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L’élevage pris en tenaille dans la lutte contre le changement climatique

Comment l’élevage peut-il réduire son impact sur le climat ? C’est la question qui a animé de nombreuses tables rondes et ateliers lors du Space 2022. Face aux enjeux climatiques et environnementaux, l’élevage souffre de sa dualité : il contribue aux émissions de gaz à effet de serre tout en apportant des services écosystémiques. Retour sur une controverse qui traverse toute la société française.

« Il y a eu un retard à l’allumage à cause d’un peu de climatoscepticisme dans le milieu agricole », regrette Jean Jouzel, éminent climatologue et ancien membre du Giec(1). « Même s’il a pu y avoir un retard à l’allumage, la profession agricole a aujourd’hui pleinement pris conscience de l’enjeu de la lutte contre le changement climatique », assure André Sergent, président de la chambre d’agriculture de Bretagne et éleveur laitier dans le Finistère. Même écho du côté du président de l’agence bio, Loïc Guines, également éleveur laitier en Ille-et-Vilaine : « Nous sommes dans le train du changement et nous continuons. » Mais dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, l’élevage nage entre deux eaux.

Côté pile, il nourrit la population, entretient les paysages, valorise surfaces et coproduits non utilisables pour l’alimentation humaine et, surtout, stocke du carbone dans les prairies et les haies. Côté face, le secteur émet des gaz à effet de serre. Leur réduction est une nécessité pressante. Les solutions existent. Certaines peuvent être mises en place rapidement et auront des effets immédiats. D’autres verront leurs effets à plus long terme.

Un secteur fortement émetteur

Comme les autres secteurs économiques, l’élevage laitier a déjà commencé ses efforts dans la lutte contre le changement climatique. Les émissions de la filière laitière française ont été réduites de 24 % entre 1990 et 2010. La filière s’est lancé le défi de les réduire de 17 % (par litre de lait sortie d’usine), entre 2015 et 2025. Un effort qui pèsera pour 20 % sur la ferme et pour 15 % sur les laiteries.

L’agriculture compte pour 19 % des émissions de gaz à effet de serre, estime l’organisme de référence, le Citepa. C’est désormais le deuxième secteur le plus émetteur de l’hexagone. L’élevage laitier représente 6 % du total français. Il est notamment fortement émetteur de méthane au fort pouvoir de réchauffement (28 fois plus que le CO2, selon le 5e rapport du Giec). En cause : la rumination des vaches.

« Les ruminants sont souvent attaqués pour leurs émissions de GES. Certains disent : réduisons le nombre de vaches et tout ira bien, témoigne Jean-Louis Peyraud, chercheur à Inrae. Mais c’est un peu plus compliqué que ça ! »

À relativiser par son apport nutritionnel

En effet, il ne faut pas oublier la fonction première de l’élevage qui est nourricière. « Au lieu de raisonner en émission par quantité d’aliment produit, il faut prendre en compte l’apport nutritionnel de l’aliment », explique Anne Mottet, de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. À ce jeu-là, le fromage, qui présente une forte densité nutritionnelle, voit son intérêt dans le système alimentaire grimper, comme le montre le graphique ci-après.

 

 
L’élevage pris en tenaille dans la lutte contre le changement climatique

 

Le rôle de l’élevage dans les territoires est également à considérer. Outre le dynamisme économique et les emplois directs, indirects ou induits, il entretient les paysages. Preuve en est : les zones où il s’est déjà effacé. « L’élevage bovin façonne nos paysages. Dans certains endroits, c’est catastrophique, atteste André Sergent. Les sangliers y pullulent, entraînant d’importants dégâts. »

Dans l’Hexagone, l’activité laitière est principalement basée sur la polyculture élevage. Un système circulaire qui joue sur la complémentarité animal-végétal et permet de fertiliser les sols. « Il y a tout un écosystème autour de l’élevage », confirme André Sergent, ajoutant à la longue liste la production d’énergie grâce à la méthanisation.

Comment produire avec moins

Malgré les bénéfices de l’élevage laitier, le secteur devra prendre sa part dans la lutte contre le changement climatique. Une des premières solutions pouvant être rapidement mise en place est de limiter les animaux improductifs, en optimisant le renouvellement, en faisant vêler plus tôt ou en faisant plus de lactations. « Une lactation de plus par vache, c’est 10 % de GES émis en moins par litre de lait », illustre Jean-Louis Peyraud.

Pour en savoir plus, retrouvez le témoignage du Gaec de Trevarn : « Nos vaches font en moyenne 7,5 lactations »

Autre levier : travailler sur les légumineuses. « Elles utilisent moins de ressources car elles réduisent les besoins en azote et participent à réduire la production de méthane dans le rumen », éclaire le chercheur.

Miser sur la génétique

La génétique est également un domaine de progression, notamment en sélectionnant des vaches qui émettent moins de méthane par kilogramme de matière sèche ingérée. Malheureusement, « il faut sept ans en moyenne pour qu’un caractère soit répandu en population générale », mesure Benoît Rouyer, économiste à l’interprofession laitière.

« Le plus disruptif, c’est la programmation de l’animal », révèle Jean-Louis Peyraud. Grâce à l’épigénétique, il sera possible, en agissant sur l’expression ou non de gènes, de « programmer » des vaches dont le rumen produirait moins de méthane lors de sa vie. L’échéance, pour qu’une telle technologie puisse intégrer les élevages, est longue – dix à quinze ans – et l’acceptation sociétale pourrait faire défaut.

La contrainte politique fait également partie du tableau. « Pourquoi ne pas imposer plus de conditionnalité des aides », s’interroge Loïc Guines, prenant l’exemple d’aides du PCAEA conditionnées à la plantation de haies.

Dernière solution : ne rien faire, en estimant que nous ne sommes qu’une goutte dans l’océan ou qu’ailleurs c’est bien pire. Dans ce cas, il faudra adapter les pratiques agricoles (et nos modes de vie) rapidement. L’été caniculaire que nous avons vécu n’est qu’un aperçu des prochaines années, assurent d’une seule voix les spécialistes du climat. Et sous ces températures, les vaches risquent de ne pas remplir le tank.

(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

L'élevage laitier représente 6 % des émissions françaises de gaz à effet de serre

 

 
L’élevage pris en tenaille dans la lutte contre le changement climatique

 

Les gaz à effet de serre ou GES sont des gaz qui absorbent et réémettent une partie des rayons solaires (rayonnement infrarouge). Ils retiennent ainsi une partie de la chaleur reçue par le soleil dans l’atmosphère, phénomène à l’origine de l’effet de serre. L’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère se traduit par une hausse de sa température. Les principaux gaz à effet de serre (GES) liés aux activités humaines sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde nitreux ou protoxyde d’azote (N2O) et des gaz fluorés. Les émissions de ces gaz sont pondérées par leurs potentiels de réchauffement global (PRG) et exprimées en équivalent CO2 pour donner un total d’émissions en équivalent CO2.

Des additifs miraculeux, oui mais...

De nouvelles solutions promettant de réduire les émissions de méthane des vaches arrivent sur le marché. C’est le cas de Bovaer-10 mis au point par DSM ou encore de Sylvair de Provimi Cargill. Des recherches sont également menées sur des additifs à base d’algues. Leur avantage : réduire de 10 à 30 % la production de méthane entérique. « Du jour au lendemain, en les ajoutant à l’alimentation de vos animaux, vous diminuez d’un tiers vos émissions de GES », s’enthousiasme Jean-Louis Peyraud, chercheur à Inrae. Génial, non ? Encore faut-il que les consommateurs acceptent ces produits chimiques. « Ne refaisons pas les erreurs qui ont été faites avec les OGM », prévient Loïc Guines, à la tête de l’agence bio. Seconde anicroche : leur coût. Le développement des crédits carbone, qui pourraient financer le surcoût, n’en est qu’à ces balbutiements pour l’élevage laitier français. Quid d’un soutien public ?

Le saviez-vous ?

Les résultats de l’analyse du cycle de vie (évaluation globale et multicritère des impacts environnementaux) d’un produit alimentaire peuvent parfois paraître surprenants. Un poulet industriel peut obtenir un meilleur résultat qu’un poulet label. Pourquoi ? Sa durée de vie, tout comme la quantité d’aliments ingérée sont plus faibles et impactent moins l’environnement. « Les usines à porc chinoises sont très efficaces en termes d'émission de GES par quantité produite, rapporte Jean-Louis Peyraud, chercheur à Inrae. Une situation qui met la société face à ses contradictions : quel modèle alimentaire voulons-nous ? »

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