« Nous avons remis à plat tout notre système de production laitier pour devenir autonomes »
En Côte-d’Or, le Gaec Magniere a repensé totalement son assolement et ses rotations. Il est devenu complètement autonome en fourrages, a diminué les achats de concentré et joue à fond la carte de la complémentarité de l’élevage et des cultures.
En Côte-d’Or, le Gaec Magniere a repensé totalement son assolement et ses rotations. Il est devenu complètement autonome en fourrages, a diminué les achats de concentré et joue à fond la carte de la complémentarité de l’élevage et des cultures.
Passer de 425 hectares à 215 hectares et transformer en quatre ans cette perte de surface en « opportunité », c’est ce qu’ont réussi à faire Cyril et Alexis Magniere, en Gaec avec leur père en Côte-d’Or. « Le Gaec a perdu ces terres en 2018 quand notre oncle, qui était associé avec notre père, est parti à la retraite », expliquent les deux frères. Cyril, salarié de l’exploitation depuis 2012, s’est alors installé avec son père. Alexis les a rejoints en 2020 en apportant 45 hectares.
L’effectif du troupeau, une centaine de vaches de race Simmental, est resté stable bien que la laiterie (Sodiaal) leur ait accordé du volume supplémentaire. « Cela nous a permis de produire davantage de lait au prix A », soulignent-ils. L’exploitation, qui était auparavant surtout céréalière, tire désormais les deux tiers de son revenu du troupeau laitier. Une évolution peu commune dans cette région de grandes cultures.
Le système de production a été complètement remis à plat. Les jeunes éleveurs avaient trois objectifs en tête : « rendre l’exploitation autonome en fourrages, baisser au maximum les charges en concentré, et simplifier le système ». En 2022, les objectifs sont atteints. L’exploitation qui n’avait auparavant jamais de stocks fourragers d’avance dispose aujourd’hui de six mois de stocks de sécurité. Et elle se situe à 95 % d’autonomie protéique.
Arrêt du maïs au profit d’une double récolte
Le changement a été très rapide. En ligne de mire, les 30 hectares de maïs qui ont disparu complètement de l’assolement en 2020. « C’est une culture qui coûte cher ici, surtout à cause du climat et des dégâts de sangliers. Les rendements décrochent depuis dix ans. Les dernières années, nous étions descendus à 6-7 tonnes de matière sèche par hectare. »
Le maïs a été remplacé par un méteil suivi d’un sorgho fourrager. Le méteil, un mélange 50/50 de triticale-avoine et de pois-vesce-féverole, est semé en septembre et récolté en mai. Il est fauché par une entreprise avec un groupe de 9 mètres, ou ensilé. Le sorgho est ensuite implanté fin mai. « J’utilise un mélange de sorghos monocoupe (4 kg) et multicoupe (3 kg) qui convient aussi bien aux terres à petit potentiel qu’à celles à fort potentiel, précise Cyril. Dès que le sorgho a atteint le stade 4 feuilles, il peut attendre la pluie. »
La double récolte de méteil/sorgho a un double avantage. Elle augmente la matière sèche produite à l’hectare : « suivant le potentiel des terres et le climat, nous récoltons entre 5 et 8 tMS/ha d’ensilage de méteil et 3 à 5 tMS/ha d’ensilage de sorgho ». De plus, elle nécessite très peu de charges opérationnelles : « 30 unités d’azote sur chacune des deux cultures et environ 30 €/ha de désherbage. Le sorgho est semé après un passage de glyphosate ».
Plus de semis direct et moins de phytos
Le deuxième changement important dans l’assolement est l’arrêt du colza. « Nous étions trop juste en paille et nous avons eu pas mal de problèmes d’altises. C’est une culture qui demande beaucoup d’interventions, une dizaine voire plus. Elle ne correspond plus à notre système », argumentent les deux frères.
La composition des prairies temporaires a également évolué : fini les ray-grass purs. Ils utilisent sur les terres à très bon potentiel des mélanges suisses qui restent en place deux ans et sont suivis de céréales. Sur les autres parcelles, des mélanges trèfle/luzerne/fléole plus pérennes.
La simplification des pratiques culturales est également à l’ordre du jour. « Nous faisons de moins en moins de labour et de plus en plus de semis direct. C’est moins de travail et bon pour le sol. Nous avons fabriqué un semoir à dents. » Le sorgho est semé en direct par entreprise. « C’est une culture compliquée à faire lever, mais en semis direct il lève en six jours, c’est impressionnant », souligne Cyril. Depuis quatre ans, il fait appel aux services d’un conseiller végétal spécialisé pour bénéficier « d’un bon appui technique indépendant ». « Nous traitons à bas volume et utilisons de moins en moins de phytos. Les cultures fourragères permettent de nettoyer les parcelles économiquement. »
Achat de 60 tonnes de tourteau de colza
Une grande partie de l’alimentation des animaux est désormais produite sur l’exploitation. Seules 60 tonnes de tourteau de colza et 45 tonnes de corn gluten feed ont été achetées cette année. Le Gaec produit 11 hectares de féverole et 15 hectares de méteil grain qui sont autoconsommés par le troupeau.
Une partie de l’orge (100 tonnes) est aussi valorisée par les animaux. « Le grain est trié par un agriculteur bio par l’intermédiaire de la plateforme Agri-Echange, précisent-ils. Grâce à cette banque de travail, nous avons accès à toutes sortes de matériels. »
Les vaches ont accès à 7 hectares de pâture d’avril à novembre et sont affouragées en vert au minimum jusque fin juin. Mi-novembre, la ration semi-complète des vaches, équilibrée à 24,1 kg de lait, se composait de 3,3 kg d'ensilage de méteil, 3,3 kg d'ensilage de ray-grass/trèfle violet, 3,3 kg d'ensilage de sorgho, 3,1 kg d'ensilage de luzerne, 1,6 kg de corn gluten feed, 2,8 kg de foin de prairie et luzerne, 8 kg d'orge/féverole/méteil, 3 kg de tourteau de colza et du minéral. La ration est complétée au DAC par en moyenne 1 kg de tourteau de colza et 2,5 kg de mélange orge/féverole. « Les vaches font moins de pic en début de lactation qu’avec l’ancienne ration à base d’ensilage de maïs et leur état général est meilleur », observent les éleveurs.
Une passion pour la génétique simmental
Les vêlages sont étalés sur l’année. Les taries, logées en face des vaches en lactation, sont incorporées au troupeau après le vêlage. Elles reçoivent 10 % de la ration des laitières avec du foin à volonté et 200 g de minéral « spécial taries ». Un parage préventif est réalisé par les éleveurs au tarissement. « Nous avons investi il y a trois ans dans une cage de contention ». L’élevage a un peu de dermatite digitée mais elle reste « sous contrôle ».
Les éleveurs sont très attachés à la Simmental. « C’est une race mixte, rustique, qui s’adapte très bien à tous les systèmes de production. La Simmental a fait de gros progrès sur les mamelles. Elle a de bons aplombs et de faibles taux cellulaires », affirme Alexis, qui est très actif au niveau du syndicat Simmental de Côte-d’Or et partage une vraie passion pour la génétique de la race. Il utilise des semences sexées sur les bonnes vaches, et fait deux transplantations embryonnaires tous les ans. « Tous les veaux sont génotypés pour la race », précise-t-il. Le Gaec Magniere en est à son huitième taureau retenu par l’organisme de sélection et en a sorti sept en dix ans ! À son palmarès figurent notamment Nounours, Nikos qui est en train d’être confirmé, et Sénateur qui sortira l’an prochain. Il est un habitué des rings de concours : SIA, national de la race, et interrégionaux.
Des veaux et réformes bien valorisées
Grâce à la Simmental, le Gaec dégage un bon produit viande. Les réformes partent finies entre 380 et 530 kg de carcasse et les veaux de race pure à 220-230 euros à trois semaines. Le Gaec fait du croisement blanc bleu sur 10 % des vaches et engraisse entre 15 et 20 taurillons par an vendus à 23-24 mois. « Nous avons réduit la production de taurillons de moitié et pensons l’arrêter. Un voisin recherche des veaux sevrés pour produire des bœufs et le prix actuel de l’orge est dissuasif. »
Les veaux mâles sont élevés jusqu’à l’âge de 3 semaines dans huit niches individuelles. Les petites génisses sont logées dans trois igloos collectifs de cinq places achetés d’occasion. « Depuis qu’elles sont élevées à l’extérieur, elles sont en meilleure santé et font une meilleure croissance. » Depuis un an, les éleveurs essayent d’abaisser l’âge au premier vêlage, qui était en moyenne à 32,4 mois en 2021. « En 2023, les génisses vont vêler à 29-30 mois et celles que nous venons d’inséminer à 27-28 mois. »
Les génisses sont élevées avec deux repas par jour de lait entier. Elles reçoivent jusqu’à 6 mois une ration complète fermière (du foin de pré et de luzerne avec un mélange orge/méteil grain à volonté). « À partir de 6 mois, nous réduisons progressivement la farine à 200-300 grammes. »
Déléguer pour faire face au départ à la retraite
Pour ces jeunes éleveurs passionnés, produire du lait au milieu d’exploitations de grandes cultures n’est pas un problème. « Nous avons la chance d’avoir dans le département un syndicat de race très dynamique, des journées techniques organisées par Alysé, un cabinet vétérinaire à 15 kilomètres. Il reste une autre exploitation laitière sur la commune. Être entourés de céréaliers très bien équipés permet aussi de déléguer certains travaux », argumentent-ils. Ils ont d’ailleurs l’intention à l’avenir d’en déléguer davantage pour faire face au départ à la retraite de leur père, prévue fin 2023.
Alexis et Cyril Magniere sont en tout cas persuadés d’avoir fait le bon choix avec leur nouveau système de production. « Le climat est devenu très irrégulier ; en cas de sécheresse, nous pouvons dormir tranquille. Vu l’évolution du prix des intrants aujourd’hui, c’est bien dans la direction de l’autonomie qu’il fallait aller. » Le prochain projet est déjà lancé : l’installation de panneaux photovoltaïques sur la stabulation des laitières, avec revente de l’électricité.
Fiche élevage
258 ha de SAU dont 30 ha de méteil/sorgho fourrager, 57 ha de prairies temporaires, 10 ha de luzerne, 20 ha de prairies naturelles, 15 ha de méteil grains, 50 ha de blé, 65 ha d’orge hiver et 11 ha de féverole
110 vaches Simmental à 7 500 kg
800 000 l de référence (Sodiaal)
1,25 UGB/ha SFP de chargement
3 UMO
« Nous venons de passer en AOP époisses »
Depuis septembre dernier, le lait est collecté par l’un des trois fabricants d’époisses (Germain du groupe Triballat-Rians). Le cahier des charges impose 50 % d’herbe dans la ration en avril-mai-juin, un troupeau en race pure (brune ou montbéliarde ou Simmental) et une alimentation non OGM. Il interdit l’urée. Tous les animaux susceptibles de produire du lait doivent être élevés sur la zone, avec une alimentation provenant à 85 % de la zone.
« Nous avons vendu deux jersiaises et avons mis sur nos prés « hors zone » des génisses croisées, le foin étant distribué aux taurillons », précisent Alexis et Cyril Magniere. La prime AOP s’élève à 45 €/1 000 l et s’accompagne d’une prime qualité incluant les butyriques avec un seuil à 800 spores/ml. « Malgré notre vigilance, nous l’avons dépassé à plusieurs reprises en 2022 (980 spores en moyenne annuelle). Toutes les investigations (analyses des ensilages, de l’eau…) menées pour identifier la cause n’ont rien donné. »
Avis d'expert : Romain Villet, conseiller Alysé
« À la recherche constante de pistes d’évolution »