Jean-Baptiste Moreau, député : "Le localisme ne sauvera pas l’agriculture française"
Dans une tribune publiée sur le site du journal L’Opinion, le député accuse la grande distribution de ne pas avoir joué le jeu durant la crise du coronavirus. Jean-Baptiste Moreau détaille pour Agra Presse ses propositions pour renforcer économiquement les exploitations, enjeu urgent selon lui pour préserver notre souveraineté alimentaire.
Dans une tribune publiée sur le site du journal L’Opinion, le député accuse la grande distribution de ne pas avoir joué le jeu durant la crise du coronavirus. Jean-Baptiste Moreau détaille pour Agra Presse ses propositions pour renforcer économiquement les exploitations, enjeu urgent selon lui pour préserver notre souveraineté alimentaire.
Loin d'estimer, comme le président de la République, que « tout le monde a joué le jeu », vous évoquez dans votre tribune l'égoïsme des distributeurs. Que leur reprochez-vous ?
La grande distribution n'est pas un héros. Elle continue sur le même modèle sur lequel elle vit depuis des dizaines années, en exploitant son personnel, et en détruisant notre agriculture. Elle n'a pas changé de comportement avec la crise, elle est juste restée ouverte, et il n'y a pas de gloire à en tirer.
Mais avec la crise, tout l'effort a reposé sur la production française, et surtout cette pression de l'aval pour faire baisser les prix. En viande, on a augmenté de 20 % la consommation et on a diminué de 10 à 20 centimes les prix selon les catégories, au mépris de la loi de l'offre et de la demande. Et à l'heure où les produits français devraient retrouver leur place, on se trouve dans un paradoxe où les prix payés au producteur n'ont jamais été aussi bas.
« Il faut que les agriculteurs s'organisent et soient davantage solidaires afin de peser enfin sur les prix », écrivez-vous dans la tribune. Il y a une part de responsabilité du monde agricole dans ce déséquilibre que vous dénoncez ?
La décision de la filière lait de limiter ses volumes, avant les annonces de la Commission, a été courageuse, et elle montre la structuration de cette interprofession. Dans le secteur de la viande, en revanche, la loi Egalim ne marche pas. En raison de l'absence de structuration, il n'y a aucune contractualisation sur la base des coûts de production. Et aucune organisation de producteurs, au final, ne pèse suffisamment face à Bigard et aux autres industriels du secteur pour défendre ses prix. Je le dis depuis plusieurs années, et j'ai donc souhaité faire de nouvelles propositions.
Quelles sont ces propositions ?
Je suggère de valoriser un outil existant appelé « programmes opérationnels », dont la filière fruit et légumes s'est déjà emparé il y a longtemps. Cet argent pourrait être débloqué pour les organisations de producteurs de la filière viande qui s'engagent du côté amont à respecter des grilles de prix qui correspondent aux indicateurs de coût de production, et côté aval à développer la contractualisation avec les abatteurs. Le financement serait conditionné au respect de ces deux volets du contrat, pour avancer concrètement sur la structuration. Il peut d'ailleurs être mis en place immédiatement, puisque des fonds sont encore disponibles.
Il faudra cependant prévoir des sanctions si les industriels refusent la contractualisation, peut-être sous la forme d'une imposition supplémentaire. Mais sur cet aspect, le droit européen et le logiciel de la Commission doivent évoluer.
Pour vous, l'intervention publique doit-elle plus largement faire son retour dans la prochaine Pac ?
Si on parle de souveraineté alimentaire, il faudra effectivement se reposer la question des aides couplées. Les aides avaient été découplées dans un contexte de surproduction, mais on est aujourd'hui en sous-production, au risque de perdre notre souveraineté. Cette idée représente cependant une révolution culturelle, et notamment pour les pays d'Europe du Nord.
« Le commerce international ne pourra pas repartir comme avant », estimez-vous dans la tribune. Faut-il en conclure que le Ceta est définitivement enterré ?
Je le répète : le Ceta est un faux problème, et il est globalement positif pour l'agriculture française. La véritable question, ce sont les règles internationales. Le président de la République avait parlé de revoir les règles de l'OMC, je pense que nous avons là une fenêtre de tir. Cette crise peut nous donner l'occasion d'arrêter le dumping permanent, et de mettre une plus grande convergence au niveau des normes environnementales, puisqu'on sait que la crise est liée, au moins en partie, à des enjeux environnementaux.
La crise pose pour certains la question de la relocalisation de notre alimentation. Faudrait-il selon vous dans ce sens aller plus loin sur les PAT, les circuits courts, ou encore accélérer la loi foncière ?
Le localisme c'est gentil, mais ça ne sauvera pas l'agriculture française. Les filières françaises ont des équilibres économiques qui exigent des échanges. Les circuits courts fonctionnent dans certains cas, et il faut trouver des moyens pour les encourager, mais ils ne régleront pas la question de la souveraineté. Or, une année avec des prix comme ceux-là, le nombre d'agriculteurs va chuter. Et on ne remettra pas des troupeaux là où ils seront partis. Si nous voulons préserver notre souveraineté, il faut donc avant tout renforcer notre modèle de polyculture élevage familial, en assurant à ces exploitations un équilibre économique.