Faut-il avoir peur des alternatives végétales aux produits laitiers ?
Les laiteries sortent de plus en plus d'imitations végétales de produits laitiers, pour profiter de leur essor. Quelle concurrence exercent-elles sur le lait ?
Les laiteries sortent de plus en plus d'imitations végétales de produits laitiers, pour profiter de leur essor. Quelle concurrence exercent-elles sur le lait ?
Des Activia de Danone 100 % végétal, un Candia végétal... Depuis un an, plusieurs transformateurs laitiers ont lancé des alternatives végétales aux produits laitiers. Et Bel et Savencia préparent des imitations fromagères. Avant eux, Agrial lançait la marque d'ultrafrais 100 % végétale « A Bicyclette » en 2017. Encore bien avant, Triballat Noyal et la LSDH (Laiterie Saint Denis de l'Hôtel) s'étaient diversifiées dans le végétal.
Les laiteries cherchent de nouveaux relais de croissance, et les produits végétaux imitant des produits laitiers en sont un, avec des croissances parfois à deux chiffres. Le champ d'innovations à réaliser est encore large... Bref, les laiteries sont motivées par ce créneau.
La LSDH croît sur les deux tableaux
La Laiterie Saint Denis de l'Hôtel (LSDH) fabrique des jus végétaux depuis 1984, et de la crème végétale plus récemment. L'entreprise démarrera des travaux d'agrandissement de son site de Saint Denis de l'Hôtel (Loiret) au printemps prochain, pour lancer de nouveaux jus semi-finis et de nouvelles recettes végétales au second semestre 2022. « Nous n'opposons pas les alternatives végétales et les produits laitiers, et nous avons réussi à développer les deux activités. Nous répondons à des populations et à des besoins différents. S'il y a une demande consommateur, il faut y répondre, que ce soit pour des laits différenciés, équitables, ou pour des alternatives végétales, car ce sont des expressions fortes d'attentes sociétales », expliquent Philippe Leseure et Jean-Thibault Geerts, de la LSDH. L'entreprise a effectivement multiplié par 2,5 sa collecte lait de vache en dix ans, a développé son activité laitière et a pu améliorer le prix du lait, en développant les laits différenciés. « Ceci a été possible entre autres grâce à notre diversification dans le secteur du végétal. Si nous ne l'avions pas fait, la LSDH n'existerait plus aujourd'hui. »
Candia végétal profitera aux éleveurs
Sodiaal, qui a lancé un jus végétal sous sa marque Candia l'été dernier, indique vouloir profiter de la croissance du végétal pour ramener de la valeur à ses adhérents. « Il nous faut être sur ce segment qui concurrence le lait de consommation, insiste Damien Lacombe, son président. Pour Candia, il s'agit de ne pas opposer le lait et les boissons végétales. Et de répondre à toutes les attentes des consommateurs au sein d'une famille. »
Concurrence non négligeable mais partielle
L'alternative végétale phagocyte-t-elle les produits laitiers ? Pas complètement, estiment les différents acteurs, dans la mesure où de toute façon des consommateurs réduisent leurs achats, voire se détournent des produits laitiers pour différentes raisons : santé, envie de rééquilibrer son alimentation, en pensant agir pour l'environnement... Benoît Rouyer, économiste au Cniel, parle de désaffectation partielle : « environ un tiers des consommateurs d'Europe de l'Ouest sont flexitariens ; ils réduisent leur consommation de produits d'origine animale. Les végétariens et végétaliens restent marginaux ». Les consommateurs remplacent les produits laitiers par des innovations végétales ou pas. « Pour plusieurs actes d'achat perdus en lait liquide, il n'y en aura qu'un seul de gagné dans son imitation végétale. Les autres iront vers des jus de fruits et de légumes, ou pas de jus du tout... », cite en exemple Philippe Leseure, de la LSDH.
Le lait perd de toute façon du terrain...
La consommation de lait de vache diminue depuis une quinzaine d'années environ, dans tous les grands pays consommateurs : USA, Europe de l'Ouest, Australie... Par contre, celle de beurre et de fromage augmente. Pour l'ultrafrais, en France, la consommation globale est en légère baisse depuis huit ans. Globalement, grâce à l'augmentation du nombre d'habitants et à la bonne dynamique sur les fromages, le beurre et la crème, la consommation des produits laitiers est en croissance dans le monde, et elle progresse très légèrement en Europe. La force des produits laitiers est leur goût, leur identité liée à la tradition. « La notion de plaisir est historiquement favorable aux produits animaux d'une manière générale », ajoute Philippe Leseure.
Lire aussi : Quels équilibres sur les marchés mondiaux du lait à horizon 2030 ?
...sauf les laits différenciés et innovants
Danone n'est pas pessimiste pour l'avenir de l'ultrafrais laitier. L'entreprise nous indique qu'en 2020, la consommation s'est redressée, en France et aussi en Allemagne, Italie, Espagne... (panels IRI et Nielsen). Le groupe note aussi des reprises de consommation d'ultrafrais laitier aux États-Unis, en Australie, au Japon. Plus en détail, il y a « des opportunités de croissance sur certains produits laitiers. En France, on note par exemple une progression pour les produits hyper protéinés (+15 %), des blancs gourmands (+22 %), des yaourts aux fruits (+10 %), des crèmes desserts type Danette (+9 %) (Source IRI – Total GMS – YTD P10 2020) ». Le salut des produits laitiers semble passer par la différenciation (bio, local, équitable...) et l'innovation (skyr, kéfir...).
« Nos produits végétaux sont destinés à 90 % pour le marché français et à 10 % pour l'export : Belgique, Pays-Bas, Espagne », indique Jean-Thibault Geerts, de la LSDH. Si en France, la consommation ne croît pas très fortement, chez nos voisins, le végétal a davantage la côte. « L'Espagne est un gros consommateur de produits à base de soja, avoine, amande... Trois fois plus que la France pour le soja. L'Europe du Nord aussi plébiscite le végétal. La France offre donc un bon potentiel de croissance et est bien placée pour répondre à tous ces marchés », conclut Jean-Thibault Geerts.
Les fortes ambitions de Bel et Danone
Les grands industriels privés se déploient davantage à partir des États-Unis. C'est le cas de Lactalis fin 2019 avec de l'ultrafrais. Avant cela, Danone a acquis en 2017 WhiteWave aux États-Unis. Et très récemment, Bel lance ses dernières innovations sur le marché américain : un Boursin version végétale (fin 2020) et un projet de Mini Babybel végétal pour l’an prochain. Dès janvier 2021, le groupe Bel lance The Laughing Cow Blends (Vache qui rit mélanges) aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en Allemagne. Trois références avec du vrai fromage, des légumes et des épices seront proposées. Enfin, le groupe fromager prépare le lancement d’une nouvelle marque internationale dédiée 100 % végétale dans les prochains mois.
Bel et Danone se diversifient résolument avec les alternatives végétales et leur terrain de jeu est mondial. Leur ambition est clairement de faire partie des leader mondiaux. Bel affirme ainsi viser le leadership des alternatives végétales aux vrais fromages.
À savoir
Les consommateurs d'alternatives végétales sont surtout des citadins, célibataires, jeunes, avec des revenus moyens à élevés.
À venir : des produits synthétiques
Une autre menace pour les vrais produits laitiers, c'est l'émergence des protéines alimentaires de synthèse ; même si le signal reste encore faible. « Elles sont créées par des start-up en Chine et aux États-Unis. Des transformateurs laitiers commencent à s'y intéresser. Par exemple, Fonterra a pris des parts de marché minoritaires en 2019 dans un fabricant américain de protéines synthétiques. Et le fromager Kraft Heinz a pris des parts de marché minoritaires en 2019 dans un fabricant américain de caséines par fermentation microbienne », cite Benoît Rouyer, du Cniel.