SPÉCIAL RECHERCHE
Vers une agriculture à haute valeur environnementale
La R&D relève de plus en plus d’une “demande de recherche” émanant de la filière que d’une “offre de recherche” proposée par les scientifiques
A l’heure où les producteurs sont dénigrés auprès des consommateurs par les médias et autres associations de protection de la nature, où l’on oppose agriculture et environnement, il est nécessaire de remettre les choses à plat et de montrer les progrès scientifiques qui ont révolutionné l’acte de production ces dernières décennies. Après le passage d’une agriculture intensive à une agriculture raisonnée, c’est la notion de durabilité qui est en jeu. « Le nœud de l’affaire aujourd’hui est de transformer la contrainte environnementale en un moteur d’innovation et de progrès », a déclaré Marion Guillou, présidente directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) lors de la présentation au grand public, à l’occasion du Salon international de l’agriculture le 22 février dernier, d’une étude sur les “Innovations dans les filières et performances environnementales” (consultable en ligne sur “www.inra.fr”). « Les innovations dont nous aurons besoin demain sont celles que les consommateurs désireront. Cependant, les performances environnementales devront être intégrées dans des systèmes économiques et sociétales viables », explique la dirigeante de l’Inra. Et pour aboutir à « une appropriation plus rapide des innovations par les agriculteurs », l’Institut participe activement au groupement d’intérêt scientifique “Relance agronomique” dont l’ambition est de « produire, repérer et diffuser plus efficacement, des innovations et pratiques agricoles nouvelles, pour toucher l’ensemble des exploitations agricoles françaises et permettre le développement d’une agriculture compétitive et à haute performance environnementale », explique l’organisme de recherche.
La moitié des solutions proposées par l’Inra sont opérationnelles
L’analyse des impacts environnementaux de l’agriculture (qu’ils soient positifs ou négatifs), leur mesure, leur évaluation et l’élaboration d’alternatives techniques durables aux pratiques actuelles sont au cœur de nombreux programmes de recherche. Le document d’orientation 2010-2020 de l’Inra a fait une priorité de l’intégration des performances économiques, sociales et environnementales de l’agriculture, de l’élevage et de la forêt. Dans ce contexte, l’Institut a souhaité mieux mettre en lumière les travaux engagés qui contribuent à l’innovation pour une agriculture à hautes performances environnementales. Ces solutions concernent différents critères environnementaux : 32 % visent à préserver des ressources rares (eau, énergie, sols…), 50 % visent à réduire les rejets (azote, gaz à effets de serre, pesticides,…), 13 % cherchent à préserver la biodiversité et 5 % s’adressent au paysage. Dans les filières animales, les principaux leviers mis en œuvre concernent les pratiques d’alimentation et les systèmes d’élevage ; dans les filières végétales, il s’agit de la sélection variétale et des systèmes de culture. « Près de la moitié des solutions recensées sont d’ores et déjà opérationnelles – utilisées par des conseillers, des agriculteurs, des semenciers... – ou potentiellement utilisables ; les autres sont en phase expérimentale ou encore en phase de recherche », détaille l’Inra.
Vers une reconception des systèmes de production céréaliers
Un premier inventaire a permis d’identifier une soixantaine de voies d’amélioration des performances environnementales des systèmes de production céréaliers. Si nombre d’entre elles concernent des composantes de l’itinéraire technique, d’autres s’orientent davantage vers des propositions de changement plus radical allant jusqu’à une reconception des systèmes de production. « Dans une nouvelle logique, on accepte de réduire modérément l’objectif de rendement, et on maintient la marge économique en diminuant conjointement la consommation d’intrants donc les coûts de production », explique l’Inra. Les solutions visent principalement la réduction des rejets azotés et de pesticides, et une économie d’eau ; indirectement des effets bénéfiques sont ressentis en termes de consommation d’énergie ou d’émission de gaz à effet de serre ou encore en termes de biodiversité ou de préservation des paysages.
Pour une intégration des aspects économiques, sociaux et territoriaux
Cette étude a fait ressortir une évolution sensible des approches méthodologiques vers des questions plus complexes prenant en compte davantage de facteurs et de critères. « La durabilité environnementale de la production ne suffit pas à elle seule. Elle n’a de sens que si on prend en compte toute la filière jusqu’aux consommateurs et si l’on y intègre les aspects économiques, sociaux et territoriaux », souligne l’étude de l’Inra. Cela nécessite de nouveaux travaux de recherche concernant les aspects socio-économiques à l’échelle des exploitations, mais aussi de la chaîne agroalimentaire et du développement territorial, pour intégrer les interactions entre activités et la question de la localisation des productions, de l’échelle locale ou régionale jusqu’à l’échelle mondiale…
Par ailleurs ces nouvelles problématiques conduisent à une évolution du travail de recherche reposant sur un besoin accru d’interdisciplinarité et de co-construction avec les acteurs de terrain pour mieux s’adapter. En effet, les innovations ne sont pas des solutions livrées “clés en main” à appliquer à la lettre. Elles relèvent plutôt de démarches de conception et de construction collective et collaborative impliquant des travaux de groupes, des réseaux d’échanges sur le terrain et par internet. « Dans cette vision, la mise en place de GIS (groupements d’intérêt scientifique), de RMT (réseaux mixtes technologiques) et d’UMT (unités mixtes technologiques) associant recherche publique, structures de développement agricole, organismes de formation et agriculteurs paraît constituer un moteur important d’évolution des pratiques », conclut l’Inra.