La Dépêche-Le Petit Meunier : Une situation « sans précédent », « la plus grave de ces trente dernières années »…Confirmez-vous les propos concernant la crise actuelle qui frappe l’élevage français ? Comment cela se traduit pour les fabricants d’aliments bretons ?
Hervé Vasseur : Nous n’avons jamais connu une conjoncture aussi défavorable. Le secteur des porcs est en difficulté depuis deux ans et demi, nous y sommes malheureusement un peu “habitués”. De même pour celui des volailles, qui connaît des hauts et des bas depuis la crise aviaire. Par contre, une crise laitière est bien plus rare, d’ailleurs le secteur laitier n’est pas habitué à gérer ce type de situation. Et la combinaison de tous les secteurs l’est encore plus. Ce n’est pas seulement la production qui est fragilisée, mais aussi les filières amont et aval. Si le système tient encore, c’est qu’il reste majoritairement coopératif et familial.
Cette situation se traduit par une baisse des ventes d’aliments, très difficile à supporter pour nous : -4%(*) en volaille; -20% en vache laitière; -15% en bovins viande, -7% en porcs... Les délais de paiement des éleveurs s’allongent, avec des risques financiers importants pour la filière porcine notamment, dont la production a baissé de 2%.
Nous avons tenté d’alerter sur cette crise (voir N° du 15 mai), mais il n’y a pas vraiment de volonté des partenaires financiers, qui préfèrent traiter au cas par cas. Cela prend du temps et est difficile.Les banques sont réticentes à s’engager davantage sur ce secteur qui est en crise depuis plus de deux ans. Nous intervenons parfois avec un médiateur de crédit de la Banque de France lorsque la situation mérite une aide que les partenaires en place refusent.
La filière céréalière n’est pas épargnée par la crise actuelle, la baisse d’activité aliment induit une baisse de consommation de céréales et donc un besoin de stockage supplémentaire des céréales, particulièrement après la bonne récolte 2009.
Nous gardons intact, malgré toutes ces difficultés, la volonté de répercuter au plus vite la baisse actuelle des matières premières sur le prix des aliments. Un gros bémol cependant : le tourteau de soja reste très cher… Les blocages actuels en UE de bateaux de soja origine USA pour cause de traces d’OGM de maïs peuvent encore mettre la pression sur les prix. Nous travaillons aussi pour débloquer cette situation préjudiciable aux productions animales.
LD-LPM: Comment envisagez-vous la prochaine campagne de commercialisation céréalière ?
H.V. : La disponibilité en céréales nous paraît satisfaisante. La collecte est excellente en terme de volumes. Les prix baissent. La qualité est correcte, notamment la qualité fongique.
Nous sommes cependant inquiets pour l’hiver 2009/2010. Tant qu’il n’y pas une reprise franche de la consommation française et des exportations, la situation restera difficile.Notre inquiétude est d’autant plus forte que nous ne sentons pas de politique de soutien de l’agriculture au niveau européen. Nous avançons vers la libéralisation des marchés agricoles sans mesurer toutes ses spécificités, et cela nous inquiète. Les pays qui ont beaucoup libéralisé font maintenant le contraire. Nous sommes à contretemps !
LD-LPM: Quels sont les prochains développements de l’association?
H.V. : Le site de collecte des statistiques de fabrication des aliments composés en Bretagne, commun à l’Afab et aux syndicats nationaux, le Snia et Coop de France nutrition animale, devrait être opérationnel pour la fin de l’année.
Autre dossier d’importance : le développement des voies alternatives à la route, notamment par le biais de stations de transit pour acheminer le maximum de matières premières par train ou bateau vers la Bretagne et limiter les trajets en camions. Il en existe déjà une à Montauban (35), d’autres pourraient voir le jour à l’est de Rennes, au port de Lorient et de Brest. Notre demande de “post-acheminement en camion 44t” est en cours, cela serait un sérieux coup de pouce à la mise en place de plate-formes logistiques multimodales. Mais cela touche de nombreux services de l’administration et prend du temps !
Nous voulons développer en partenariat avec les centres de gestion, l’IFIP, les banques… une méthode de calcul plus précise pour estimer le coût complet de l’aliment fabriqué ou semi-fabriqué à la ferme, afin de pouvoir le comparer objectivement à l’aliment industriel.
Après la flambée des matières premières mi 2007, les prix d’aliment ont fortement augmenté. Certains éleveurs ont dès lors eu tendance à fabriquer eux-mêmes leur aliment à la ferme, pensant que la solution était là. Mais selon nous, trop de personnes réduisent le prix des aliments à ceux des matières premières au bout du champ.
C’est un gros dossier que de montrer que l’aliment industriel est tout aussi compétitif que l’aliment ferme, d’autant qu’il apporte certaines garanties. Il respecte des cahiers des charges qualitatifs, notamment en termes de nutrition et de traçabilité attendues par les avals des filières.
Nous engageons d’autre part une grande réflexion sur la problématique OGM avec l’étiquetage des aliments animaux.
(*) : Evolution cumulée 2008/2009, au 17/08/2009