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Pourquoi les prix des engrais risquent de flamber à l’horizon 2026

La mise en place d’une taxe sur les émissions de carbone des engrais importés dans l’Union européenne devrait renchérir le prix des fertilisants dans les années à venir. Un phénomène qui pourrait être renforcé par le développement d’engrais à faible empreinte carbone.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, ou CBAM en anglais) a été publié en tant que règlement européen le 10 mai 2023. Après une période de transition, qui court depuis le début 2024 jusqu’à fin 2025, celui-ci entrera pleinement en vigueur au 1er janvier 2026. Il prévoit pour les importateurs d’engrais azotés une obligation de déclaration des émissions de carbone des marchandises importées, et le paiement de taxes pour couvrir les émissions de carbone importées. « Le règlement MACF permettra d’appliquer un prix du carbone équivalent pour les produits importés depuis les pays tiers et ceux produits dans l’Union européenne », s’est félicité Julien Viau, adjoint au sous-directeur de l’Action climatique du bureau des marchés carbone et de la décarbonation de l’industrie, et anciennement chef du bureau des marchés du carbone et de la décarbonation de l’industrie au ministère de la Transition écologique et solidaire.

Concrètement, cela devrait renchérir les coûts d’importation de l’urée russe et égyptienne. Pour Timac Agro, qui importe notamment de l’urée égyptienne pour la fabrication de ses engrais composés, « ce nouveau règlement est vécu comme une contrainte », explique Pierre-Yves Tourlière, responsable de la partie végétale chez Timac Agro. La mesure « défend les efforts des industriels européens mais ne doit pas devenir un frein à l’innovation en faveur d’engrais efficients qui améliorent l’absorption des unités fertilisantes par la plante, et réduisent donc ainsi les émissions au champ », détaille-t-il.

Lire aussi : Marché des engrais : hausse des prix de l'urée, suite au réveil de la demande

Du côté des producteurs français d’engrais, la mesure est saluée car elle limitera la concurrence des industriels extra-européens. « Ce règlement permettra de rétablir l’équilibre face à l’urée russe plus carbonée, dont la fabrication ne repose pas sur la meilleure technologie disponible, la technologie catalytique », s’est félicité Nicolas Broutin, directeur de Yara France. L’Unifa (Union nationale des industries de la fertilisation) s’est également réjouie de cette mesure protectionniste : « Son application en 2026 devrait permettre que la concurrence se fasse sur un pied d’égalité », a renchéri Renaud Bernardi, membre du bureau de l’interprofession.

Le marché se tourne vers davantage d’engrais bleus et verts

Par ailleurs, les industriels de la fertilisation et les groupes agroalimentaires se préoccupent de plus en plus des émissions de carbone rejetées par le processus de fabrication des engrais classiques, y compris ceux reposant sur la technologie catalytique utilisée dans l’UE. Les engrais bleus et verts (voir encadré) retiennent leur attention. En novembre 2023, Yara France et LAT Nitrogen, les principaux acteurs du secteur en France, ont signé un contrat de transition écologique avec l’État, dans le cadre du consortium ECO2-Normandy. « À terme, les différents acteurs industriels de la fédération, dont fait partie le site Yara du Havre, mettront en commun des moyens pour regrouper le CO2 émis et réduire les coûts de capture et de transport jusqu’au stockage en mer du Nord », précise Nicolas Broutin. Un tel projet devrait permettre de produire de l’ammonitrate dit « bleu ».

 

ENGRAIS BLEUS - ENGRAIS VERTS : de quoi s’agit-il ? 

Les engrais bleus sont produits à partir d’énergie fossile (gaz naturel). Les émissions de carbone dégagées lors du processus industriel sont ensuite captées. Le carbone est comprimé et transporté jusqu’à un site de stockage, souvent un ancien puits minier d’hydrocarbures.

Les engrais verts sont produits grâce aux énergies renouvelables (le nucléaire étant considéré comme une énergie renouvelable en France). L’électrolyse de l’eau apporte souvent l’énergie nécessaire et constitue la première étape de la réaction. L’électrolyse de l’eau est réalisée grâce aux énergies renouvelables.

 

D’autre part, des acteurs importants de l’agroalimentaire, comme InVivo et Heineken, ont déjà investi dans un projet de production d’ammonitrate dit « vert ». Celui-ci, intitulé FertigHy, donnera lieu à la construction d’une nouvelle usine d’engrais azotés produits à partir d’énergie renouvelable dans la Somme à partir de 2027. Pour son PDG, José Antonio de las Herras, « l’approche des principaux projets concurrents repose sur les bilans globaux. À long terme, cette approche pourrait ne plus être considérée comme suffisante par le législateur et les grands groupes agroalimentaires, qui mettront en place des cahiers des charges de plus en plus exigeants ».

Mais se pose bien évidemment la question de leur prix pour leurs utilisateurs. Selon Yara, le prix de l’ammoniac bleu représente 2 à 4 fois celui du conventionnel, contre 5 à 10 fois pour les ammoniums verts. « Certains de nos fournisseurs proposent des urées bleues mais pour l’instant, elles sont trop chères pour que le prix de vente final de l’engrais les incorporant soit acceptable pour l’agriculteur », déplore Pierre-Yves Tourlière. « La seule façon de valoriser l’effort d’achat d’engrais verts ou bleus, c’est via une filière agroalimentaire structurée qui paye le produit à un prix absorbant le surcoût de cette augmentation », développe-t-il. Yannick Carel, ingénieur d’études chez Arvalis, partage cet avis : « Au prix d’aujourd’hui, leur utilisation n’est pas faisable à grande échelle, mais la question peut se poser pour des filières qualité avec des débouchés structurés. »

 

« Le marché des engrais décarbonés est encore embryonnaire » 
 

Émélie Halle, responsable sourcing et durabilité du groupe Avril sur la décarbonation

 

La Dépêche Le petit meunier : Aujourd’hui, soutenez-vous par des incitations l’utilisation d’engrais bas carbone chez vos agriculteurs partenaires ?

Émélie Halle - Spécifiquement, non. Mais dans le cadre de notre plateforme OléoZe, qui permet à nos partenaires de toucher un bonus selon les bonnes pratiques de décarbonation qu’ils mettent en place, de telles initiatives peuvent être prises en compte dans le calcul de la prime.

LD LPM : Envisagez-vous de promouvoir les engrais décarbonés à l’avenir ?

É. H. - Pour l’instant, le marché est encore embryonnaire. Nous ne pouvons pas nous engager sur leur utilisation tant que les disponibilités sont limitées. Mais celles-ci tendent à se développer. Si la demande pour des cultures bas carbone s’intensifie, on pourrait être amené à valoriser leur utilisation par le biais d’une prime.

LD LPM : Cette prime permettrait-elle à l’agriculteur de couvrir le coût élevé de tels fertilisants ?

É. H. - Pour l’instant, le bonus gaz à effets de serre payé par Avril ne couvre pas l’ensemble des frais liés à la transition sur une exploitation. L’investissement concerne en effet l’ensemble de la rotation, et non seulement les cultures oléagineuses achetées par le groupe. C’est pour cela que nous avons lancé un partenariat avec InVivo sur l’agriculture régénérative cet été. Nous espérons étendre ce partenariat à d’autres acteurs de la rotation pour tendre vers une meilleure rémunération de ces pratiques.

Propos recueillis par Adèle d’Humières

Rédaction Réussir

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