« Nos vaches pâturent encore plus depuis que nous avons les robots de traite »
Au Gaec des Morlières, dans l’Orne, les 140 laitières pâturent 44 paddocks, dont le plus éloigné se situe à un kilomètre de la stabulation. La recette : les vaches accèdent matin et soir à une parcelle d’herbe fraîche.
Au Gaec des Morlières, dans l’Orne, les 140 laitières pâturent 44 paddocks, dont le plus éloigné se situe à un kilomètre de la stabulation. La recette : les vaches accèdent matin et soir à une parcelle d’herbe fraîche.
Quand Sophie Douillet et Joseph Huet, associés du Gaec des Molières, décident de passer en traite robotisée, pas question de diminuer le pâturage. Les éleveurs produisent du lait en AOP camembert et pont-l’évêque, dont le cahier des charges impose six mois de pâturage. Ils vont plus loin. Dans leur système, les vaches sont en stabulation, grosso modo car une année ne fait pas l’autre, de mi-novembre à mi-février.
En juillet 2022, ils installent trois robots pour leurs 140 vaches laitières. « Il faut ça pour faire pâturer. Quand les vaches sont dehors, les robots ont 30 % de temps libre et les vaches sont traites entre 2,2 et 2,3 fois par jour. L’hiver, le temps libre tombe à 19 % pour une moyenne de 2,6 traites. » Ils constatent aussi davantage de retards au robot l’hiver.
Fiche élevage
Le Gaec des Morlières
Un paddock d’herbe fraîche après chaque passage au robot
Avant, les vaches finissaient la parcelle puis elles en changeaient. Avec la mise en route des trois robots, les éleveurs instaurent une gestion fine de l’herbe. Les 35 hectares attenants à la stabulation, composés deux ray-grass anglais et de trèfle blanc et d’un peu de plantain à l’essai pour les parcelles séchantes, sont découpés en 44 paddocks de 70 ares chacun. Ceux à gauche du bâtiment sont les paddocks de jour. Ceux à droite sont réservés pour la nuit. « Le paddock le plus éloigné se trouve à un kilomètre de la stabulation. Les vaches y vont et en reviennent car elles ont compris qu’après leur passage au robot, elles ont une parcelle d’herbe fraîche, matin et soir. »
Ils investissent dans des fils en nylon et des enrouleurs. Chaque année, la découpe des paddocks est la même. Ils estiment passer une journée à l’installation des fils, aidés d’une mule. « Les chemins sont bétonnés sur deux mètres de large et six à sept centimètres d’épaisseur. Les abreuvoirs sont installés dans les chemins. Nous en avons placé quinze, soit un pour deux hectares environ. »
Jusqu’à 5,5 kilos d’aliments distribués au robot
Aux alentours de mi-février, quand elles remettent les pieds dehors, elles accèdent à un demi-paddock. « Pour inciter les vaches à faire des allers-retours entre le bâtiment et les paddocks, nous diminuons progressivement la ration à l’auge », qui passe de 60 % d’ensilage d’herbe, 40 % d’ensilage de maïs, 10 kg de betteraves hachées et 1,4 kg de tourteau de colza à uniquement 2 kg MS d’ensilage de maïs, pour garder des vaches productives et performantes à la reproduction. « En pleine pâture, les vaches mangent 1,5 hectare d’herbe par jour. Mais les terres sont séchantes : quand il fait chaud, l’herbe grille. »
« L’été, on désile le matin. Les vaches l’ont compris, elles savent qu’elles doivent revenir pour manger. Le soir, elles sortent pour aller dans une nouvelle parcelle. » L’objectif des éleveurs est, à terme, de fermer les silos pendant deux ou trois mois, au printemps. En début de saison de pâturage, les vaches « font le tour des paddocks en 40 à 45 jours. L’objectif est de tout déprimer, avant de faucher si besoin. En pleine saison de pâturage, elles reviennent tous les 21 jours dans les parcelles. »
La distribution au robot est elle aussi adaptée au stade de pâturage des laitières. L’hiver : 85 % de maïs grain broyé et 15 % de blé aplati. « Nous donnons jusqu’à 3 kilos par vache, en fonction de la production. Et jusqu’à 2,5 kilos de correcteur : 50 % tourteau de soja, 50 % tourteau de colza. L’été, nous privilégions le colza pur, plus appétant que lorsqu’il est en poudre et moins cher que le soja. » En maximisant le pâturage, les associés du Gaec travaillent aussi à tendre vers un système autonome en alimentation : « Nous produisons tout dans l’exploitation, sauf le colza et le soja. »
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Côté éco
Comparaison des données avant/après l’installation des robots en 2022
• Coût concentré : 266 €/to en 2021, 371 €/t en 2023
• Coût alimentaire : 75 €/1 000 l en 2021, 113 €/1 000 l en 2023
• Prix du lait : 435 €/1 000 l en 2021, 535 €/1 000 l en 2023
• Marge sur coût alimentaire : 360 €/1 000 l en 2021, 423 €/1 000 l en 2023
• EBE : 255 000 € en 2021, 334 000 € en 2022
Ces chiffres sont à regarder avec précaution : le coût alimentaire augmente en 2023 par rapport à 2021, à cause de la hausse des charges, notamment le prix des concentrés. Néanmoins, la marge sur coût alimentaire est meilleure en 2023, grâce au prix du lait qui gagne 100 € entre 2021 et 2023.
« Tout est fait en trois heures le matin »
L’hiver, « nous distribuons deux mélangeuses et nous nettoyons les logettes deux fois par jour, quand les vaches sont aux cornadis ». En période de sortie, le gain de temps est important grâce à l’alliance robot et pâturage. « Tout est fait en trois heures le matin : le travail d’astreinte et les vaches sont vues. L’après-midi, nous lavons les robots pendant le temps mort, vers 15 h. Le soir, nous changeons le paddock et passons les retards. Tout peut être bouclé en une heure et tout seul. Nous gagnons aussi en souplesse de travail le week-end. En pâturage, il n’y a quasiment que du travail de surveillance. »
Un échange parcellaire de 13 hectares avec un voisin
Le parcellaire groupé de 35 ha autour de la stabulation est la clé du système paturant du Gaec Morlières, grâce à 13 ha rapatriés via un troc de voisinage. « Avec l’accord de nos propriétaires respectifs, nous avons échangé une parcelle qui était de l’autre côté de la route avec un voisin, rapportent Sophie Douillet et Joseph Huet. Nous avons refait les baux. Nous lui avons donné 9 ha et en avons récupéré 13 ha. Nous avons échangé une de nos meilleures parcelles, sans cailloux, contre des terres pas cultivables et séchantes. Mais cela arrangeait tout le monde. »
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Avis d'expert : Antoine Guérin, conseiller Pâturesens
« Quatre vaches par hectare maximum »
« Nous avons commencé à travailler le pâturage intensif avec le Gaec des Morlières il y a deux ans. L’année dernière, entre le 1er avril et mi-juin, les vaches ont eu une ration composée à 90 % d’herbe. Pour cette année, Joseph et Sophie ont semé 10 hectares en plus de prairie et ont refait des chemins, pour arriver à 35 hectares accessibles. Quand les vaches sortent, la ration à l’auge est abaissée. Au début de la saison, les vaches ont un paddock par jour pour faire le tour de déprimage.
L’objectif 2024 est de passer en 100 % herbe pour fermer les silos à partir du 15 mars jusqu’à minimum juillet, en fonction de la pousse. Les normandes auront une complémentation maïs grain au robot, pour qu’elles ne perdent pas en état corporel.
L’été, la ration est fonction de la météo. Les éleveurs vont sûrement allonger la rotation et passer à un paddock par jour pour revenir à deux paddocks quotidiens à l’automne. C’est plus facile de faire pâturer quand il n’y a pas de bol distribué à heure fixe : cela évite que les vaches reviennent en même temps et fassent la queue au robot. Quand elles n’ont rien à l’auge, leur obsession est d’avoir un nouveau paddock.
L’idéal dans les systèmes robot et pâturage, est de ne pas dépasser quatre vaches par hectare accessible. Ce que va atteindre le Gaec des Morlières cette année. Pour la suite et pour anticiper le départ à la retraite des parents de Joseph, les associés vont devoir travailler sur les génisses pour qu’elles soient dehors dix mois de l’année et ainsi simplifier le travail. »