Longévité des vaches laitières : l’augmenter mais jusqu’où ?
Augmenter la durée de vie productive des vaches laitières est un enjeu affiché de la filière, pour des raisons économiques et environnementales. Mais quels sont les objectifs précis, les freins et les moyens d’y parvenir ? Le point avec Julien Jurquet, d’Idele.
Augmenter la durée de vie productive des vaches laitières est un enjeu affiché de la filière, pour des raisons économiques et environnementales. Mais quels sont les objectifs précis, les freins et les moyens d’y parvenir ? Le point avec Julien Jurquet, d’Idele.

Quelle est la longévité actuelle des vaches laitières ?

Julien Jurquet, Idele - « Les chercheurs(1) analysent la longévité à travers trois critères principaux : la durée de vie de l’animal, sa durée cumulée de lactation (le nombre de jours passés à produire du lait) et la quantité de lait produite sur sa carrière. La durée de vie est un indicateur de santé et de bien-être animal, qui est complété par les deux autres indicateurs, qui sont des indicateurs économiques.
En 2022, la durée de vie médiane des vaches réformées, sur un groupe de plus de 166 000 vaches, s’élevait à 2005 jours, soit 5,5 ans (la médiane est la valeur qui sépare la moitié inférieure de la moitié supérieure d’un groupe). La durée de lactation médiane était de 949 jours, soit environ trois lactations. Et, sur une carrière, la médiane pour la production atteignait 24 065 kg de lait.
Entre 2010 et 2022, la longévité a peu évolué. Si la durée de vie médiane a diminué de 60 jours, la durée de lactation médiane est restée stable (-4 jours), grâce à la réduction du nombre de jours improductifs. La production sur une carrière s’est accrue grâce à des rendements laitiers en hausse. La production par jour de vie est ainsi passée de 10,5 kg de lait à 11,5 kg.
La durée de vie moyenne de 5,7 ans en France est proche de celle en Allemagne et aux Pays-Bas. Mais comme l’âge au 1er vêlage dans ces deux pays est plus bas qu’en France (3 à 5,5 mois de moins), ils affichent des durées de vie productive plus longues. »
Les écarts constatés entre individus sont-ils importants ?
J. J. - « Oui. La variabilité entre les individus est élevée, indépendamment de la race ou du troupeau : il y a des vaches qui vivent longtemps dans tous les troupeaux. Entre le quart inférieur et le quart supérieur du groupe étudié, on note une différence de 865 jours de durée de lactation. Ainsi, quand un quart des vaches atteignent au moins quatre lactations à la réforme, un quart ne dépasse pas la deuxième lactation, ce qui peut être considéré comme une réforme prématurée. Ces écarts montrent que des marges de progrès sont possibles.
Les différences entre les trois races principales montrent que la montbéliarde (1 006 jours) présente une durée cumulée de lactation médiane supérieure à la Holstein (948 j) et à la normande (871 j). »
Pourquoi un quart des vaches ne dépassent-elles pas la deuxième lactation ?
J. J. - « Les études et remontées du terrain montrent que les réformes prématurées sont souvent la conséquence d’une absence de stratégie concernant les réformes. Les éleveurs réfléchissent à leur besoin de renouvellement et se fixent un objectif de nombre de génisses à élever, souvent en se gardant une marge de sécurité. Mais ils ne définissent pas un objectif de nombre de réformes. Le cas classique des réformes subies, ce sont des génisses en surnombre qui poussent des vaches à la réforme alors qu’elles auraient pu rester plus longtemps dans le troupeau. »
Quelles sont les causes de réforme ? Sont-elles valables ?
J. J. - « Les résultats d’enquête montrent que les causes de réforme sont, dans l’ordre d’importance : les soucis de reproduction, la santé de la mamelle, les boiteries, une production laitière insuffisante et les troubles métaboliques. Mais les génisses qui poussent les vaches à la réforme sont aussi une cause importante.
La hiérarchisation des causes de réforme ne se fait pas vraiment selon un critère économique. Mais plutôt selon le niveau de tolérance de l’éleveur aux problèmes de santé et de performance laitière de ses animaux.
Une étude montrait que, pour réformer, l’argument de la production laitière insuffisante l’emporterait sur l’aspect santé. Ce qui n’est peut-être pas pertinent économiquement, ni d’un point de vue environnemental. Les recherches en cours visent à créer des méthodes et des outils pour rationaliser le choix des vaches à garder et celles à réformer. »
L’amélioration génétique pousse-t-elle aux réformes précoces ?
J. J. - « Effectivement, le travail d’amélioration génétique de son troupeau peut pousser l’éleveur à réformer précocement pour laisser la place à des génisses bénéficiant du progrès génétique. La question est : Quel compromis trouver entre un objectif d’amélioration génétique et l’augmentation de la longévité ? On ne sait pas répondre. Mais il faut garder à l’esprit que c’est la vache sans problème qui est la plus intéressante sur le plan économique, et que la vache n’exprime pas pleinement son potentiel laitier avant la deuxième, voire la troisième lactation. »
Maximiser la longévité vaut-il le coup ?
J. J. - « C’est plutôt un équilibre qui sera recherché, car garder à tout prix de vieilles vaches n’est pas souhaitable sur le plan économique et de la santé (plus de traitements). Aujourd’hui, nous ne savons pas donner des repères d’optimum. Les travaux en cours cherchent à répondre à la question suivante : vaut-il mieux une productivité élevée quitte à accepter une longévité modérée ? Ou bien la marge est-elle meilleure avec une productivité plus faible mais avec des vaches qui vivent plus longtemps ?
Par ailleurs, on ne pourra pas donner une durée de vie et de lactation optimum qui serait valable pour chaque troupeau et chaque vache. Il y a des raisons objectives de réformer une vache avant sa quatrième lactation. Ce qui est sûr, c’est qu’en dessous de trois lactations, si la vache a consacré moins de la moitié de sa vie à produire du lait, cela ne semble pas efficace. Et en dessous de deux lactations, il est évident que ce n’est pas économiquement viable. »
Avec « Blastocystis », une longévité plus élevée
Les vaches laitières porteuses du parasite intestinal Blastocystis seraient plus à même d’avoir une meilleure carrière grâce à un système immunitaire plus robuste. En moyenne, les animaux porteurs gagneraient 138 jours de vie productive, selon GD Biotech, la filiale R&D de Gènes diffusion. Ces résultats obtenus en race prim’Holstein ont été validés en race normande. Par ailleurs, l’entreprise a trouvé comment prédire la longévité d’une vache à partir de l’identification de Blastocystis via l’analyse d’une bouse. Récompensé d’un Sommet d’or, CowBiot est « un kit de détection pour prédire la durée de vie productive d’une vache ». À partir de juin 2025, les éleveurs pourront, pour une trentaine d’euros, faire analyser des bouses, en vue d’adapter leur taux de renouvellement.
Plus de la moitié de la vie d’une vache est improductive
Pour les vaches laitières ayant terminé leur carrière en 2023, les trois phases de leur vie se répartissent en moyenne ainsi : « 43 % pour l’élevage des génisses, 48 % pour la durée de lactation et 9 % de durée de tarissement », indique Idele.
Ces données sont issues du suivi annuel de la longévité par Idele avec les données du contrôle laitier et du Système d’information génétique (SIG). D’autres indicateurs sont scrutés par Idele : nombre de lactations, lait par jour de vie…
Les caractères qui jouent sur le risque de réforme
Hélène Leclerc, ingénieure recherche et développement chez Eliance, lors d’un webinaire : « Les critères qui sont associés au risque de réforme d’une vache sont le nombre de mammites, avec un risque accru de réforme dès la deuxième mammite sur la lactation en cours ; le nombre de contrôles à plus de 300 000 cellules, avec un risque accru de réforme dès le deuxième contrôle à plus de 300 000 cellules sur la lactation ; une faible distance plancher-jarret de la mamelle ; les vaches avec une grande profondeur de corps ; une vitesse de traite trop élevée ou trop faible ; les problèmes de pattes. »