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[Météo] Les records de la vague de chaleur plus graves que l'épisode de gel pour l'agriculture

Sur son temps personnel, le passionné Serge Zaka, docteur en agroclimatologie chez ITK et administrateur de l’association Infoclimat, a créé une carte modélisant les risques des dégâts liés au gel sur la vigne et les fruits avant la vague de froid qui a frappé la France cette semaine. Il revient pour nous sur cet épisode qui a suivi une remarquable vague de chaleur, conséquence du réchauffement climatique et appelle l’Etat à soutenir les agriculteurs en difficultés face à ces phénomènes.

Serge Zaka (ITK)
Serge Zaka, docteur en agroclimatologie chez ITK et administrateur de l’association Infoclimat
© ITK

Réussir.fr : Cette vague de froid après une période de forte chaleur pour la saison est-elle due à un ralentissement du Gulf Stream ? Ou est-ce finalement un épisode classique bien connu sous l’adage Noël au balcon Pâques au tison ?

Serge Zaka : En fait ce n’est pas l’évènement de froid qui est le plus remarquable à cette saison. Lors de la descente de froid sur la France, nous avons battu qu’une quinzaine de records de froid, alors que lors de la vague précédente de hausse des températures, nous avons battu 240 records, soit 40% des stations de météo française. Et les conséquences de la vague de chaleur sont bien plus importantes, car pendant cette période la majorité des bourgeons ont éclos en France, juste avant le phénomène de gel. Et ce n’est par forcément l’effet du Gulf Stream, qui nous apporte plutôt de la douceur. J’y vois plutôt les conséquences du réchauffement climatique.

Les gelées se constatent presque tous les ans en avril, mais certes pas sur cette étendue et pas avec une telle amplitude. Avoir -1, -2, -3°C en avril c’est normal, avoir 28°C en mars, ça ce n’est pas normal.

Avoir -1, -2, -3°C en avril c’est normal, avoir 28°C en mars, ça ce n’est pas normal.

Réussir.fr : Des épisodes froids et tardifs comme celui-ci sont-ils amenés à être plus fréquents à l'avenir ?

S. Z. : C’est déjà plus fréquent. Les trois dernières années nous avons constaté une douceur hivernale avec l’arrivée du froid fin mars, début avril. En agriculture, cela provoque des dégâts sur la végétation. Les prévisions ont déjà été faites par des agroclimatologues, nous en sommes désormais à la phase de constatation et dans l’application pratico-pratique. L’image des chaufferettes dans les champs de vigne ça devient habituel alors que l’on n’est pas censés voir cela tous les ans.

C’est en France où le phasage est le plus défavorable entre floraison et gel

Réussir.fr : Ce froid tardif concerne-t-il uniquement la France ? d'autres pays UE ?

S. Z. : La vague de froid concerne toute l’Europe de l’ouest. Au niveau agroclimatique, c’est en France où le phasage est le plus défavorable entre la floraison et le gel. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, les bourgeons n’ont pas éclos. En Espagne et au Portugal, le gel est moins intense. Le phénomène s’observe dans tout l’hémisphère nord, avec au Mexique récemment des dégâts importants sur les palmiers et les citronniers, ou encore des gels observés de -10°C au Texas.

A lire : Vignes, fruits, betteraves anéantis par le gel, des agriculteurs témoignent

De tels phénomènes nous en avons observés en 2003, 1997, 1991 et 1977, mais cela se répète depuis trois ans et cette année avec une amplitude d’ordre nationale. Il doit y avoir une réaction politique.

Réussir.fr : Comment les agriculteurs peuvent-ils agir face à ces épisodes ?

S. Z. : C’est extrêmement difficile de passer outre des dégâts liés au gel ou à la canicule comme celle du 28 juin 2019 avec un pic de 46°C. On peut seulement limiter les dégâts. Plusieurs solutions existent : asperger les vergers d’eau pour former une croûte de glace autour des bourgeons, mettre en place des brûleurs à pétrole dans les vignes ou des ventilateurs géants. Ces techniques sont intéressantes, elles permettent de limiter les dégâts à 20-30% au lieu de 80%.

Mais ce sont des techniques assez coûteuses en main d’œuvre ou en matériel qui ne sont pas accessibles à tous. Ces épisodes peuvent se préparer en rassemblant la main d’œuvre nécessaire, en vérifiant que les éoliennes fonctionnent bien par exemple grâce aux agroclimatologues et aux applications de météo connectée, proposées notamment par ITK.

J’espère que cet épisode va faire réagir pour trouver des solutions

Au niveau de l’Etat, il faudrait faciliter l’accès au matériel et aux nouvelles technologies. Dans le plan de relance, étaient prévues notamment des aides pour accéder aux stations météos et aux outils connectés. J’espère que cet épisode va faire réagir pour trouver des solutions et limiter les dégâts.

Réussir : Vous avez développé un modèle de prévision des risques pour les fruits et la vigne, travaillez-vous aussi sur les grandes cultures ?

S. Z. : C’est une question de temps. J’ai fait cette carte sur mon temps libre, grâce à mes connaissances, en voyant qu’aucune réaction ne venait des institutions publiques. J’ai l’habitude de comparer cinq modèles météorologiques, ceux de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Europe et de l’Amérique. J’ai comparé ces cinq modèles pour localiser le gel et son intensité. Les modèles n’étaient pas tous d’accord pour la région méridionale. J’ai amélioré la carte avec un indice de probabilité de température et connaissant les seuils de température létale pour les fruits et la vigne j’ai pu tracer une carte des dégâts pour l’arboriculture et la viticulture. Je n’ai pas eu le temps de faire les grandes cultures où le risque était plus localisé. La betterave dans le Nord de la France a beaucoup souffert, avec une destruction totale ou des semis à refaire dans certains cas. Le colza a aussi souffert mais c’est une espèce résistante elle peut faire des ramifications. Le blé était au stade de naissance de l’épis, je n’ai que quelques retours locaux de dégâts.

Pour les betteraviers une aide de l’Etat semble importante

Réussir : Que peuvent faire les producteurs de grandes cultures ?

S. Z. : Ils ne peuvent que subir ou croiser les doigts et observer les dégâts 24h ou 48h après. En fonction des dégâts, ils peuvent replanter, ce qui entrainera un retard de croissance et compromettra le rendement, ou se rabattre sur d’autres espèces, le maïs, le tournesol mais ils n’auront pas forcément les systèmes d’irrigation qui vont avec. Pour les betteraviers qui ont déjà subi les effets des pucerons et sont fragilisés économiquement et moralement, une aide de l’Etat semble importante.

Réussir : C’était la première fois que vous publiez une telle carte ?

S. Z. : C’est une initiative personnelle, c’est ma passion et comme je ne voyais aucune réaction j’ai voulu aider et d’annonce une semaine à l’avance les prévisions de gel. J’espère qu’à ITK nous allons pouvoir avoir des financements pour automatiser ce type de carte en partenariat avec Météo France. Comme il y a des cartes de vigilance pour le grand public on pourrait avoir l’équivalent pour les agriculteurs sur le risque de gel. On voit bien qu’il y a une demande.

Un retour du gel après le week-end ?

Réussir : Cet épisode de froid doit durer jusqu’à quand ?

S. Z. : Le gel va se produire jusqu’à demain, il sera ensuite suivi d’une accalmie le week-end et les modèles européens et américains annoncent un retour du gel, lundi, mardi et mercredi, autour de -1°C à -3°C. Ce sont des tendances avec une probabilité moyenne. Le risque n’est pas encore fiable. Je ne veux pas donner l’alerte tout de suite, je vais attendre jeudi. Mais il va falloir surveiller car dans certaines régions les vignes n’ont pas débourré, les pommiers non plus. Le redoux du week-end et le gel derrière présentent un nouveau risque.

               Il faudra aller vers une agriculture de résilience

Réussir : Qu’en est-il du déficit hydrique, selon les différents départements français ? Quelle est l’ampleur de la sécheresse dans les zones d’élevage allaitant, le froid amplifie-t-il la sécheresse ?

S. Z. : Le froid représente plutôt une pause dans la sécheresse. Moins il fait chaud, moins la plante transpire. Mais la sécheresse reviendra. Et là c’est une autre problématique. Depuis plusieurs années on assiste à une baisse des précipitations dès le mois de mars. Cela fait partie du changement climatique. En gros, on a la même quantité d’eau à un endroit donnée sur l’ensemble de l’année, mais elle se répartit différemment, plus en hiver qu’en été. C’est très inquiétant pour l’agriculture. Il faudra capter cette eau hivernale ou aller vers une agriculture de résilience ne permettant pas de maximiser les rendements, avec des couverts végétaux, le non-labour, permettant de retenir l’eau. Mais ce changement de mentalité doit être accompagné.

Lire aussi : E=M6 Spécal agriculture : le secret de nos aliments le résumé de l'émission de M6

Lire aussi : Changement climatique : ce que les grandes cultures devront affronter dans les trente prochaines années

Lire aussi : Comment s'équiper en stations météorologiques

​Lire aussi : Quels effets de l'herbe et du travail du sol sur le risque de gel en viticulture

 

 

 

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