Les importateurs de grains encaissent le choc... pour le moment
Malgré les affrontements entre la Russie et l'Ukraine, la Chine maintient sa stratégie d’importation. Les pays bénéficiant de la rente pétrolière ont plus facilement digéré la flambée des prix des céréales.
Malgré les affrontements entre la Russie et l'Ukraine, la Chine maintient sa stratégie d’importation. Les pays bénéficiant de la rente pétrolière ont plus facilement digéré la flambée des prix des céréales.
Comment les importateurs mondiaux, notamment les clients de l’Hexagone, ont réagi à la guerre en Ukraine et la flambée des prix des céréales ? Les experts du département des relations internationales d’Intercéréales apportent des réponses. L’Afrique subsaharienne a été une des régions les plus affectées, mais a tout de même évité la fermeture massive de ses moulins, pour l’instant du moins. Les grains français ont pu remplacer les origines ukrainienne et russe durant l’été 2022 pour un certain nombre de destinations, notamment le Maroc.
En Afrique subsaharienne, les États sont peu, voire non interventionnistes, et l’inflation des prix du blé et d’autres produits ont frappé durement les moulins locaux. C’est lors du pic des prix du blé tendre, survenu courant mai-juin 2022, que la baisse des importations a été particulièrement marquée, révèle l’expert d’Intercéréales : « Elles ont baissé de 25 % entre 2021 et 2022 ! […] Si les cours aujourd’hui s’étaient maintenus à 500 dollars la tonne, environ 50 % des moulins de la région auraient peut-être fermé », estime Yann Lebeau, responsable du bureau de Casablanca d’Intercéréales.
La famine et les pénuries se sont-elles aggravées dans la région ? Difficile de répondre à cette question pour l’instant, selon le spécialiste, les pays de la zone ayant des contextes très divers. Par ailleurs, « les populations du secteur peuvent modifier leurs habitudes alimentaires. Elles ont réduit leur consommation de pain pour privilégier le riz, le manioc, la banane plantain… », rappelle Yann Lebeau. Enfin, « la situation est plus apaisée désormais grâce au dégonflement des prix, bien qu’elle reste instable. On voit même la réactivation de projets de construction de nouveaux moulins, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal… », se réjouit-il.
Les finances tunisiennes aux abois
Au Maroc et en Tunisie, les interventions de l’État ont stabilisé les cours de la farine et du pain sur le marché intérieur, permettant de consolider leur consommation. Ainsi, aucune modification notable des volumes importés de blé n’a été perçue à cause de la guerre en Ukraine. « Il y a juste eu des adaptations en matière d’origines. Le Maroc aimait le blé ukrainien et s’est tourné vers la France », indique Yann Lebeau (voir graphique).
En revanche, les finances publiques de la Tunisie – qui a davantage recours au soutien public que le Maroc - ont été bien plus touchées. La Tunisie a même dû recourir à l’aide internationale, incluant le Fonds monétaire international.
Si le Maroc achète des volumes français malgré les corridors humanitaires, « c’est parce qu’importer d’Ukraine ou de Russie est très hasardeux cette année. Les délais de livraison de blés ukrainiens sont bien plus incertains, avec des retards parfois d’un mois… En plus d’avoir une belle qualité cette année, l’origine hexagonale a un gros avantage logistique : elle est livrée en temps et en heure », explique l’expert d’Intercéréales.
Des pays aux pénuries ponctuelles
Roland Guiragossian, responsable Algérie, Proche et Moyen-Orient d’Intercéréales, classe les pays de sa zone d’expertise en deux catégories : ceux qui bénéficient de la rente pétrolière et les autres. L’Algérie ou l’Arabie saoudite ont pu compenser la flambée des prix des céréales par le renchérissement de ceux de l’or noir et du gaz. Ils n’ont, par conséquent, guère modifié leur stratégie d’importation. En revanche, en Égypte, au Soudan et au Liban, l’augmentation des cours des céréales et de l’énergie fut plus douloureuse.
Par exemple, en Égypte, les tarifs du pain sur le marché libre ont flambé, et les importateurs privés ont réduit de 40 % leurs achats de blé entre juillet-janvier 2021-2022 et 2022-2023. Heureusement, « les volumes importés par le Gasc (l’importateur étatique égyptien de céréales, NDLR) n’ont pas réellement diminué entre 2021 et 2022 », précise, par ailleurs, Roland Guiragossian. L’Égypte et le Liban ont dû faire appel à la solidarité internationale.
Pour autant, l’expert se veut rassurant, ces pays ont connu des pénuries ponctuelles, mais sans généralisation, et sans accroissement des famines : « Ils devraient maintenir leurs aides publiques en cette période d’inflation, afin d’éviter l’instabilité sociale. »
Qu’ils aient du pétrole ou non, les nations de la zone d’influence de Roland Guiragossian tentent de renforcer leurs productions locales, « en relevant les prix d’achat aux céréaliers. Mais cela ne devrait pas être suffisant pour significativement réduire leur dépendance aux importations dans les années à venir », compte tenu des contraintes climatiques et de la forte démographie.
La Chine de plus en plus opaque
La guerre en Ukraine n’a pas fondamentalement changé la politique d’importation de la Chine qui raisonne sur le très long terme, rappelle Philippe Heusèle, président du comité relations internationales d’Intercéréales : « La priorité est d’assurer l’autosuffisance alimentaire de sa population. Le conflit a pu inciter les Chinois à se tourner, dans certains cas, vers d’autres fournisseurs, mais sans révolution dans les modalités d’importation, les flux et les qualités exigées. […] La guerre en Ukraine a été un des accélérateurs de la diversification des approvisionnements. Mais c’est un de leurs objectifs à long terme, déterminé bien avant la guerre. »
En revanche, « le pays a suspendu toutes publications officielles sur sa production et ses stocks de céréales depuis le conflit. Il est donc très difficile de savoir ce qu’il fait », souligne Anne-Laure Paumier, directrice du comité relations internationales d’Intercéréales. Les spécialistes constatent tout de même que la Chine a quelque peu rationné sa demande et privilégié le meilleur rapport qualité/prix. Et cela se ressent sur l’activité de la France qui y avait expédié 2,2 millions de tonnes de blé tendre sur la période juillet décembre 2021-2022, contre 670 000 tonnes en 2022-2023 à la même époque, d’après l’interprofession.
Les Chinois poursuivent leur politique de subvention aux producteurs par les prix (à l’aide de tarifs de grains sur le marché intérieur supérieurs au marché mondial) et de financement de stockage public, afin de rééquilibrer le marché intérieur en cas de besoin.
Pour l’avenir, les experts d’Intercéréales se montrent confiants quant aux expéditions françaises vers l’empire du Milieu. « Le blé hexagonal est apprécié pour sa qualité sanitaire, mais dispose d’un taux de protéines un peu faible. Nous procédons à un travail de longue haleine afin de sensibiliser les meuniers locaux de ses bienfaits en panification. Il s’intègre très bien aux formulations de pains jugés haut de gamme, pour les consommateurs chinois souhaitant manger de la baguette à la française », rassure Philippe Heusèle.