solution peut s’appuyer sur des capteurs dans le vignoble, si le domaine en dispose. Cela permettra d’avoir des estimations plus fines. Mais sinon, l’IA dispose de suffisamment d’informations pour pouvoir tout de même fonctionner. Juste avant la récolte, la prévision de rendement est fiable à 95 %, annonce Ilai Englard, CEO et cofondateur de la société. « Sur certains domaines, nous mettons deux ou trois ans à arriver à cette fiabilité, nuance-t-il. Mais pour d’autres, c’est beaucoup plus rapide. » Cette prévision a un coût non négligeable : il faut compter 5 000 dollars par mois au minimum, avec un engagement annuel.
5 Proxidétection pour 3D Aerospace
La société toulousaine 3D Aerospace se positionne, elle aussi, sur le créneau de la proxidétection, avec sa solution DeVines, distinguée au dernier Sitevi. Un boîtier connecté nommé eHermes s’installe sur le capot du tracteur. Il est géolocalisé et prend des clichés de la vigne de chaque côté du rang. Ces images sont stockées dans l’appareil (mémoire de 2 teras, soit l’équivalent de 12 hectares) et envoyées dans le Cloud en fin de journée par Wifi. Une intelligence artificielle les analyse et l’utilisateur retrouve les informations sur une application web ou mobile.
Différents modules sont proposés : la détection des manquants, des maladies et bien sûr, l’estimation du rendement. Pour ce dernier item, la société fournit le nombre de grappes et leur taille, avec une précision de 83 à 87 % après trois passages, et selon le stade végétatif, la vigueur de la vigne, et la taille des grappes. « L’objectif à terme est d’être à une précision de 90 % », assure Benjamin Kawak, fondateur de la société. Le client doit ensuite extrapoler avec son historique de rendement pour obtenir un tonnage à l’hectare.
« À l’heure actuelle, la limite est que notre système ne détecte que ce qui est visible, explique Benjamin Kawak. Mais la probabilité qu’une même grappe reste cachée durant cinq passages est très faible. » La formule fonctionne sur location du boîtier et abonnement. Il faut compter 1 000 euros HT par an pour le récepteur et ensuite 25 euros par an et par hectare pour le module rendement.
Deux capteurs encore dans les cartons
Un radar embarqué pour Ovalie Innovation
La filiale innovation des coopératives Maïsadour et Vivadour (4 000 hectares de vigne), planche depuis 2012 sur l’estimation des rendements par radar. Ici, nul besoin d’extrapolations de l’intelligence artificielle. Le capteur détecte toutes les grappes, blanches, rouges et même masquées par le feuillage de la vigne. La technologie fonctionnant en statique et à faible vitesse (rythme piéton), l’objectif est à présent de pouvoir augmenter le débit de chantier (7 km/h). « Nous avons encore un peu de travail pour transposer la technologie à cette nouvelle vitesse, informe Patrice Galaup, d’Ovalie Innovation. Il faut faire évoluer le capteur et le vecteur. Nous sommes à la recherche d’investisseurs pour accélérer cette dernière phase. » L’objectif est de pouvoir fournir une estimation assez tôt en saison (dès le stade petit pois), avec une précision de 90 % ou plus.
Un capteur piéton de précision chez Vivelys
Vivelys travaille depuis plusieurs années sur un capteur embarqué sur tracteur ou enjambeur, permettant d’évaluer le rendement. Une caméra, couplée à une intelligence artificielle, fournira une estimation du rendement avec une précision de 95 %. « Nous sommes en phase de finalisation, dévoile Karine Herrewyn, directrice générale de Vivelys. Chez certains clients nous sommes à moins de 5 % de différence entre l’estimation et la vendange réelle, mais chez d’autres nous sommes encore entre 5 et 9 %. Nous allons donc refaire une campagne d’essais pour parvenir à la précision que nous souhaitons. » Cet outil sera commercialisé seul, mais pourra également être couplé avec le Dyostem.
voir plus loin
L’IFV Occitanie propose un outil d’estimation du rendement en ligne, fonctionnant pour 19 cépages du Sud-Ouest. Sur la base du décompte du nombre de grappes par cep sur une quarantaine de pieds, l’outil fournit une fourchette de rendement.