Les effets du Brexit se verront à plus long terme
Les filières laitières de l'UE à 27 sont soulagées que le Brexit se fasse sans droits de douane ni contingents. Plusieurs facteurs joueront sur les nouveaux équilibres entre les deux zones géographiques.
Les filières laitières de l'UE à 27 sont soulagées que le Brexit se fasse sans droits de douane ni contingents. Plusieurs facteurs joueront sur les nouveaux équilibres entre les deux zones géographiques.
« Avec environ 3,5 milliards d’euros de produits laitiers importés en provenance de l’Union européenne à 27 en 2019, le Royaume-Uni absorbe pas moins de 18 % des envois européens de produits laitiers. La part de marché est de près d’un tiers sur les fromages », souligne l'Institut de l'élevage. L’UE à 27 constitue le fournisseur quasi-exclusif du Royaume-Uni avec 99 % de ses importations totales en produits laitiers ! Et le Royaume-Uni expédie vers l'UE à 27 environ 75 % de ses exportations totales. C'est dire si l'accord de libre échange conclu à quelques jours de la sortie définitive du Royaume-Uni de l'Union européenne est un soulagement pour la filière laitière française et celle d’autres pays européens très liés commercialement au Royaume-Uni.
Il n’y a ni droits de douane ni contingents sur les échanges de marchandises. En outre, les Britanniques s’engagent à respecter la législation et les standards sociaux, environnementaux et climatiques de l’Union européenne qui existent et à s’adapter à leur évolution.
Des délais d’acheminement plus longs
Pour autant, avec le rétablissement des frontières, la chaîne d’approvisionnement en alimentation est perturbée par les formalités administratives et les contrôles douaniers, qui prennent forcément du temps. Les entreprises de part et d’autre de la Manche doivent être enregistrées pour pouvoir effectuer des échanges.
La deuxième grande étape sera à partir du 1er avril. Il faudra un certificat sanitaire pour exporter. Des questions demeurent sur les capacités de traitement administratif et les délais. Mais la reconnaissance mutuelle des règles sanitaires entre les deux zones géographiques devrait faciliter les choses.
Des surcoûts administratifs et logistiques
Des laiteries contactées expliquent que les délais d’acheminement sont plus longs, à cause de l’attente aux frontières. Un phénomène amplifié par la Covid-19. Il y a des surcoûts administratifs ; des coûts de main d’œuvre liés au temps passé en formalités ; des coûts logistiques, si par exemple une entreprise avait pour habitude de grouper ses expéditions pour le Royaume-Uni et l’Irlande. Désormais, il y aura des envois vers l’Angleterre en direct, avec des surcoûts douaniers, administratifs et sanitaires, et du transport direct vers l’Irlande qui reste dans l’UE, plus coûteux également car les tonnages seront moins élevés.
Yvan Borgne, directeur commercial export pour la partie PGC chez Laïta, relativise. « Il y aura des surcoûts, mais c'est sans commune mesure avec les hausses qu'il y aurait eu en cas de non-accord avec des droits de douane. Ce n'est pas ce rétablissement des frontières qui peut provoquer une dégradation de nos exportations. Par contre, si la livre sterling baisse, cela aura un effet négatif. »
La crainte d'une baisse de la livre sterling
Pour Laïta (transformation et commercialisation du lait de Even, Triskalia et Terrena), le Royaume-Uni représente environ 15 % du chiffre d'affaires export. « C'est notre premier marché export. Nous leur vendons essentiellement des pâtes molles type brie et camembert, et un peu d'ultrafrais. Pour tous les circuits. Donc la Covid-19 touche beaucoup les activités Food services (restauration hors domicile). Nous opérons via Eurilait, une filiale britannique codétenue avec Eurial (Agrial). » Eurilait fait principalement de l'importation de produits de Laïta et d'Eurial, et d'autres produits d'Europe continentale. Elle commercialise environ 15 000 tonnes de produits laitiers français. « Clairement, si la valeur de la livre sterling baisse, nos produits perdront en compétitivité prix par rapport à des produits laitiers fabriqués au Royaume-Uni. »
European dairy association (EDA représente les transformateurs laitiers européens) met en garde. « En dépit du principe "pas de droits de douane, pas de quotas", des coûts supplémentaires de près de 300 millions d'euros par an affecteront le secteur laitier de l'UE-27, en particulier la République d'Irlande. » Il est à craindre « une baisse significative des exportations de produits laitiers de l'UE27 vers le Royaume-Uni, qui risque de créer des turbulences sur les marchés européens et mondiaux du lait ».
Y aura-t-il d'autres pays concurrents ?
Pour réduire sa dépendance à l’Union européenne, le Royaume-Uni cherchera à conclure des accords de libre échange avec d’autres pays. Parviendra-t-il à signer des accords sans droit de douane avec de grands pays laitiers compétitifs comme les USA ou la Nouvelle-Zélande ? Même si c’est le cas, ces pays réussiront-ils à fournir les produits laitiers dont veulent les Britanniques ? Rivaliser avec les produits qualitatifs, diversifiés et compétitifs irlandais, néerlandais, allemands, français… n’est pas simple.
La production laitière britannique progressera-t-elle ?
Le Royaume-Uni cherchera peut-être à réduire son déficit en produits laitiers, en augmentant sa production. La stratégie des transformateurs laitiers installés au Royaume-Uni (Arla Foods, Müller, Saputo...) sera déterminante, ainsi que la nouvelle politique agricole. Quel sera le niveau des aides, vers quelles productions, actions iront-elles ? Si les aides ne visent que la rémunération de services environnementaux, cela peut avoir des conséquences importantes sur le niveau de production du pays, et renforcer son déficit. Le Brexit n’a pas fini de faire parler de lui. Affaire à suivre…
À retenir
Production laitière du Royaume-Uni : 15,5 milliards de litres de lait, pour 66,65 millions d'habitants.
Importations de produits laitiers : 3726 millions d'euros courants en 2019
Exportations de produits laitiers : 2077 millions d'euros courant en 2019 (source : Inrae, d'après les données des douanes)