Décarbonation : la filière brassicole en pointe
Comment financer la décarbonation ? Certaines approches choisissent de se focaliser sur la communication auprès du consommateur, sans pour autant systématiquement répercuter le coût des pratiques vertueuses. Tour d’horizon dans la filière brassicole.
Comment financer la décarbonation ? Certaines approches choisissent de se focaliser sur la communication auprès du consommateur, sans pour autant systématiquement répercuter le coût des pratiques vertueuses. Tour d’horizon dans la filière brassicole.

Les efforts des professionnels des grains en faveur de la préservation des sols, de la biodiversité et de l’environnement peuvent être valorisés via la mise en place de filières spécifiques à haute valeur ajoutée. C’est l’approche choisie notamment par Carlsberg Danemark. Selon le site E-malt, la firme danoise a prévu de commercialiser en 2025 une bière spécifique, brassée exclusivement à partir d’orges cultivées selon les principes de l’agriculture régénérative. « Le groupe Carlsberg vise 30 % de matières premières issues de l’agriculture régénérative d’ici 2030, pour atteindre 100 % en 2040 », rappelle Franck Charnay, directeur RSE (Responsabilité sociale des entreprises) des Brasseries Kronenbourg, filiale française du groupe brassicole. Ce nouveau produit constitue une étape vers cette transition pour Carlsberg.
Les Brasseries Kronenbourg en partenariat avec le groupe Soufflet pour la production d’orge de brasserie tracée
La filiale française du groupe Carlsberg se dirige plutôt vers la valorisation de certains produits de leur gamme, produits à partir de matières premières décarbonées. En France, les Brasseries Kronenbourg ont choisi de concentrer leurs efforts sur la marque 1664, qui représente 40 % des ventes en volume de la structure, et 10 % du marché français de la bière. « En 2026, 100 % des brassins 1664 seront réalisés à partir de cette orge responsable tracée en France », se félicite Franck Charnay.
Lire aussi : Brasserie - Kronenbourg souhaite tracer ses bières blondes 1664 d'ici 2026
Fin 2024, la proportion d’orge régénérative dans les brassins 1664 se montait à 50 %, avec un objectif de 75 % pour 2025 (récolte 2024). À l’approche en mass balance utilisée par certains groupes industriels dans leur décarbonation, les Brasseries Kronenbourg ont préféré une approche tracée, qui demande donc une logistique spécifique.
« En 2026, 100 % des brassins 1664 seront réalisés à partir d'orge responsable tracée en France », selon Franck Charnay, directeur RSE des Brasseries Kronenbourg
Un cahier des charges reposant sur l’agriculture régénérative
Du côté de la production agricole, le cahier des charges retenu comprend différents éléments sur la rotation des cultures, le couvert permanent des sols, une fertilisation juste grâce à la mesure systématique du reliquat en sortie d’hiver et le fractionnement de l’apport en azote, et une amélioration de la biodiversité via la mise en place de haies, ruches, nichoirs et perchoirs.
« L’agriculteur est rémunéré pour cela par Soufflet-Invivo, car s’engager dans un processus de transition lui fait prendre des risques », précise Franck Charnay. « Notre fournisseur accompagne ses agriculteurs à atteindre ces objectifs », ajoute-t-il. Tous les parcours d’agriculteurs sont tracés dans une base de données, et le fournisseur réalise un bilan complet et a la charge de vérifier le remplissage des obligations par rapport au cahier des charges. « Nous payons une surprime sur le prix du malt par rapport au conventionnel », déclare Franck Charnay.
L’initiative s’étend à l’orge de printemps
Initialement, la filière se concentrait sur l’orge d’hiver. À présent, orge d’hiver et orge de printemps sont concernées. « C’était plus facile de commencer par l’orge d’hiver car elle ne requiert pas de culture intermédiaire, et moins de technicité et d’accompagnement que l’orge de printemps », détaille Franck Charnay.
L’approvisionnement se fait dans la région Grand-Est élargie. 2026 devrait représenter la fin de la montée en régime de cette initiative. « L’initiative a commencé avec 45 agriculteurs pour la récolte 2022. Ils étaient 120 en 2023. Nous visons les 250 agriculteurs concernés d’ici à la récolte 2025 », explique Franck Charnay.
Mettre en avant l’orge issue de l’agriculture régénérative auprès des consommateurs

Cette approche est valorisée par une traçabilité du champ à la bouteille. « Le consommateur est informé via un QR code disponible sur l’emballage, qui redirige vers des informations sur l’origine de l’orge utilisée. Cette initiative est un succès, puisque nous comptabilisons 250 000 connexions depuis le début 2023, pour un peu moins de deux minutes de temps passé sur le site », se réjouit Philippe Collinet, directeur de la communication externe de l’entreprise. S’il est difficile d’évaluer l’influence de ce critère sur les ventes, « l’intérêt de nos clients en GMS se vérifie », signale Franck Charnay. Et ce, d’autant plus qu’aucune répercussion sur le prix au détail n’est appliquée. Le dispositif est vu comme un argument commercial, un outil de différenciation qui renforce l'ancrage de la marque.
Lire aussi : Axiane Meunerie lance une farine de blé bas carbone en grande distribution
La filière brassicole tout entière engagée fortement dans la décarbonation
« Si les coopératives ne sont pas capables de proposer de l’orge brassicole complètement décarbonée d’ici 2026, cette filière n’existera plus », a même avancé Christoph Büren, président du groupe coopératif Vivescia, dont fait partie Malteurop.
Heineken a par exemple fait le choix de soutenir le programme Transitions de Vivescia, engagé dans l'agriculture régénérative. Le dispositif réunit une coalition de clients industriels qui se sont engagés sur trois ans à acheter des volumes bien définis, avec une prime précise et une obligation de résultats de décarbonation probants. « Nous avons besoin d’industriels qui s'engagent sans écrire de cahier des charges à tout va mais font des choix, pendant que la coopérative agglomère des résultats de décarbonation et les vend. Les industriels achètent ainsi la matière première et les données de décarbonation », précise le président de Vivescia.
Il s’agit ici d’une approche globale dite en mass balance. « Au sein du scope 3 [ensemble des émissions de carbone en amont et en aval de l’entreprise, ndlr], l’agriculture représente 21 % des émissions d’Heineken dans le monde, et 24 % en France », précisait un communiqué de Heineken en date de juin dernier. « Notre collaboration avec le groupe Vivescia, Malteurop et ses filiales représente une étape déterminante dans notre engagement à réduire nos émissions de scope 3 dans l'agriculture et à atteindre notre objectif de zéro émission nette de carbone sur l’ensemble de notre chaîne de valeur d'ici 2040. Nous avons également un objectif ‘FLAG’ (Forest, Land and Agriculture) visant à réduire de 30 % les émissions agricoles du scope 3 d’Heineken », explique Hervé Le Faou, Senior Director Global Procurement chez Heineken, cité dans le communiqué.
Lire aussi : Le commerce européen des grains s’organise face au changement climatique
Les brasseurs investissent dans les engrais bas carbone
Pour répondre à ces objectifs de décarbonation, Heineken a ainsi investi dans le projet FertigHy, visant à produire de l’engrais décarboné à partir d’hydrogène synthétisé grâce à des énergies renouvelables. Du côté des Brasseries Kronenbourg, « les engrais décarbonés pourront faire partie d’une évolution du cahier des charges », avance Franck Charnay.
Lire aussi : Pourquoi les prix des engrais risquent de flamber à l’horizon 2026