« Sur notre élevage laitier, c’est la marge qui compte, pas la productivité »
Au Gaec des Rouges et Noires, dans l’Aveyron, les deux associés font la chasse au moindre gaspillage. Ils mettent tout en œuvre pour minimiser les charges, notamment les postes alimentation et fourrage avec un troupeau mixte de 70 prim’Holstein et pie rouge.
Au Gaec des Rouges et Noires, dans l’Aveyron, les deux associés font la chasse au moindre gaspillage. Ils mettent tout en œuvre pour minimiser les charges, notamment les postes alimentation et fourrage avec un troupeau mixte de 70 prim’Holstein et pie rouge.
« C’est dans mon ADN de vouloir optimiser chaque poste. Il n’y a pas de petite dépense et pour toute nouvelle charge, il doit forcément y avoir un retour sur investissement », soutient François Bosc, associé à son beau-frère Jean-Claude Viguié sur une exploitation aveyronnaise du Ségala produisant 580 000 litres de lait à 450 mètres d’altitude. Auparavant, chacun exploitait sa propre ferme sur deux sites distants de 17 km. L’un en prim’Holstein, l’autre en pie rouge des plaines.
Aujourd’hui, les deux hommes ont regroupé leurs moyens de production autour d’un objectif commun. « Nous voulons vivre de notre métier en cherchant à atteindre la meilleure efficacité possible à partir de ce que nous avons. C’est la marge qui nous intéresse et qui dicte nos choix », poursuivent-ils, pragmatiques.
Cette stratégie s’illustre en premier lieu en tirant le meilleur parti possible des fourrages produits, comme en témoignent deux indicateurs. Le Gaec affiche 68 % de lait permis par l’énergie des fourrages, contre 48 % pour le groupe de comparaison technico-économique Ecolait de la zone, et 50 % de lait permis par l’azote des fourrages (30 % pour le groupe).
Miser sur des ensilages d’herbe précoces
Le système fourrager repose à la fois sur le maïs ensilage et l’herbe. Les éleveurs s’attachent à cultiver des prairies riches en légumineuses, avec de la luzerne, des associations de ray-grass hybride-trèfles, et des méteils riches en protéines à base d’avoine (40 kg/ha), de féverole (60 kg/ha), de pois (60 kg/ha) et de vesce (15 kg/ha).
Ils réalisent des ensilages précoces pour favoriser la qualité. « Les premières coupes se répartissent sur trois dates différentes, du 20 avril au 20 mai. Nous privilégions toujours le stade de récolte au rendement. Nous récoltons parfois moins de 2 t MS/ha, mais c’est le prix à payer pour un fourrage de haute qualité. » Cette multiplicité de chantiers est facilitée par le recours à la faucheuse conditionneuse de la Cuma qui offre une grande souplesse et la réactivité des ETA sur le secteur.
Fiche élevage
• 89 ha de SAU dont 7 ha de maïs ensilé (en raison de stocks d’avance, 13 hectares habituellement), 17 ha de prairies naturelles, 5 ha de luzerne, 49 ha de prairies temporaires, 11 ha de céréales autoconsommées, 6 ha de méteil
• 70 vaches à 8 300 l
• 579 000 l produits
• 1,21 UGB/ha SFP
• 2,5 UMO dont 0,4 salarié et 0,1 bénévole
Autre levier pour favoriser les économies, le pâturage représente 1,5 t MS sur les 5,8 t MS des fourrages consommés annuellement. Autour du bâtiment, les vaches réalisent cinq à sept tours par an, sur vingt-trois paddocks de 70 ares, en pâturage tournant dynamique. Il s’agit surtout de prairies multiespèces à base de différents ray-grass anglais et trèfles blancs, fétuque élevée et pâturin, renouvelées tous les huit ans. « Comme certaines de nos prairies sont assez portantes, nous pouvons sortir les vaches autour du 20 février pour créer un décalage de pousse, même s’il n’y a pas encore grand-chose à pâturer à ce moment-là », avance François.
Privilégier une parcelle parking plutôt que surpâturer
En mars, l’herbe pâturée s’élève à 4 kg MS/VL/j dans le régime et monte à 8 kg/VL/j au plus fort de la pousse au printemps. Les quantités de correcteur azoté sont alors réduites à 1 kg par vache et par jour, auquel s’ajoute 1 kg de céréales. « C’est le moment le plus critique de l’année du fait de la richesse de l’herbe en azote soluble. »
Les refus ne sont pas broyés mais fauchés pour être récoltés en foin ou enrubannage, souvent après le deuxième ou troisième passage. « Il arrive que les vaches restent sur une parcelle parking, le temps que l’herbe repousse. » Elles ne reviennent pas sur un paddock tant que le stade trois feuilles n’est pas atteint. « Je préfère condamner une parcelle et la retourner pour semer un maïs ou une céréale plutôt que risquer de surpâturer toutes les prairies, explique François. Sinon, la flore se dégrade et la prairie vieillit mal. »
Piloter la ration en fonction du taux d’urée et des bouses
Une complémentation maîtrisée et économe contribue également à l’efficacité du système. Les laitières reçoivent toute l’année une ration complète dont la composition dépend de la proportion des différents fourrages récoltés et stockés en silo sandwich.
Le régime hivernal comporte 5,6 kg MS d’ensilage d’herbe, 6,5 kg MS de maïs ensilage, 1,8 kg MS d’enrubannage, 2,5 kg MS de foin, 1 kg MS de maïs épi (acheté en bottes enrubannées à un voisin). Le correcteur azoté à base de 70 % de soja et 30 % de colza) ne dépasse pas 2,8 kg et 1,5 kg pour les céréales autoproduites (mélange de blé et d’orge).
« Nous ne faisons pas de calcul de ration à proprement parler, avouent les éleveurs. Nous pilotons en fonction de l’urée du lait en visant la régularité entre 200 et 250 mg/l. » Les éleveurs se fient aussi à l’aspect des bouses et à leur couleur pour ajuster les quantités d’azote, ainsi qu’à l’écart entre les taux. « Nous ne visons jamais moins de dix points d’écart entre le TB et le TP, illustre François. Si le TB descend, c’est le signe d’un manque de rumination, qui nécessite par exemple l’apport de davantage de foin. »
À travers l’observation fine du troupeau, les exploitants font preuve de réactivité pour apporter d’éventuels réajustements dans la ration. « Le plus important, c’est de ne pas oublier que les vaches sont avant tout des ruminants !, poursuit-il. Si elles ruminent bien, elles transforment bien les fourrages et la santé est au rendez-vous. » Certaines pratiques sont systématisées, comme bloquer les vaches au cornadis après la traite du matin le temps qu’elles ingèrent 1 à 2 kg de foin, selon l’appétence, de façon à créer un tapis fibreux dans le rumen pour ralentir le transit, ou assurer des transitions alimentaires de trois semaines à chaque changement de silo ou de régime. « C’est la base », estiment les éleveurs.
Une stratégie économe en concentrés
Avec 159 g de concentrés par litre de lait, le Gaec affiche la plus faible moyenne du groupe Ecolait de la zone. « En matière de concentrés, c’est simple : mieux vaut moins que trop », considèrent les deux associés qui privilégient des aliments simples. Quelle que soit la conjoncture du prix du lait, hors de question pour eux d’aller chercher des litres supplémentaires par le levier concentrés. « D’une part, ce n’est pas notre philosophie et d’autre part, nous n’avons pas envie d’avoir des soucis métaboliques. Peut-être que nous sommes perdants à certaines périodes, mais c’est le prix de la tranquillité ! »
François Bosc, éleveur : « La ration, ce sont les vaches qui en parlent le mieux ! »
Économe aussi en engrais
Le Gaec utilise deux tiers d’engrais de moins que le groupe avec 7 tonnes d’ammonitrate par an. En 2022, l’azote minéral s’est limité à 16 UN/ha SFP. Les prairies de fauche bénéficient de 60 UN en première année et entre 30 et 60 UN les années suivantes en fonction du taux de légumineuses. Le rendement moyen des prairies, hors luzerne, atteint 6,4 t MS/ha. En 2022, le maïs n’a aucune fertilisation minérale.
Avis d’expert : Nicolas Juillard, ingénieur conseil au BTPL
« Le choix de la valeur ajoutée plutôt que du volume »
« Le Gaec étant limité en surfaces, les associés ont défini leur stratégie en fonction de cette contrainte et du potentiel de production des terres. En cohérence avec la recherche d’économie de charges, ils visent la meilleure valeur ajoutée possible à travers le prix du lait (qualité, taux) et le produit viande (veaux croisés, taux de renouvellement faible, taux de mortalité des veaux limité(1)). Ils ont su trouver un juste milieu entre la recherche d’autonomie et le niveau de productivité du troupeau. La productivité de la main-d’œuvre, inférieure à 100 000 l/UMO par rapport à la moyenne du groupe Ecolait de la zone, est parfaitement assumée. En termes de revenu disponible par UMO lait, l’exploitation se situe dans le quart supérieur du groupe. S’il faut mentionner un point d’amélioration, c’est la reproduction qui se trouve pénalisée par le déficit énergétique en début de lactation, qui retarde la mise à la reproduction. »