Comment Sodiaal, Lactalis et les laiteries décarbonent leurs activités ?
Il n’y a pas que les éleveurs qui doivent faire des efforts. Les transformateurs doivent aussi réduire leur empreinte carbone. Pour ne pas se fermer des débouchés et pour réduire leur facture énergétique.
Il n’y a pas que les éleveurs qui doivent faire des efforts. Les transformateurs doivent aussi réduire leur empreinte carbone. Pour ne pas se fermer des débouchés et pour réduire leur facture énergétique.
Diminuer de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 1990 et 2030, et atteindre la neutralité carbone en 2050 sont les engagements de la France, auxquels la filière laitière doit participer, au même titre que les autres activités économiques. Si une partie du chemin a déjà été parcourue, il reste beaucoup à faire et la filière laitière entend bien accélérer. Au salon international de l’agriculture, les interprofessions laitière et viande bovine (Cniel et Interbev) se sont engagées officiellement à présenter une feuille de route qui listera les leviers pour décarboner les deux filières.
Il n’y a pas vraiment de bâton (quota, taxe carbone...) pour l’instant qui contraint les filières. Mais la pression monte : sociétale et politique. « Nous ne voulons pas en arriver où en sont les Pays-Bas, où les politiques parlent de réduire l’élevage. Cette musique, qu’une baisse des cheptels est une solution pour réduire les émissions, est un air qu’on entend de plus en plus à Bruxelles », font remarquer Pascal Le Brun, président de la Coopération laitière, et François-Xavier Huard, président de la Fnil.
Un accès aux marchés
La pression se fait aussi sentir au niveau commercial. « Beaucoup de pays et de laiteries, notamment en Irlande et en Nouvelle-Zélande, développe un marketing puissant pour vendre leurs actions pour le climat. Si nous sommes en retard par rapport à ces concurrents, nous aurons du mal à accéder à certains marchés », poursuivent les deux présidents. Que ce soit en France ou à l’international.
Récemment, le distributeur Carrefour a souligné dans un communiqué de presse qu’il demande à ses « 100 principaux fournisseurs de se doter d’une trajectoire 1,5 degré d’ici à 2026, faute de quoi ils seraient déréférencés des magasins Carrefour ». Les industriels assurent que ce type de demande sera de plus en plus fréquente. « L’offre non décarbonée aura de plus en plus de difficulté à être valorisée. »
Attention aux demandes de la grande distribution !
Pascal Le Brun précise néanmoins qu’il est préférable que la filière laitière travaille de façon coordonnée pour apporter une réponse unique aux demandes sur la décarbonation. « La Coopération laitière ne veut pas que la décarbonation fasse l’objet de segmentations produits, avec un jeu de concurrence entre les laiteries qui les affaibliraient face aux acheteurs. Comme pour le bien-être animal, nous voulons des engagements communs portés par toute la filière. »
Réduire la facture énergétique
Le contexte actuel de prix de l’énergie élevés couplé aux risques de délestage qui planaient cet hiver, motivent également à investir dans les optimisations de process, la réduction des déperditions de chaleur et sa réutilisation, ainsi que dans la production d’énergie renouvelable (bois énergie, solaire, biogaz). Toutefois, les investissements sont lourds et les industriels espèrent un véritable accompagnement des pouvoirs publics en cohérence avec leurs objectifs politiques de réduction de l’empreinte carbone.
L’objectif que s’est fixé le Cniel est une réduction de 17 % de l’empreinte carbone nette par litre de lait de la filière laitière. « Aujourd’hui, nous sommes grosso modo dans l’objectif pour la partie industrie : collecte, transformation et émissions indirectes liées aux achats autres que le lait », pointe le Cniel.
Objectifs plus difficiles à atteindre en élevage
Par contre, le cap est plus difficile à tenir pour la partie amont, qui représente 87 % des émissions par litre de lait de la filière. « Il faut déployer les diagnostics Cap’2ER et accompagner les éleveurs dans la mise en oeuvre des plans d’action, ce qui prend du temps. Début 2023, environ 36 % des exploitations laitières avaient effectué un Cap’2ER. C’étaient les plus motivés. Le plus dur reste à faire : mobiliser les autres », expose Ghislain de Viron, vice-président de la FNPL.
L’objectif du Cniel est que 100 % des élevages soient entrés dans la démarche Ferme laitière bas carbone d’ici 2030. « Même si améliorer l’empreinte carbone est synonyme d’amélioration des performances économiques des exploitations, il y a des leviers qui demandent des investissements et/ou comportent une prise de risque. » Un appel à soutenir financièrement les plans d’actions en élevage. « La question reste de déterminer qui va le faire et comment », pointe Ghislain de Viron. Il faudra que la filière y réponde rapidement.
Les principaux leviers des laiteries
Les transformateurs laitiers accélèrent avec diverses actions menées conjointement, pour réduire leurs émissions brutes sur leur périmètre direct (scope 1 et 2) et leur périmètre indirect (scope 3). Les scope 1 et 2 sont les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la collecte de lait et celles provenant de l’énergie consommée dans les sites industriels. Scope 3 sont les émissions de GES liées aux achats de lait, ingrédients, emballages, logistique…
♦ Au niveau de la Collecte, les leviers sont l’optimisation des tournées, l’écoconduite, le pompage électrique du lait dans le tank, l’utilisation de biocarburant.
♦ Au niveau de la transformation, les leviers sont de réduire les déperditions de chaleur avec le calorifugeage, d’optimiser les process, de renouveler les équipements, de récupérer la chaleur, de s’équiper de pompes à chaleur…
♦ Le changement d’énergie utilisée est un levier important pour réduire les émissions de GES. Les laiteries passent ainsi des chaudières au fioul à des chaudières au gaz naturel, parfois au biométhane, ou à des chaudières biomasse (bois énergie). La pose de panneaux photovoltaïques se développe.
♦ L’abandon de fluides frigorigènes HFC à fort pouvoir de réchauffement climatique se poursuit ; sa généralisation est prévue pour 2030.
♦ Le choix d’emballages et d’ingrédients plus respectueux de l’environnement réduit l’impact carbone indirect.
♦ Pour le lait acheté, la réduction de l’empreinte carbone passe à la fois par une réduction des émissions des exploitations et par une augmentation du stockage du carbone. Des laiteries soutiennent ainsi des programmes pour planter des haies.
À retenir
Déjà réalisé par la filière
-24 % d'émissions de gaz à effet de serre, avec une production constante, entre 1990 et 2010
L’engagement du Cniel pour 2025
Passer d’une empreinte carbone nette sortie usine de 1,01 kg par litre de lait en 2016 à 0,84 kg/l en 2025, soit -17 %, dont :
-15 % pour la partie industrie, et
-20 % pour la partie élevage
L’engagement du Cniel pour 2050
La neutralité carbone, c’est-à-dire qu'en plus de leur réduction, les émissions sont compensées par du stockage
Sodiaal ambitionne -50 % à horizon 2030
La coopérative a récemment communiqué son ambition d’accélérer sur la décarbonation de ses activités collecte et transformation. « Nous sommes engagés dans la réduction de notre impact carbone depuis 2014 avec les premiers audits énergétiques. Nous avons déjà un plan pour atteindre à horizon 2030 une baisse de -30 % des émissions par rapport à 2019. Cela nous a permis de réduire de plus de 7 % notre empreinte carbone entre 2019 et 2021 », résume Charlotte Chevry, directrice de la performance opérations chez Sodiaal. La coopérative est confiante sur l’atteinte de l’objectif de -30 % et annonce accélérer dès aujourd’hui pour définir une trajectoire à -50 % à horizon 2030. « Toutes les équipes ont pour mission d’identifier des projets de décarbonation pour construire ce plan qui passera par le développement des énergies renouvelables (biomasses, méthanisation, solaire thermique…) et l’électrification de nos procédés. »