Chronique
Des recommandations qui tournent à l’entente en Alsace
La récente décision de l’Autorité de la concurrence concernant la filière des vins alsaciens montre qu’il faut rester très prudent avec les pratiques de recommandation de prix auprès d’opérateurs indépendants et que les organisations professionnelles restent bien dans leur rôle en agissant de la sorte.
Comment structurer l’offre commerciale à travers une homogénéisation des prix de vente ? La question n’est pas nouvelle, mais elle est régulièrement posée, ce qui contribue à renforcer la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence des cours et tribunaux. Dans un contexte de liberté de la concurrence, la formation des prix de vente doit résulter, pour chaque opérateur, du libre jeu du marché, ce qui implique que chacun établisse une analyse de ses propres coûts pour parvenir à cette fixation en toute indépendance.
Mais parfois, cette indépendance est perçue comme un obstacle à un développement collectif par la préservation d’une image de marque au bénéfice d’un ensemble d’opérateurs, ce qui peut être le cas au sein d’un réseau ou encore d’une filière. Une réflexion collective sur la structuration des prix de vente apparaît alors comme un remède, bien que tout ne soit pas permis.
La loi et la jurisprudence admettent qu’un prix maximum soit conseillé ou même imposé, au sein d’un réseau, à condition qu’il ne s’agisse pas, en réalité, d’un prix uniforme que chacun devrait pratiquer, sans égard pour ses propres conditions d’exploitation. À l’opposé, la pratique du prix minimum imposé, ou prix plancher, est toujours interdite.
Prix recommandés
Entre ces deux extrêmes, figure une zone plus ou moins grise constituée par les pratiques de prix « conseillés » ou « recommandés », qui ne peuvent être appréhendées qu’au cas par cas. Elles nécessitent d’éclaircir les conditions dans lesquelles ces prix ont été arrêtés, quelle est la force contraignante ou obligatoire de tels recommandations ou conseils, et quel est l’effet de chaque pratique sur le marché.
Au cas d’espèce, l’Autorité de la concurrence a sanctionné le 17 septembre 2020 (décision no 20-D-12) deux organisations syndicales, l’une de viticulteurs alsaciens et l’autre de négociants-producteurs, ainsi que le Comité interprofessionnel des vins d’alsace (Civa) pour des pratiques d’ententes sur la base de deux griefs.
Le premier d’entre eux incriminait une entente unique, complexe et continue de 2008 à 2017, afin de fixer un prix minimum du raisin sous forme de recommandation dans l’objectif de réduire l’incertitude concurrentielle et d’augmenter les prix de vente des vins d’Alsace, portant ainsi atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché.
Publication dans une revue
À partir de 2013, ces prix, arrêtés en concertation par les trois organisations précitées, ont été publiés dans la revue des vins d’Alsace, ce qui a conféré à ces recommandations une publicité très fortement incitative.
Les discussions avaient même porté sur la définition d’un contrat-type rendu obligatoire pour les ventes de raisin, et dans lequel les opérateurs devaient indiquer les prix pratiqués. Nous étions donc loin de la simple recommandation, car les producteurs avaient significativement renoncé à analyser leurs coûts pour définir leurs prix de cession.
Le deuxième grief, notifié au seul Civa, avait consisté à fournir à ses adhérents, pour chaque récolte, des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac par cépage pour l’AOC Alsace depuis 1980 et jusqu’en 2018 et pour l’AOC Crémant d’Alsace de 2017 à 2018.
La pratique ayant porté sur les vins tranquilles a ainsi duré 38 ans ! Il est évident que le marché aval, c’est-à-dire la vente au consommateur, s’en est forcément trouvé affecté.
Les organisations mises en cause ont bien tenté de faire valoir les exceptions au droit des ententes qui peuvent profiter au secteur agricole sous certaines conditions, mais ces conditions n’étaient, comme souvent, pas réunies.
De manière plus cocasse, elles ont également essayé de se prévaloir de la présence d’agents de l’administration de la Draaf ou de la Direccte à certaines de leurs réunions, mais il leur fut rappelé que tant que l’administration n’impose pas une solution qui serait anticoncurrentielle, cette participation ne saurait avoir un effet quelconque sur la gravité ou l’imputabilité des pratiques relevées. L’administration avait d’ailleurs elle-même averti les mis en cause des dangers de la concertation ainsi organisée.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire, parfums, fleurs et leurs produits dérivés : www.leschampsdudroit.fr.