Des dérobées pour pâturer entre deux prairies
Sorgho multicoupe ou colza fourrager, avec ou sans RGI, sont deux solutions de dérobées intercalées entre deux prairies, avec un itinéraire simple et peu coûteux.
Sorgho multicoupe ou colza fourrager, avec ou sans RGI, sont deux solutions de dérobées intercalées entre deux prairies, avec un itinéraire simple et peu coûteux.
Intercaler une dérobée entre deux prairies est une option relativement simple à mettre en place pour garder au maximum une continuité dans le pâturage d’un fourrage équilibré.
Le sorgho multicoupe a été testé à la ferme expérimentale de La blanche maison, dans la Manche, en 2020. Il a été semé à 25 kg/ha au semoir à céréale avec un écartement de 17 cm. Ce sorgho Piper a permis trois tours de pâturage en période estivale : fin juillet, début septembre et le 21 septembre. Il produit moins de biomasse - 5,3 tMS/ha - que le maïs entre deux prairies (12,5 tMS/ha). Mais son intérêt est que les valeurs alimentaires sont intéressantes, équilibrées en énergie et protéine. « Nous avons été agréablement surpris par les valeurs alimentaires : 1 UFL/kgMS, 111 PDIN et 87 PDIE en moyenne sur la saison 2020. Nous n’avons pas changé la ration, ni la complémentation, juste pour une parcelle de sorgho », ajoute Lucie Morin, directrice de La blanche maison.
Le sorgho multicoupe pour une prairie semée fin septembre
Le point de vigilance est que le premier tour de pâturage du sorgho fourrager doit se faire à 60 cm de hauteur minimum, pour éviter le risque de toxicité lié à la durrhine qui, en se dégradant dans le rumen, libère de l’acide cyanhydrique. Pour les tours suivants, les vaches peuvent pâturer une hauteur moins élevée (pas de seuil préconisé).
Le semis de la prairie est intervenu après le troisième tour de pâturage, et un déchaumage. Le bémol, dans cet essai, tient au salissement de la prairie semée (1). Celle-ci a présenté plus d’adventices qu’une prairie après maïs. « Nous pensons que c’est lié au fait que le sorgho n’est pas désherbé, et qu’il laisse passer plus de lumière au cours de son cycle et de son exploitation », indique Lucie Morin. En 2022, la ferme a tenté un désherbage sur un sorgho multicoupe qui n’a pas été concluant. « Il faudra refaire un essai. » La blanche maison envisage d’essayer une association trèfle-sorgho dans le but de réduire les adventices, et de produire un fourrage plus riche en protéine.
Du colza fourrager-RGI pour une prairie semée au printemps suivant
La ferme expérimentale de Trévarez, dans le Finistère, a utilisé de 2011 à 2020 une association de colza fourrager et ray-grass d’Italie (6 kg et 15 kg respectivement), pour renouveler ses prairies accessibles aux laitières. Le colza fourrager est un excellent précédent de la prairie, surtout pour le trèfle car le colza valorise l’azote présent dans le sol.
L’itinéraire consiste à faire pâturer la prairie à renouveler tant qu’elle produit bien, jusqu’à la première moitié du mois de juin environ. Puis elle est détruite au glyphosate en système conventionnel. « Nous préférons cette technique plutôt que le labour, pour la simplicité et la préservation de la structure du sol. En bio, cela peut prendre trois semaines à un mois avant de semer, après deux voire trois passages d’outils à dents ou à disques », détaille Pascal Le Cœur, de la chambre d’agriculture de Bretagne.
Dans l’idéal, la destruction de prairie se fait sur sol sec, et le semis de la dérobée est réalisé quand la pluie est annoncée, à partir de début juillet. « Pour avoir de bonnes conditions météo, cela nous est déjà arrivé d’attendre la mi-août. Mais attention de semer avant fin août. Cette pratique est toujours un pari sur les conditions météo de l’été. S’il fait trop chaud et qu’il ne pleut pas pendant quinze jours, c’est fatal à la dérobée. » Mais à l’inverse, un mois de juillet trop pluvieux fait repartir l’ancienne prairie qui concurrence vite le colza.
Puis le colza est pâturé au fil, ce qui donne de la lumière au RGI, qui se développe alors.
Le changement climatique questionne
L’intérêt du RGI est qu’il prend le relais en automne pour un pâturage de fin d’année, qu’il couvre le sol tout l’hiver et valorise l’azote libéré par l’ancienne prairie. « Si le sol est portant, nous faisons pâturer les laitières en hiver », précise Pascal Le Coeur. La nouvelle prairie est implantée au printemps, avec comme objectif une première exploitation fin mai-début juin.
La dérobée permet (en moyenne sur 2011-2020), entre juillet et mars, aux vaches de valoriser 4 tMS/ha en conduite conventionnelle. « En bio, c’est plutôt 3 à 3,5 t MS/ha, en raison de semis plus tardifs. » Les valeurs alimentaires sont en moyenne de 0,98 UFL, 118 PDIN et 95 PDIE.
Dans les régions océaniques à pluviométrie régulière même en été, « ce schéma est performant. Mais la météo de cet été questionne, nuance Pascal Le Cœur. Heureusement que nous n’avions qu’une parcelle à renouveler. Un colza seul a été mis en dérobée, pour limiter l’investissement dans une dérobée qui présentait trop de risque de rater. De fait, la levée du colza a été échelonnée, une partie est morte. Il y aura quand même un tour de pâturage avant un retournement pour implanter un méteil à l’automne, puis une prairie en 2023 ».
Du colza fourrager seul pour une prairie semée à l’automne
En zone plus séchante, associer le colza au RGI perd son intérêt. Un simple semis de colza autour du 5-10 mai est privilégié pour qu’il puisse profiter de trois semaines d’implantation avant qu’il ne fasse trop chaud et sec. Le colza fourrager seul est valorisé jusqu’à la fin de l’été. Et la nouvelle prairie est implantée fin septembre, au retour des pluies.