Exportations de céréales
« Récupérer nos parts de marchés ! »
Jean-Pierre Langlois-Berthelot et François Gatel, respectivement président et directeur de France Export Céréales, s’inquiètent de la baisse des expéditions hexagonales sur l’Afrique.
François Gatel : Rappelons que la France expédie essentiellement sur l’Algérie, le Maroc et la grande région correspondant à l’Afrique subsaharienne (de l’Ouest). Concernant l’Algérie, nous sommes dans les temps par rapport à nos projections. Nous devrions y placer entre 1,5 et 1,7 Mt sur la campagne commerciale 2016/2017. Cela constitue, certes, un net retrait par rapport à d’habitude, où les volumes atteignent normalement les 4-5 Mt, mais c’est en ligne avec la forte réduction de la production nationale. Alors que le pays avait l’habitude de se fournir à 80 % en volumes français, ce taux ne dépassera vraisemblablement pas les 40 %. Des lots du nord de l’Europe, notamment l’Allemagne, la Pologne, la Suède et les pays baltes, ont pu se positionner. Néanmoins, l’origine française restera la première source d’approvisionnement pour l’Algérie lors de cette campagne. Au Maroc, on a compris assez vite que nous serions peu présents. Mais ce qui nous inquiète le plus, c’est la situation en Afrique subsaharienne. D’habitude, nous y plaçons 2 à 2,5 Mt. Alors que nous nous attendions à y expédier 1,7 Mt cette année, au rythme où vont les choses, nous n’y arriverons certainement pas. Rappelons que cette destination est exigeante en termes de critères qualitatifs : PS, teneur en protéines, critères de panification, etc. Ainsi, les blés français satisfaisant les cahiers des charges sont plus difficiles à trouver, et surtout à un prix compétitif. L’Argentine, qui avait plutôt disparu du paysage depuis quatre-cinq ans, est revenue. Mais ce sont surtout les blés russes qui ont pénétré ce marché, car pas trop chers, et répondant aux exigences des meuniers locaux. Ainsi, sans qu’il y ait de substitution totale à l’origine française, on voit d’autres origines s’implanter. À titre d’exemple, alors que nous représentions 80-90 % des origines sur le Cameroun, le Sénégal, la Côte d’Ivoire notamment, on perd parfois 20-30 % de parts de marché sur ces destinations ! La grande question est : est-ce qu’on y reviendra dans les prochaines années, dans les mêmes proportions, ou pas ?
Jean-Pierre Langlois-Berthelot : La récolte 2016 est atypique, et il n’y a donc aucune raison, sauf catastrophe, que cela se reproduise, bien que nous entendions certains discours alarmistes. Par conséquent, on devrait sans trop de problèmes atteindre une récolte en 2017 normale, entre 35-38 Mt. Mais les autres pays dans le monde n’ont pas non plus, pour le moment, de problèmes particuliers affectant leurs cultures. La concurrence devrait donc rester acharnée et il faudra être agressif dès le début de la prochaine campagne commerciale (2017/2018), spécialement en phase de reconquête. Ainsi, il s’agira de proposer des bons prix et surtout de faire sortir les lots de qualité dès la récolte, et ne pas les réserver pour la fin de campagne. Il faut rappeler que les marchés marocains et de l’Afrique subsaharienne sont privés et que, par conséquent, les meuniers locaux regardent essentiellement le rapport qualité-prix des blés qu’ils achètent. Dans le détail, les Marocains acquièrent généralement un minimum de 30 % de blé français, car cela leur donne satisfaction dans l’élaboration des farines. Ce qui sera au-dessus, ce sera du bonus, en fonction du prix proposé. Concernant l’Afrique subsaharienne, qui est encore plus exigeante en termes de qualité, on nous rapporte que les moulins locaux s’adaptent au blé russe et font des farines avec d’autres ingrédients, avec une équation économique favorable. Ces farines permettent au boulanger de produire la baguette demandée par les clients. Ainsi, on ne pourra pas être bas de gamme sur cette destination.
J.-P. L.-B. : Attention : il ne s’agit pas non plus de brader la marchandise ! Il faut simplement faire des propositions dans le marché, sans être moins cher que tout le monde, et arrêter de se contenter d’une offre française qui est toujours dans le moyen-moins du marché, voire médiocre, en termes de qualité. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que ce n’est pas nous, les Français, qui faisons le marché. Les volumes doivent être présents dès le début de la campagne, avec la qualité disponible, sous peine d’affecter notre image.
F. G. : N’oublions pas que retenir la marchandise à un coût ! Plus on garde, plus on stock, et plus les charges augmentent ! Et comme vous le dites, les capacités de financements des vendeurs ont été fortement touchées.
J.-P. L.-B. : Nous n’attendons pas de nos candidats ou responsables politiques qu’ils nous apprennent comment produire ou exporter, à l’image de ce qu’a fait Stéphane Le Foll en permanence durant son mandat ! Nous n’avons pas de leçon à recevoir, mais plutôt besoin d’une réglementation claire, donnant aux opérateurs les moyens de faire leur métier, qui ne nous désavantage pas par rapport aux concurrents européens, et qui prend en compte les aspects économiques, et non pas uniquement environnementaux, même si nous comprenons tout à fait les attentes sociétales. Rappelons que le commerce des grains a un impact sur le PIB, la balance commerciale…
F. G. : La question que nous posent nos clients africains c’est : “Est-ce que vous allez continuer à produire et à exporter ?” Il faut donc que nos responsables politiques leur assurent que la production de céréales est un sujet important en France et que notre pays continuera à produire pour les approvisionner.