« Nous travaillons avec des objectifs et des indicateurs»
Dans les Ardennes, Jean-Christophe et Olivier Lepage ont, grâce à la certification environnementale, acquis de la méthode pour avancer.
Dans les Ardennes, Jean-Christophe et Olivier Lepage ont, grâce à la certification environnementale, acquis de la méthode pour avancer.
Cela fait huit ans que la ferme de Turenne est engagée dans une certification Iso. Pourquoi se lancer dans une démarche payante(1) et, à première vue, contraignante? « L’ élément déclencheur, c’est la réaction de visiteurs venus sur l’exploitation entre 2006 et 2011, répond Jean-Christophe Lepage, associé en EARL avec son frère Olivier à Bazeilles dans les Ardennes. Nous sommes à quelques kilomètres de Sedan dans une zone périurbaine de 22 000 habitants. Après l’installation de notre robot de traite en 2006, nous avons accueilli 2500 personnes pour présenter la machine et notre métier. Beaucoup de néo-ruraux sont venus, certains nous ont interpellés vivement : ils nous reprochaient de rester enfermés dans notre bulle agricole sans prendre en compte le reste de la société. Avec la certification Iso 14 001, nous avons les moyens de communiquer, d’expliquer et de prouver ce que l’on fait. Elle nous rassure aussi sur notre métier.»
Communiquer et se rassurer sur le métier
La démarche a tout de suite plu à Jean-Christophe. « On quitte le monde de l’excellence où l’on nous dit ce qu’il faut faire. Et on entre dans une boucle d’amélioration continue où c’est à nous de dire où mettre les priorités. La norme Iso englobe aussi toute l’exploitation, pas seulement une production.» Un groupe de 25 exploitations de Champagne Ardennes est aujourd’hui dans la démarche; il est animé par l’association Terr’Avenir du CerFrance (voir p….), et présidé par Jean-Christophe Lepage.
Concrètement sur la ferme de Turenne, la certification s’est d’abord traduite les trois premières années par une «remise en ordre du site » suite à un diagnostic environnemental. « Nous avons pris conscience des risques liés à notre activité ». L’exploitation (mise aux normes dès 1996) est située sur le périmètre de captage d’eau potable et en zone inondable. Un gros risque venait aussi de la circulation permanente d’engins agricoles en zone périurbaine. L’atelier qui rassemblait en un même lieu la cuve à fuel, l’installation électrique, l’installation de gaz, les huiles… était une belle poudrière au milieu de la ferme ! Des mesures comme le déplacement de la cuve à fuel, des consignes de circulation, une gestion des déchets, de l’eau de pluie … ont été mises progressivement en place pour limiter les impacts de l’exploitation suivant un plan d’actions. « Parallèlement, nous sommes entrés dans une logique de formation ».
Apprendre à analyser un problème pour rebondir
Pour Jean-Christophe, le principal bénéfice de l’Iso est "de structurer mentalement » : elle donne de la méthode. Les deux associés ont dans une deuxième phase commencé à travailler sur la sécurisation de la marge brute selon la même approche: en fixant des objectifs, un plan d’actions et des indicateurs de suivi. « Le premier indicateur a été les mammites ». Il a permis à l’élevage de passer d'une mammite pour 25 000 litres de lait produit à une mammite pour 120 000 litres (avec un objectif 2018 à 150 000 l). Par la suite, d’autres indicateurs ont été mis en place au fil des ans: consommation de fuel, IFT pour les phytos, frais vétos, autonomie, boiteries,… Mais aussi des indicateurs mensuels. « Le travail sur les mammites a été très formateur. Il nous a appris à analyser un problème pour rebondir et trouver une solution. Si on change le produit de trempage, on met une barrière anti-feu, on ne règle rien. Un problème est toujours la conséquence de quelque chose : une machine à traire mal réglée, un logement inadapté, une alimentation mal consommée, une ration mal équilibrée…. »
Cette prise de conscience a été d’autant plus utile que l’exploitation a connu pas mal de changements. À commencer, en 2010, par le départ à la retraite des parents de Jean-Christophe et le retour d’Olivier sur la ferme après cinq ans de travail à l’extérieur. La production passe alors de 650 000 litres de lait à 800 000 litres, avec 110 ha de prairies, 220 ha de blé/orge/maïs/colza, et 40 bœufs. Jean-Christophe prend en charge l’élevage, Olivier les cultures. « 60 % de la surface sont passés tout de suite en non labour. Et nous avons intégré une Cuma désileuse automotrice dans une logique de réduction de temps de travail. De 750 heures par an pour alimenter le troupeau en individuel, la Cuma a permis de descendre à 200 heures (de salarié). Elle a réduit aussi notre empreinte environnementale avec 550 heures de consommation de fuel en moins, moins de vidanges et de bruit. »
Un retour sur investissement en huit ans
Puis en 2013 un deuxième robot de traite est installé. La production de bœufs est arrêtée en 2014 pour développer la production laitière, avec un objectif à 1,2 million de litres en 2018. Un an plus tard, se pose la question du renouvellement de la mélangeuse en Cuma: la décision est précise en 2016 d’investir dans un robot d’alimentation. « Nous avons listé les avantages et inconvénients des deux options. La Cuma supprime le travail mais comporte des zones de risques non maîtrisables liés à la machine (fournisseur, concessionnaire, chauffeur), au sanitaire, aux déplacements sur la route (avec 50 km et 5 élevages). Le robot élimine beaucoup de ces risques, sécurise le système, et réduit la nuisance sonore et la consommation de fuel. Il est plus précis dans la distribution. De plus au-delà de 90 vaches, les 16 m3 de l’automotrice sont trop justes, argumente Jean-Christophe.
Au niveau économique, dans le cas de la ferme de Turenne, le robot est plus intéressant. « Car l’élevage est en développement: le robot nous permet de faire des économies d’échelle, alors qu’avec l’automotrice, c’est la Cuma qui dilue ses charges de structure. D’après nos calculs effectués en 2015 (900 000 l de lait produits), les 150 000 € investis dans le robot d’alimentation et les cellules sont amortis en 8 ans. Ceci en comparant au coût de l’automotrice (22 000 €/an auxquels on enlève les frais de fonctionnement du robot : 1 000 € d’électricité et 2 à 4 000 € d’entretien)."
Un objectif à 35 heures par semaine à une personne
En termes de travail sur l’atelier lait, l’objectif fixé est atteint : 35 heures par semaine à une personne pour 115 vaches traites et 1,1 million de litres produits en 2017. Avec un coût de production (sans rémunération et charges sociales) de 290 €/1000 l. « L’objectif 2018 est de descendre rapidement à 250€/1000 l en continuant à diminuer le coût alimentaire (- 20 €) et en diluant les charges de structure (- 20€) »
Un gros travail a déjà été fait sur l’autonomie alimentaire. «Nous avons fait un bilan en 2013 de tout ce que l’exploitation achetait avec un objectif à 2017 et un plan d’actions. Nous avons bâti un petit tableau avec des objectifs par année pour chaque aliment: ce qui permet de comparer les objectifs au réalisé.». Les pulpes sèches et surpressées, la VL18 ont été supprimées, et la proportion de colza augmentée. « Nous avons aussi travaillé sur la qualité des fourrages, et sur les variétés de maïs. Les bonnes terres sont réservées aujourd’hui au maïs. Et nous avons séparé le conseil de l’appros, d’abord pour les cultures puis en élevage.» Jean-Christophe pense qu'il reste des pistes d'amélioration sur la protéine (meilleur ensilage d'herbe ou luzerne) pour descendre entre 120 et 150 g de protéines achetées par litre. Et que des efforts sont encore possible sur l'énergie pour être entre 30 et 50 g d'énergie achetée par litre. "L'idée c'est d'identifier les bons mois dans l'année et de faire en sorte que cela devienne une constante.10 g de protéines de gagner, c'est 3 500 € ou 3 €/1000l ou 12 t d'aliment, et 10 g d'énergie c'est 2500 € ou 2 €/1000 l ou 12 t d'aliment".
Pour la période 2017-2020, les deux associés se sont fixé comme objectifs d’optimiser la marge brute, d’élargir le nombre de cultures et de faire passer les charges de mécanisation de 450 € à 300 €/ha. Pour cela, ils misent sur l’agriculture de conservation, et s’y sont formés. Elle a été démarré en 2016 avec l'implantation de colzas associés à de la féverole et de couverts avant maïs. De beaux challenges pour ce troisième plan d'actions! "C'est réalisable! Rendez-vous en 2020!"
(1) Forfait de 1600 € par exploitation.Votre avis nous intéresse !
Jean-Christophe et Olivier Lepage ont demandé au voisinage leur ressenti sur l’activité de la ferme. Une quarantaine de questionnaires ont été déposés dans les boîtes aux lettres dans un rayon d'un kilomètre, en proposant de noter de 1 à 10 le bruit, les déplacements et les odeurs générés par l’exploitation sur deux critères la nuisance et la fréquence. Le travail mené ces dernières années avec la norme Iso paye : la ferme, située dans le village, est bien notée (entre 2 et 3). Surtout, la plupart des répondants se disent très contents d’avoir été sollicités.
Ces éleveurs ont pris les devants et rencontré le conseil municipal pour présenter un projet de méthanisation en cours de réflexion avec une autre exploitation:« Nous avons expliqué ce qu’était la méthanisation et ce qu’elle pouvait apporter au territoire ». Ils se sont appuyés sur une présentation power point soigneusement préparée. Ils disposent par ailleurs d’un autre powerpoint sur l’exploitation très utile pour la présenter à leurs partenaires (banque, assurance, services de l’état en cas de contrôle…
Les indicateurs de suivi mensuel de l’élevage
Nombre VL
Lait total, dévié, % lait dévié
Lait/VL/jour
Ensilage maïs, ensilage d’herbe (t brut ,% herbe maïs)
Foin, maïs grain humide
TMS consommées
Tourteau soja, tourteau colza, gr/l protéine achetée
Farine maïs , gr/l énergie achetée
CMV
Quantité MS ingérée
Efficacité alimentaire kg MSI/l lait
Autonomie alimentaire (%MS produit sur l’exploitation
Les valeurs de la ferme de Turenne
Ce sont elles qui guident la politique générale de l’entreprise.
L'ouverture
La volonté de pérennité dans le temps
La logique d’amélioration permanente