Sélection laitière : Les gènes face aux enjeux climatiques et du bien-être animal
Bovins moins émetteurs de méthane, plus résistants au stress thermique, efficacité alimentaire ou encore gène sans cornes : de nombreux travaux sont menés dans le monde pour améliorer la résilience économique et environnementale des élevages grâce à la sélection génétique.
Dans la lutte contre le changement climatique, les bovins sont régulièrement montrés du doigt car émetteurs de méthane, un puissant gaz à effet de serre. La hausse des températures les met très vite en situation de stress thermique. Les attentes sociétales en matière de durabilité des modes de production s’accentuent. Autant de défis à relever pour la filière.
La génétique est un levier, parmi d’autres, à activer pour y parvenir. Avec une caractéristique qui lui est propre. « La sélection génétique est un processus long. Il y a d’autres mesures à prendre si on veut agir à court terme », prévient Olivier Bulot, directeur de l’organisme de sélection des races brune et jersiaise.
Pour autant, elle reste incontournable. De nombreux travaux sont en cours dans le monde. « Beaucoup tournent autour de l’efficience environnementale et de l’adaptation des animaux au changement climatique », confirme Sophie Mattalia, du département génétique de l’Institut de l’élevage. Sur le volet environnemental, les travaux visent notamment à réduire les émissions de méthane entérique par les bovins. La voie génétique est d’autant plus prometteuse qu’il existe une bonne variabilité génétique pour ce caractère.
Sophie Mattalia, d'Idele : « L’adaptation à la chaleur est une course contre la montre parce qu’aucune race n’est adaptée à une très forte augmentation de la température »
Des premiers index disponibles cet hiver
« Les Canadiens viennent de lancer une évaluation génétique sur les émissions de méthane des vaches laitières. La France devrait être en mesure de le faire d’ici la fin de l’hiver », décrit la généticienne. « Les premiers index issus de nos travaux de recherche seront disponibles cet hiver, mais cela ne préjuge pas de la date de leur première utilisation », confirme Sébastien Fritz, chef du projet Methabreed en bovins laitiers dédié aux recherches dans ce domaine.
Pourquoi ce décalage avec le Canada ? « Il faut du temps pour mettre au point une équation de prédiction qui soit utilisable dans toutes les races laitières et non pas qu’en Holstein », explique Sophie Mattalia.
Concrètement, la méthode développée en France s’appuie sur la valorisation des spectres moyens infrarouge (MIR) du lait utilisés en routine par les laboratoires interprofessionnels pour réaliser les analyses liées au paiement du lait.
La diffusion de cette génétique moins émettrice de méthane pourrait aussi se heurter à des réalités de terrain. « C’est bien de créer des animaux qui produisent moins de méthane. Mais il faut dans le même temps vérifier que cela ne se fait pas au détriment d’autres caractères importants », expose Olivier Bulot.
« C’est la raison pour laquelle nous avons prévu de regarder aussi les liens génétiques entre la production de méthane et les autres caractères », précise Sophie Mattalia. « Nous travaillons sur la façon dont pourra être intégré ce critère dans les objectifs de sélection des races. Ce sera ensuite aux organismes de sélection de décider ce qui sera mis en œuvre dans les schémas. »
La thermotolérance passée au peigne fin
L’adaptation à la chaleur est le second grand défi auquel la filière va devoir faire face. « C’est une course contre la montre parce qu’aucune race n’est adaptée à une très forte augmentation de la température. »
Ce sujet est exploré à travers le programme français CAICalor et le projet H2020 Rumigen mené en collaboration avec les Hollandais et les Espagnols. Ils s’inspirent des travaux des Australiens qui sont les premiers à avoir développé une évaluation génétique en routine (depuis 2018).
Une telle évaluation génétique s’appuie sur le croisement des bases de données météorologiques avec celles issues du contrôle laitier. « Nous étudions de nouveaux caractères sur la thermotolérance. Nous pouvons aussi mesurer l’impact de la sélection conduite aujourd’hui sur les futures capacités des femelles à produire, se reproduire et rester en bonne santé. »
Des catégories d’animaux plus sensibles
Tout comme pour la réduction du méthane, les caractères fonctionnels devraient prendre de plus en plus d’importance demain dans la sélection pour avoir des animaux plus à même de passer des périodes avec des températures élevées.
« Les animaux sensibles aux mammites le sont encore plus lorsque la température augmente. La fertilité est mise à mal quand les températures augmentent, en particulier en Holstein. » Pour la production laitière, il n’a pas encore été possible d’identifier de lignées plus résistantes aux conditions chaudes. « Les lignées les plus productives seront celles qui baisseront le plus en cas de fortes chaleurs. Les écarts entre les extrêmes vont donc se réduire », décrit Sophie Mattalia.
Globalement, les animaux ayant le meilleur potentiel génétique resteront dans le top en conditions plus chaudes, mais il y aura des reclassements au sein de ce groupe de tête. Ce phénomène pourrait permettre de définir des caractères génétiques d’adaptation à un changement climatique.
Reste qu’il ne faut pas demander l’impossible aux vaches. La baisse de production laitière en cas de stress thermique est un mode de protection naturelle. « Si une vache reprend sa lactation lorsque les conditions climatiques redeviennent correctes, ce n’est pas un drame. »
De belles perspectives avec le gène Slick
Le croisement avec des races africaines est une solution envisageable mais peu convaincante à court terme. « Il est difficile d’imaginer de faire progresser suffisamment rapidement ces races en production laitière pour diminuer l’écart avec les nôtres. »
En revanche, certains gènes comme le gène Slick pourraient aider à sélectionner des animaux plus tolérants à la chaleur. « Ce gène, originaire de la race caraïbéenne Sénépol et d’ancêtres zébus, a été introgressé en race Holstein. Il apporterait une meilleure régulation de la température corporelle sous fortes chaleurs », expose Jean-Christophe Boittin, d’Innoval.
Ce gène est déjà utilisé dans certains programmes américains, australiens ou néozélandais. En France, le groupe Innoval propose dans son catalogue le taureau Holstein PO SL PP red porteur du gène Slick. Ce taureau est issu du schéma Holstein de l’entreprise de sélection hollandaise CRV. De son côté, Gènes Diffusion travaille quelques accouplements dans son noyau de sélection pour essayer d’intégrer ce gène.
Réduire les émissions de méthane durant toute la carrière
Les vaches laitières émettent du méthane tout au long de leur vie et pas uniquement lorsqu’elles sont en lactation. « Si nous arrivons à réduire, ne serait-ce que de quelques mois, l’âge au premier vêlage en bovins laitiers ou viande, c’est autant de méthane économisé. De même que si nous arrivons à améliorer la santé des animaux et à faire en sorte que les vaches laitières fassent une lactation de plus, on augmentera la rentabilité globale de l’animal, que ce soit d’un point de vue économique ou environnemental. »
Des propos en phase avec la stratégie de Gènes Diffusion. « Concernant l’impact de l’élevage bovin sur le réchauffement climatique, nous travaillons sur deux éléments, à savoir favoriser des animaux aux carrières laitières plus longues et viser une sélection sur une moindre propension de ceux-ci à produire du méthane », expose Christophe Audebert, son directeur R&D. Ces leviers confirment l’intérêt d’utiliser les index fonctionnels déjà publiés (longévité, santé de la mamelle, repro…) pour choisir les taureaux et femelles de renouvellement. Et les intégrer dans les objectifs de sélection de chaque race.
La limitation des périodes improductives bénéficie aussi à l’amélioration de l’efficacité alimentaire globale de l’animal, puisqu’elle permet d’économiser des aliments durant ces mêmes périodes. « Sur l’efficacité alimentaire, il y a aussi beaucoup de travaux à l’international. L’enjeu est d’avoir des populations de référence de taille suffisante, ce que nous n’avons pas encore en France », précise Sophie Mattalia, du département génétique de l’Institut de l’élevage.
Diminuer la taille des animaux
Diminuer la taille des animaux est une piste importante et qui fait l’unanimité pour les chercheurs. « Tous les travaux montrent que l’efficacité alimentaire et la résistance à la chaleur sont moins bonnes chez les animaux de grande taille. » Les Hollandais contre-sélectionnent sur le format en race Holstein. « Les Canadiens, qui étaient réputés pour avoir des animaux plutôt grands, en font de même à travers leur index 'body maintenance requirements' publié depuis 2022. Les américains mettent actuellement un poids négatif au format dans les index de synthèse 'Net Merit' », décrit Sophie Mattalia. La France n’est pas en reste. Le nouvel ISU prim’Holstein sorti en 2021 favorise la largeur au détriment de la taille.