Fret fluvial
La grève des cheminots cristallise une offre déjà tendue
Quand la géographie et les écluses le permettent, les rares bateaux disponibles remplacent les trains. Avec, à la clef, des primes et des coûts de fret qui grimpent.
Quand la géographie et les écluses le permettent, les rares bateaux disponibles remplacent les trains. Avec, à la clef, des primes et des coûts de fret qui grimpent.
« Sur les douze à quatorze trains par semaine programmés jusqu’à fin juin, 30 % à 50 % ont circulé depuis le début de la grève des cheminots, le 3 avril, indique Alain Charvillat, directeur Céréales Export chez Sénalia à Rouen. Pour l’heure, nous parvenons à alimenter la demande export mais, d’ici un mois, nous risquons de rencontrer des problèmes d’approvisionnement de nos silos portuaires pour honorer les sorties. » Un report modal sur le fleuve s’opère tant bien que mal. La grève intermittente aggrave le contexte fluvial, caractérisé par une pénurie de bateaux et des retards d’exécution qui s’accumulent. En cause, les inondations de début d’année, les travaux sur les écluses, la fermeture du canal du Nord jusqu’au 1er mai et de la captation de grosses cales liée aux travaux du Grand Paris.
Les céréales peinent à atteindre Rouen
Si la création par Sénalia en juillet 2015 de navettes fluviales (flux contractualisés en termes de volume et de prix, assurés à l’année par deux cales de 1 500 t chacune) permet d’alimenter les installations, elles ne suffisent pas à répondre à la hausse de l’activité Export enregistrée depuis début avril en blé tendre. « Pour remédier à la suppression des trains, liée à la grève, une nouvelle organisation modale a vu le jour : les volumes qui devaient être transportés par le fer (15 % à 20 % des flux globaux réceptionnés cette campagne par Sénalia) sont, si possible, redirigés par camion vers des silos fluviaux, puis acheminer par péniche au port de Rouen, explique Alain Charvillat. Parallèlement, nous nous approvisionnons par la route, sur le proche hinterland, les courtes distances permettant de multiplier les rotations des bennes et transporter plus de volume en un temps donné. » Mais quand ce réservoir à grains sera épuisé, il faudra augmenter les distances de transport pour capter la marchandise plus lointaine. Et avec le peu de trains et de cales disponibles actuellement, qui permettraient de massifier les flux, cela posera des problèmes d’acheminement.
Sur le Rhin, la situation semble moins problématique. « Des clients nous contactent pour savoir si nous sommes en mesure de prendre du tonnage qui se fait normalement par le rail, commente Jean-Laurent Herrmann, directeur commercial à CFNR Transport SAS. Nous faisons le maximum pour satisfaire notre clientèle et profitons de l’occasion pour la développer. » Cependant, la grève SNCF fait réfléchir les chargeurs, constatant « le caractère aléatoire du rail. Il suffit que quelques personnes débrayent pour que tout s’arrête. Chose qui ne peut pas arriver sur le secteur fluvial », argue-t-il.
Flambée des primes et des coûts de fret fluvial
« Les zones éloignées de l’hinterland rouennais (Est et Sud-Est parisien, à savoir la Seine-et-Marne, la Bourgogne et la plaine du Centre) ne sont plus atteignables, suite à l’incapacité de trouver des péniches et des trains, confirme Frédéric Degroote, directeur commercial de BZ Pulses du groupe SAS Beuzelin. Il en résulte une appréciation des primes dans les zones proches des ports, où le recours au camion est possible, et une dépréciation des primes dans les zones éloignées du port. » Et de s’inquiéter : « Nous ne voyons pas comment le problème peut se résorber d’ici la fin de campagne, au vu du contexte actuel. »
Même constat d’augmentation des coûts de transport de la part de Gaëtan Foray, responsable d’agence, chez Davenne Développement. « Jeudi 12 avril, les coûts de fret fluviaux, au départ de la Haute Seine à destination de Rouen, s’élevaient à 13 €/t, contre 6,50 €/t en temps normal. » Suite à la fermeture pour travaux du grand sas de l’écluse de Vives-Eaux (à hauteur de Melun), seul le petit sas est utilisable mais avec une perte de tonnage pour les gros bateaux, suite à un moindre tirant d’eau. « Dans ce contexte, ces derniers rechignent à passer l’écluse de peur d’être bloqué en Haute Seine, explique Gaëtan Foray. Les ports se situant en amont — à savoir ceux de Mouy-sur-Seine, Nogent-sur-Seine, Cannes-Écluse, Montereau-Fault-Yonne, Tavers, Vaux-le-Pénil…, qui d’ordinaire enregistrent des dégagements massifs et réguliers de céréales vers Rouen — sont, de fait, confrontés à de gros problèmes d’exécution. » Seuls les petits bateaux daignent s’aventurer dans la région, mais à des coûts de fret exceptionnellement élevés.