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Viroses en grandes cultures : la lutte génétique seule alternative durable face au réchauffement climatique

Entre réchauffement climatique et limitation des insecticides, les virus transmis par des insectes ont de beaux jours devant eux. Pas d’autres moyens que de mettre en œuvre la lutte génétique même si cela doit prendre plusieurs années.

Les symptômes de la JNO (ronds jaunes) ont été particulièrement visibles en début d'année 2020, notamment sur les parcelles qui avaient pâti de semis compliqués. © Arvalis/Kilmayer
Les symptômes de la JNO (ronds jaunes) ont été particulièrement visibles en début d'année 2020, notamment sur les parcelles qui avaient pâti de semis compliqués.
© Arvalis/Kilmayer

La Covid-19 chez les humains, la jaunisse chez la betterave : toutes proportions gardées, les virus font l’actualité ces derniers temps. Les viroses ont pris une certaine ampleur sur les grandes cultures cette année, les betteraves et les orges en témoignent particulièrement. Plus de 1 400 virus végétaux sont répertoriés dans le monde. Ces phytovirus ont tous un point commun : il leur faut un vecteur pour les propager, qui est souvent un insecte comme le puceron. Avec la quasi-absence de gel, ces pucerons ont résisté à l’hiver dernier et sont arrivés en masse pour infester diverses cultures. Cette situation pourrait se répéter de plus en plus avec le réchauffement climatique et générer davantage de viroses. Mais ce n’est pas la seule raison de la recrudescence de ces phytovirus.

La betterave est une espèce particulièrement vulnérable aux viroses. Responsable du département technique et scientifique de l’ITB, Fabienne Maupas fait le point sur l’impact de la jaunisse virale de la betterave sucrière au 11 septembre : « sur les secteurs au sud de Paris, 100 % des parcelles sont touchées et ce sur quasiment l’intégralité de leur surface. Dans ces régions, on peut s’attendre à 40 % de perte de rendement par rapport à la moyenne. Au niveau national, nous risquons d’avoir de -15 à - 20 % de rendement. Les régions au nord de Paris sont beaucoup moins touchées (10 % de parcelles) et la différence climatique ne suffit pas à expliquer cet écart. Il demeure beaucoup de mystères sur le mode d’infestation de ce virus ».

Un cocktail de quatre virus de la jaunisse sur la betterave en 2020

Ou plutôt de ces virus car la jaunisse de la betterave est concernée par quatre virus différents. « Alors qu’en 2019, les parcelles touchées présentaient en grande majorité le virus de la chlorose (BChV) de virulence plutôt modérée, ce dernier est très peu présent en 2020, observe Fabienne Maupas. Cette année, plus de 70 % des parcelles sont co-infectées par les quatre virus dont celui de la jaunisse grave (BYV) très majoritaire. Le BYV n’avait été retrouvé que dans 6 % des échantillons analysés en 2019. Sur les secteurs les plus touchés, nous retrouvons le virus de la mosaïque (BtMV), qui n’avait pas été vu depuis 2017 ! » L’année 2020 est exceptionnelle à plus d’un titre avec le niveau de virulence atteint de la jaunisse sur betterave et le cocktail de virus présents.

Tous ces virus sont transmis essentiellement par une seule espèce de pucerons : Myzus persicae. C’est le grand responsable de la situation avec le climat comme principal facteur de développement. « Il faut au moins trois jours consécutifs de gel à - 5 °C pour tuer les pucerons, auquel cas l’espèce se conserve sous forme d’œufs, présente Fabienne Maupas. Mais quand il fait doux en hiver comme cela a été le cas cette année, les pucerons restent présents et continuent à se reproduire (par parthénogenèse) même si c’est plus lent qu’au printemps. D’autre part, diverses adventices sont des réservoirs à virus comme le mouron blanc, la stellaire, les véroniques… Elles restent bien présentes dans les parcelles s’il n’y a pas de gel. »

La JNO a été le problème biotique de l’année sur orge d’hiver

Les hivers doux sont aussi bien propices au maintien de ces réservoirs à virus qu’à la survie et reproduction des pucerons. Les applications aériennes d’insecticides ont été peu efficaces sur les populations importantes en betterave, d’où ce fort niveau d’infestation en virus. « Mais en 2019 ou dans le Nord cette année, ces produits ont bien contrôlé les populations, resitue Fabienne Maupas. Quant à la régulation par les auxiliaires, elle montre ses limites quand les pucerons arrivent en masse dès le 15 avril sur des betteraves à des stades jeunes. »

Les céréales ne sont pas en reste. « Il y a eu plus de jaunisse nanisante de l’orge (JNO) que d’habitude. Cela a été le problème biotique de l’année sur orges puisque les maladies cryptogamiques (champignons) ont été peu présentes, remarque Jean-Baptiste Thibord, spécialiste ravageurs à Arvalis. Le problème est apparu très tôt avec des symptômes bien visibles dès fin janvier. Mais nous avons connu des années similaires ou pires en infestation JNO. 2020 fait partie des années avec très forte présence du virus. »

Le spécialiste note que l’hiver doux a permis une croissance des plantes, ce qui est favorable à la multiplication du virus dans le végétal. Mais Jean-Baptiste Thibord remarque aussi qu’un virus s’exprime d’autant plus que la plante est stressée. « Les symptômes sont exacerbés par la faiblesse de la plante. Les semis ont été compliqués fin 2019. Sur de mauvaises implantations, les marques de JNO pouvaient être très visibles. En plus, sur une bonne part des parcelles qui ont été semées tardivement, les traitements insecticides n’ont pas pu être réalisés. Les surfaces protégées se sont effondrées l’automne dernier avec seulement 18 % de parcelles traitées. »

Bientôt des variétés de betteraves avec le caractère de tolérance

Mais les orges d’hiver bénéficient de la mise en marché depuis quelques années de variétés tolérantes au virus de la JNO. « Elles ont été utilisées sur 18 % des surfaces. Avec les applications d’insecticides, cela fait 36 % des orges protégées contre la JNO. Nous sommes loin des 85 % protégés il y a cinq ans via le TS Gaucho et les pyréthrinoïdes en aérien », note Jean-Baptiste Thibord. La lutte génétique se développe avec l’arrivée de nouvelles variétés tolérantes chaque année. Seul bémol, il manque encore des variétés brassicoles. Parmi les grandes cultures, la lutte génétique bénéficie aussi au colza et au maïs.

Et la betterave ? « Des variétés avec le caractère de tolérance à la jaunisse sont en cours d’inscription : deux en première année et deux en seconde année, informe Fabienne Maupas Sur ces dernières en 2019, nous avions noté des rendements respectifs de 104 et 110 % des variétés témoins sensibles sur des essais infestés par les pucerons. Mais en terrain non infesté, ces variétés présentent des rendements inférieurs aux témoins entre 91 et 98 %. » Les résultats des essais 2020 seront connus en novembre, dans un contexte viral complètement différent. Des variétés peuvent présenter un comportement intéressant à quelques-uns des virus de la jaunisse mais pas aux quatre en même temps. La variété résistante aux quatre virus ne s’obtiendra pas à court terme.

La lutte variétale est la voie d’avenir incontournable pour la filière betterave qui souffre fortement de l’infestation mais aussi de la sécheresse. Les dérogations espérées sur l’utilisation des néonicotinoïdes en traitement de semences ne pourront être délivrées que sur trois ans au maximum.

Les variétés tolérantes se sont imposées contre la rhizomanie

La betterave a connu un précédent en termes de crise due à un virus. En Europe, le virus de la rhizomanie est apparu d’abord en Italie avant de se répandre dans tout le continent. La maladie a mis plusieurs années à se propager dans le reste de l’Europe avec une première apparition française en Alsace en 1971 avant de toucher de plein fouet les zones betteravières du Bassin parisien au début des années 80. « Les pertes de rendement pouvaient être supérieures à 60 % dans les secteurs les plus atteints », rapporte Fabienne Maupas, ITB. La filière a été mise à mal sur cette période avec des chutes de surface et de production. En 1985 ont été commercialisées les premières variétés tolérantes à la rhizomanie. L’utilisation de ces variétés est généralisée aujourd’hui et la rhizomanie est bien contrôlée. Grâce à la lutte génétique et aux travaux des sélectionneurs, la filière de la betterave industrielle a pu relever la tête même si cela a pris plusieurs années.

Vecteurs de virus : des pucerons mais pas que

Les phytovirus sont transmis aux cultures en majorité par des pucerons. Une espèce comme Myzus persicae (le puceron vert du pêcher) peut transmettre une multitude de virus différents et s’attaque à plus de 400 espèces de plantes : une sorte de 'Super puceron' en somme. D’autres pucerons sont plus spécifiques comme Rhopalosiphum padi, transmetteur du virus de la JNO. De nombreux virus sont transmis par plusieurs espèces de pucerons à la fois. D’autres insectes « piqueurs-suceurs » entrent en jeu dans la transmission de virus, comme les cicadelles pour la maladie des pieds chétifs sur céréales. Mais les virus peuvent provenir aussi d’autres organismes vivant dans le sol comme des nématodes ou des espèces apparentées aux champignons : Polymixa graminis pour les mosaïques du blé, Polymixa betae pour la rhizomanie… Il n’y a pas d’autres moyens alors que la lutte génétique contre ces virus.

Pas de culture indemne de virus

Toutes les cultures ont leurs virus, qui ont plus ou moins d’impact. Le point sur blé, maïs et colza, les trois principales grandes cultures.

MAÏS : Plusieurs virus peuvent s’en prendre au maïs. Pourtant en France, on ne connaît pas de cas d’attaque sévère sur les hybrides cultivés. « Ces virus sont connus depuis longtemps et sont mondialement présents. La sélection variétale chez les obtenteurs a fait son œuvre avec la commercialisation d’hybrides tolérants à ces virus, informe Jean-Baptiste Thibord, Arvalis. En revanche, il peut arriver que des lignées utilisées en production de semences soient sensibles à l’un de ces virus. Il ne reste plus que la solution insecticide avec des pyréthrinoïdes plutôt efficaces contre les pucerons vecteurs. »

BLÉS : Tout comme les orges, les blés peuvent être attaqués par le virus de la jaunisse nanisante (JNO). « Son impact est moindre, de l’ordre de 1 pour 3 entre blé tendre et orge d’hiver », précise l’expert d’Arvalis. La commercialisation de variétés de blé tolérantes à la JNO n’est pas à l’ordre du jour même si des recherches sont menées. Blé tendre et blé dur surtout peuvent être atteints aussi par la mosaïque due à plusieurs virus transmis par un organisme du sol. Les semenciers proposent des variétés tolérantes à la mosaïque.

COLZA : En colza, les virus sont bien présents mais jusqu’à il y a quelques années, on vivait avec en considérant leur impact comme mineur. Des semenciers ont mis en avant certaines de leurs obtentions comportant la résistance à des virus et montrant un gain de rendement par rapport à des témoins sensibles. Ces variétés connaissent un succès certain auprès des agriculteurs. En Australie, la production de canola a été mise à mal en 2014 et en 2020 à cause de fortes infestations de virus. On n’est pas à l’abri d’attaques virulentes selon les années.

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