Coproduits pour l'alimentation des bovins : un gisement de plus en plus convoité
La valorisation des coproduits issus des industries agroalimentaires a longtemps permis aux éleveurs du Grand Est de bénéficier de matières premières à des tarifs attractifs pour composer leurs rations et compléter les fourrages produits sur leurs exploitations. Or, des concurrences d’usages émergent, notamment pour la production d’énergie via les méthaniseurs.
La valorisation des coproduits issus des industries agroalimentaires a longtemps permis aux éleveurs du Grand Est de bénéficier de matières premières à des tarifs attractifs pour composer leurs rations et compléter les fourrages produits sur leurs exploitations. Or, des concurrences d’usages émergent, notamment pour la production d’énergie via les méthaniseurs.
Les coproduits issus des industries agroalimentaires contribuent à améliorer la durabilité des filières d’élevages avec la possibilité d’y valoriser des volumes importants. Afin de mieux identifier les gisements et valorisations de coproduits dans le Grand Est, une enquête, pilotée par l’Institut de l’élevage, a été lancée en mars 2021 dans le cadre du projet Coprame.
Dans cette optique, des questionnaires qualitatifs et quantitatifs ont été adressés aux entreprises agroalimentaires et aux éleveurs. Ce travail a concerné les industries agroalimentaires de première (trituration, industrie laitière, fruits et légumes…) et de seconde transformation (charcuterie, brasserie…).
Des concurrences d’usages émergent
Bien que l’alimentation animale soit la principale voie de valorisation, dans tous les secteurs couverts par l’enquête, certains coproduits peuvent être valorisés de différentes façons lesquelles se traduisent parfois par une forte valeur ajoutée, comme la valorisation du lactosérum en alimentation infantile ou celle de l’huile issue de noyaux de fruits en cosmétique.
La méthanisation représente également une autre opportunité. Elle est présente dans tous les secteurs d’activité et offre des débouchés croissants pour ces coproduits. Et tous les volumes engloutis dans les méthaniseurs seront bien entendu avec autant de tonnages qui ne seront pas disponibles pour l’alimentation animale. « Lorsque l’entreprise productrice de coproduits précise les voies de valorisation pour lesquelles il y a concurrence, elle cite systématiquement celle qui existe entre la nutrition animale et la méthanisation ou entre méthaniseurs », note Katia Lannuzel d’Agria Grand Est, l’association des entreprises agroalimentaires et des organismes de recherche et d’enseignement supérieur de Lorraine.
La région Grand Est est aujourd’hui la première région française en nombre d’installations de méthanisation et comme elle vise le 100 % d’énergies renouvelables pour 2050, le nombre de nouvelles unités devrait continuer de croître. Cette évolution numérique et la nécessité de sécuriser leur approvisionnement en matières fermentescibles font des méthaniseurs des concurrents de plus en plus féroces pour l’utilisation des coproduits dont l’usage "historique" a longtemps été d’être valorisé dans les rations des animaux d’élevage.
« Certains répondants pointent en effet leur difficulté à s’approvisionner en volumes et en prix acceptables notamment en pulpes de betteraves et estiment que cette raréfaction pour l’alimentation animale est liée aux valorisations énergétiques. Pour certains coproduits ayant un pouvoir méthanogène élevé, comme les sons de blé, de nouveaux arbitrages pourraient être envisagés en faveur de la production d’énergie. »
Une valorisation locale
La nécessité de décarboner la production française d’énergie en réduisant notamment le recours aux énergies fossiles pourrait également réduire la part des coproduits déshydratés pour les besoins de l’alimentation animale si ces derniers peuvent être mieux valorisés sous forme humide grâce à la méthanisation. Certaines entreprises du secteur de l’amidonnerie pourraient ainsi réduire le volume de coproduits déshydratés si davantage d’acteurs locaux valorisent leurs formes humides. Pour les pulpes de betteraves, la répartition entre pulpes humides, surpressées et déshydratées pourrait également évoluer. À cela, s’ajoute la réduction des volumes par l’optimisation des chaînes de production. Les tensions pourraient donc s’accroître sur les disponibilités.
L’autre particularité dans la filière Grand Est réside dans la forte présence de négociants en coproduits qui structurent le marché dans la région et au-delà. En effet, pour les entreprises qui ont répondu aux questionnaires, 95 % des coproduits valorisés en nutrition animale sont repris par un négociant.
En élevages bovins, 256 questionnaires ont été analysés. Parmi eux, 212 éleveurs utilisent des coproduits seuls et/ou en mélanges et 44 n’emploient pas de coproduits. Le développement en région Grand Est de la sucrerie, brasserie et amidonnerie marque particulièrement le « panier » de coproduits utilisés par les éleveurs. En effet, 29 % de pulpes de betteraves, 16 % de drêches de brasserie et 24 % de coproduits issus de l’amidonnerie sont utilisés localement dans des élevages bovins. Plus d’un tiers des volumes consommés sont utilisés sous forme de mélange et plus de 70 % des volumes sont repris dans un rayon inférieur à 50 kilomètres du site de production.
Une hiérarchisation des usages qui pourrait être chamboulée
Projet Coprame
Porté par l’Idele, le projet Coprame (des coproduits pour améliorer la multiperformance des élevages bovins lait et viande de la région Grand Est) a démarré en mars 2021 pour une durée de 40 mois. Il vise à améliorer et optimiser la valorisation des coproduits du Grand Est en élevages bovins lait et viande. Il implique 13 partenaires et a bénéficié du soutien de l’Ademe Grand Est. Ce programme s’articule autour de trois objectifs opérationnels.
Il a commencé par cette enquête sur les gisements des coproduits et leurs valorisations en Grand Est, coordonnée par Réséda (réseau pour la sécurité et la qualité des denrées alimentaires), en partenariat avec Agria Grand Est et l’Institut de l’élevage, afin de réaliser une évaluation territoriale des gisements et des valorisations des coproduits issus des industries agroalimentaires dans une approche système.
Le second volet portera sur l’acquisition de références sur le mode de valorisation des coproduits dans la ration des vaches laitières et des jeunes bovins afin d’évaluer les effets sur les performances techniques, environnementales, en particulier sur les émissions de méthane entérique, et économiques.
Le troisième objectif sera axé sur le repérage et sur le suivi des élevages qui utilisent des coproduits, afin de déterminer les conditions de réussite et les freins à leur utilisation.
L’entreprise Pollen, l’art du mélange
La société Pollen met à disposition depuis 2005 des mélanges de coproduits pour simplifier le travail des éleveurs au quotidien. « Notre objectif était de proposer des mélanges de coproduits humides et secs aux éleveurs pour en faire des aliments intéressants à conserver en un seul silo », explique Dominique Neige, directeur de l’entreprise pollen (négoce de matières premières et coproduits à destination de l’alimentation animale), venu témoigner lors de la restitution sur le projet Coprame organisée par l’Institut de l’élevage. En effet, les éleveurs bovins de la région Grand Est utilisent entre 1 et 4 coproduits sur leur exploitation et plus d’un tiers des volumes consommés le sont sous forme de mélanges. Aussi, l’entreprise dispose d’une mélangeuse automotrice de 45 m². Elle se déplace de ferme en ferme pour réaliser des rations chez les agriculteurs.
« Revers de la médaille, assez rapidement, la technique des mélanges a été dupliquée et a créé une tension spéculative. Avant, on était jugé sur notre capacité à débarrasser l’industriel toute l’année, maintenant ce sont des négociants qui s’occupent de ce marché et le facteur prix est devenu le plus important. Le coproduit n’est bientôt plus un déchet mais un aliment en tant que tel. Sur certaines brasseries, le prix des drêches a été multiplié par trois en 15 ans. Ce qui était une bonne affaire devient un aliment comme un autre », observe Dominique Neige.
Engagement
Pour faire face à cette concurrence, l’entreprise s’est fait certifier VLOG (sans OGM) pour répondre aux besoins des laiteries et ISO 14001 pour s’engager environnementalement. Elle travaille principalement des coproduits humides issus de l’industrie agroalimentaire (60 %). Cela répond également à une demande des industriels qui écoulent davantage leurs coproduits sous forme humide pour des raisons environnementales. Ils évitent de les sécher car cela aurait un impact négatif sur leurs émissions de carbone.
Pour mettre un peu la pression sur les industriels, un groupement Les éleveurs de l’Est a également été mis en place pour établir un partenariat gagnant-gagnant et restaurer une unité locale. L’objectif est de sécuriser l’approvisionnement des éleveurs et de limiter les fluctuations de prix.