« L’engraissement des chevreaux reste un maillon fragile »
Anthony Garnier, président de la Fnenc, la Fédération nationale des engraisseurs de chevreaux, revient sur la fragilité et les efforts de la filière viande de chevreau.
Comment s’est déroulée la campagne 2023-2024 pour les engraisseurs ?
Le prix du chevreau gras a baissé de vingt centimes par kilo en moyenne par rapport à l’an passé, principalement en raison de la diminution du prix de la poudre de lait. Cependant, l’augmentation d’autres charges, non encore prises en compte par les abatteurs, a conduit à une perte de revenu estimée à un demi-Smic pour nos ateliers. Pour mieux prendre en compte l’ensemble de nos charges dans les négociations à venir avec les abatteurs, nous poursuivons un travail d’analyse de nos coûts de production.
Cette année, Pâques est arrivé tôt et davantage de chevreaux ont dû être congelés, mais heureusement la plupart des stocks ont été écoulés. La campagne s’est légèrement repliée en volume par rapport à 2022-2023 avec des situations différentes selon les bassins de productions. C’est lié à la diminution du cheptel caprin, l’augmentation des lactations longues et les faibles performances de reproduction dues à la chaleur d’août 2023.
Les engagements sur le prix et les volumes pour les chevreaux de Noël sont-ils bien accueillis par les éleveurs naisseurs ?
L’idée d’étaler les naissances est positive, mais je doute honnêtement que les éleveurs y soient très réceptifs. Les prix des chevreaux sont déjà plus élevés à Noël et les questions de prix du lait, d’organisation et de temps de travail sont prioritaires dans le choix des dates de naissances. Malgré des prix plus attractifs en novembre (huit à dix euros par chevreau chez certains collecteurs contre un à trois euros en février), cette différence ne suffit pas à modifier les pratiques des naisseurs.
Avant, nous trouvions davantage de chevreaux à Noël car les boucs étaient six à huit mois de l’année avec les chèvres. Aujourd’hui, l’élevage s’est professionnalisé et les éleveurs se tiennent aux périodes de mise bas qu’ils ont choisies.
Quelle serait votre charte du chevreau idéale ?
La charte actuelle, issue d’un compromis entre les familles de la section caprine d’Interbev, repose sur la bonne volonté et reprend les principales réglementations. Cela reste difficile pour l’engraisseur ou le collecteur de vérifier l’âge des animaux ou s’ils ont tété ou non du colostrum. Nous aurions aimé collecter des animaux un peu plus âgés, de l’ordre de sept jours, car ils sont alors plus résistants lors de l’engraissement. Je trouve aussi que c’est compliqué de demander aux éleveurs-naisseurs d’apprendre aux chevreaux à téter alors qu’ils font justement appel aux engraisseurs pour gagner du temps.
« Pour installer de nouveaux engraisseurs, il faut que le métier soit rémunérateur »
Chez moi, les chevreaux élevés à la tétine sont payés entre un et deux euros de plus que ceux qui sont restés sous la mère. Tous les engraisseurs ne font pas cette distinction et c’est dommage car les chevreaux déjà habitués à la tétine demandent moins de travail et sont plus robustes.
L’engraissement à la ferme vous fait-il de la concurrence ?
L’engraissement à la ferme peut être intéressant pour certains éleveurs, mais il nécessite des outils d’abattage et de découpe qui font souvent défaut. Dans le Grand Ouest, environ 10 % des chevreaux sont engraissés par les naisseurs et cette pratique tend à diminuer. Avec des ateliers de taille importante, les éleveurs n’ont pas forcément les moyens humains ou l’espace pour engraisser eux-mêmes.
Que faire si un engraisseur cesse son activité ?
C’est une situation préoccupante, comme dans le sud-est de la France, où un engraisseur a arrêté. Même si une partie des chevreaux est récupérée par d’autres engraisseurs, cela reste insuffisant. Certains éleveurs pourraient être tentés d’euthanasier les chevreaux, une solution catastrophique pour l’image de la filière. Avec seulement une trentaine d’engraisseurs en France et certains proches de la retraite, la filière reste un maillon fragile. Mais si on veut installer des engraisseurs, il faut que le métier soit rémunérateur.
Le projet de règlement européen sur le transport est-il applicable aux caprins ?
Ce projet est très problématique pour la filière caprine. Il prévoit d’interdire le transport des chevreaux de moins de trois semaines au-delà d’un rayon de 100 km. Si cette mesure est adoptée, notre métier disparaîtrait, car nous collectons des chevreaux bien au-delà de cette distance. De plus, la limitation à 8 heures de transport pour les animaux non sevrés est irréaliste en raison du faible nombre d’abattoirs. Enfin, réduire de moitié la densité des animaux dans les camions doublerait le nombre de camions sur les routes. Nous espérons que la nouvelle Commission européenne reviendra sur ces propositions.
Curriculum
Anthony Garnier est engraisseur de chevreaux dans le Nord des Deux-Sèvres. À 36 ans, il est président de la Fnenc, la Fédération nationale des engraisseurs de chevreaux, depuis sa création en 2020. La Fnenc rassemble une douzaine de la trentaine des engraisseurs de chevreaux français.